Charles Brown, dix bougies pour une épave !

le 02/09/2013 publié dans le N°250 de Subaqua
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Pierre Martin-Razi
par Pierre Martin-Razi

Le Charly Brown, un câblier de 100 m de long, a été volontairement immergé voici maintenant dix ans et constitue depuis un récif artificiel en bordure du parc national de Saint-Eustache, une île des Antilles néerlandaises située à quelques minutes de vol dans le sud-ouest de Saint-Martin. Site exceptionnel, l’épave accroche requins, carangues ou barracudas et fait le bonheur des plongeurs. À elle seule, elle mérite plusieurs immersions dans un cadre qui justifie largement le voyage. Un récit de Pierre Martin-Razi. Photos de l’auteur, sauf mention contraire.

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Regroupée dans un coin de Princess Juliana airport, déjà écartée du monde, une demi-douzaine de passagers s’apprête à effectuer l’ultime saut de puce entre Saint-Martin et Saint-Eustache, deux îles des petites Antilles situées au nord de la Guadeloupe.

L’esprit embrumé par un vol transatlantique de nuit pour certains, les derniers achats en tête effectués dans les boutiques de Philipsburg pour d’autres, tous attendent d’être appelés pour rejoindre un bimoteur à hélice Bombardier (la marque canadienne, pas la fonction !) de la compagnie Winair dans lequel les plus grands d’entre eux vont devoir entrer pliés. J’en fais partie, bienheureux voyageur de retour dans un pays qu’il aime…

Quelques sudokus plus tard, l’hôtesse arrive enfin, tout en sourire et chaloupante désinvolture tropicale… Le micro crachote et nous retrouvons la moiteur du dehors, l’odeur du kérosène et celle surchauffée du tarmac avec avions privés et yachts de luxe immobiles en arrière-plan. Dans le lointain, les nuages s’étirent et leurs rondeurs grises se piquent de reflets mauves. Une fin de journée entre deux, un début d’aventure…

Vue directe sur le cockpit et son équipage. Point fixe. La piste s’étire devant nous. Brouhouhouhou. Le commandant est un noir musculeux, chemisette bleue, Rayban, Rolex et bracelet en poils d’éléphant, la co-pi une blonde délicieuse, chemisette bleue elle aussi, teint frais, bijoux discrets et accent texan à couper à la tronçonneuse. Le casting est parfait.

Le vol dure vingt minutes et à vue de nez nous sommes à 2 500 pieds, dans les explosions d’ors d’un coucher de soleil tropical. Cette triomphante éternité de lumière imprime aux visages des sourires de bonheur… Déjà, nous devinons Saint Barth et Saba, avant que l’appareil ne fasse son approche au-dessus des pétroliers stationnés dans la partie nord de Saint-Eustache, également appelée Statia, et dont les feux commencent à briller dans le crépuscule…

Saint-Eustache est — comment l’écrire ? — une île… discrète. Sa beauté n’est pas immédiate, il faut lui donner du temps pour qu’elle se révèle. En débarquant, nulle claque comme, par exemple, quand se dévoile la baie de Cook au détour de Piha’ena ou, plus proche de là, la primitive beauté de la Dominique ou de Sainte-Lucie.

Non. Statia possède cette séduction aimable et sereine appréciée vraiment qu’en la connaissant mieux. C’est peut-être là que réside tout son charme : il faut s’y laisser prendre !

Nous évoquions la plongée autour de l’île hollandaise dans Subaqua n° 233 de novembre 2010, une plongée claire, chaude, riche, multiple et facile. Nous ne changeons pas un mot sinon que peut-être, nous étions un peu en deçà de la vérité : c’est encore mieux la deuxième fois !

Alors qu’ailleurs les plongeurs sont souvent considérés comme la cinquième roue du carrosse, les dirigeants de Saint-Eustache ont très vite mesuré la richesse des fonds sous-marins de l’île et entrevu tout l’intérêt qu’il y avait à les préserver et en faire un pôle d’attraction.

Ainsi, depuis 1998, Statia propose à ses visiteurs un parc maritime (doublé d’une partie terrestre) d’une grande diversité, le STENAPA, où il fait bon tremper ses palmes.

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La mise en place et l’entretien des bouées est couvert par une contribution financière de 6 $ versée par chaque plongeur (ou 30 $ pour un forfait annuel). Cette modeste somme contribue à la bonne santé des récifs dont la préservation constitue à la fois un ravissement et un modèle.

De plus, la capacité d’accueil sur l’île étant ce qu’elle est, c’est-à-dire modeste (on parle de 80 lits pour l’ensemble des touristes…), le nombre de plongeurs se trouve de fait limité et l’on a plus de chance, sous l’eau, de rencontrer carangues et requins que ses congénères…

La politique d’immersion d’épaves, avant que le législateur ne mette un peu de sable dans les rouages, ajoute encore à l’intérêt de l’endroit. Nous verrons que c’est là la raison de notre visite !

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Une approche généreuse

Ingrid et Menno Walter animent le Scubaqua Dive Center à l’image de ce qu’ils sont dans la vie : enthousiastes et sympathiques.

Le centre de plongée de ce couple suisso-hollando-suédois (un mélange hautement recommandable si l’on en juge par l’expérience…) occupe depuis peu une vieille maison créole, restaurée avec passion par toute l’équipe du club, en bord de plage où l’on a sincèrement envie de poser son sac : bois peint de couleurs pastel et pierres apparentes.

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Le bar jouxte le local technique et son vestiaire et l’on peut siroter sur terrasse en front de mer café matinal ou bière vespérale en refaisant le monde (enfin, le nôtre, celui modeste de la plongée…) tout en lorgnant les voiliers qui roulent gentiment au mouillage.

Bref, une approche du paradis pour qui aime le toucher d’un bon bouquin, le goût du café, les exhalaisons d’un grain tropical, le frou-frou des palmes et les bleus changeants de la mer… Je n’en dis pas plus sauf que…

 

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Si vous avez, en outre, eu la bonne idée de loger de l’autre côté de la rue, à la Old Gin House, je ne réponds plus de rien ! Votre dépense énergétique quotidienne se limitera aux seules plongées et vous aurez ainsi, pour bien peu d’efforts, la chance de voyager aussi dans le passé : l’endroit porte bien son nom, le cuir y fleure bon, les meubles possèdent la patine des ans et l’on y prend son petit-déjeuner avec pour seul horizon celui de la mer caraïbe.

Comme dit l’autre, il y a des situations plus atroces ! Pour être tout à fait complet, il ne nous manque plus que le coffre de bois et le sabre d’abordage pour se transporter au XVIIIe siècle, quand Saint-Eustache était appelée Golden Rock, centre de commerce et d’échanges important de presque 20 000 habitants contre moins de 4 000 aujourd’hui.

Je confesse ma faiblesse pour Long John Silver. Pas de doublons ou de pièce de huit ici : le trésor est ailleurs et le rythme désormais beaucoup plus débonnaire mais les rues d’Oranjestad demeurent largement pavées, bordées de façades anachroniques, et si les parfums de currys sortent parfois des cases, ils s’échappent vers les bouches rondes de quelques canons devenus pacifiques…

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 250 Abonnez-vous

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