Envenimations par poissons osseux des mers tropicales et tempérées

le 25/02/2019 publié dans le N°283 de Subaqua
2_Inimicus caledonicus (crédit Yves THEVENET)
Claude Maillaud
par Claude Maillaud

Les envenimations résultant du contact avec l’appareil vulnérant des poissons osseux constituent l’un des dangers de la faune marine auquel sont le plus exposés les plongeurs. Les espèces tropicales sont classiquement considérées comme les plus venimeuses. De récentes modifications de la distribution de certaines d’entre elles, d’origine essentiellement anthropique, en font un sujet plus que jamais d’actualité.
Dr Claude Maillaud, MD/PhD, président de la commission médicale et de prévention fédérale de Nouvelle-Calédonie.

Nous limiterons notre propos aux espèces pour lesquelles un appareil venimeux différencié, permettant l’inoculation d’acanthotoxines, a été décrit, bien que les crinotoxines présentes sur le revêtement cutané de certains poissons puissent également être quelquefois en cause. Nous nous focaliserons également sur les animaux représentant un danger potentiel pour le plongeur en scaphandre autonome, sans nous appesantir sur le plus vaste éventail d’espèces susceptibles de concerner le pêcheur sous-marin lors d’activités de capture.

4_Pterois volitans (crédit Hugues LEMONNIER)

Trois familles apparaissent responsables de la majorité des envenimations répertoriées sur le territoire français : les Trachinidae (vives), les Scorpaenidae (scorpènes ou rascasses, comptant les poissons-scorpions et les pterois), et les Synanceiidae (comprenant principalement les poissons-pierres), les deux dernières appartenant à l’ordre des Scorpaeniformes. Nous attirons l’attention du lecteur sur le risque de confusion résultant de l’usage des noms communs, éminemment variable d’une région à l’autre du monde francophone, d’où notre préférence pour celui de la nomenclature scientifique.

Les Trachinidae fréquentent les eaux froides et tempérées du littoral européen, de la mer Baltique à la Méditerranée. Quatre espèces sont répertoriées en France : Trachinus draco (grande vive), Echiicthys vipera (petite vive), Trachinus araneus (vive araignée), Trachinus radiatus (vive radiée), les deux premières ubiquistes, les deux autres cantonnées au littoral méditerranéen. Ces animaux vivent dans des fonds sableux dans lesquels ils s’enfouissent. Le contact vulnérant a lieu lorsque la victime pose, le plus souvent, le pied sur l’animal, ce qui représente un risque au moins théorique pour le plongeur s’immergeant depuis le rivage.

Les Scorpaenidae (scorpénidés) représentent une vaste famille divisée en deux sous-familles, les Scorpaeninae (poissons-scorpions, rascasses ou chapons) et les Pteroinae (pterois). Au sein de la première se rencontrent tant des espèces d’eaux tempérées telles que Scorpaena porcus (rascasse brune), S. notata (rascasse pustuleuse), S. scrofa (chapon) que des espèces à distribution tropicale telles que Scorpaena plumieri (rascasse tachetée), Scorpaenopis gibbosa (rascasse bossue), S. diabolus (poisson-scorpion diable), S. oxycephala (poisson-scorpion à houppes), S. possi (poisson-scorpion de Poos), S. papuensis (poisson-scorpion papou), Sebastapistes mauritiana (poisson-scorpion de Maurice), Scorpaenodes parvipinnis (poisson-scorpion à épines courtes) rencontrées, entre autres, dans l’Outre-Mer français (liste d’espèces non limitative).

Les Pteroinae (pterois) regroupent des espèces à distribution originellement indo-pacifique, telles que Pterois radiata (pterois radié), P. volitans (rascasse volante), P. miles (rascasse volante), P. antennata (pterois à antennes). Toutefois, l’espèce Pterois volitans, introduite très vraisemblablement de manière accidentelle dans les Caraïbes à la fin du vingtième siècle, prolifère depuis dans l’Atlantique Ouest. De même, cette espèce, du fait d’une migration translessepsienne rendue possible par le réchauffement climatique, est depuis peu observée dans l’Est de la Méditerranée [voir encadré « les pterois »].

Les Synanceiidae regroupent les poissons-pierres (sous-famille des Synanceiinae), parmi lesquels seule l’espèce Synanceia verrucosa (poisson-pierre, synancée) est distribuée dans les îles françaises de l’Indo-Pacifique, ainsi que des espèces appartenant au genre Inimicus telles qu’Inimicus caledonicus et I. dicdactylus (rascasse ennemie).

Scorpaeninae et Synanceiidae (rascasses et poissons-pierres) sont des espèces benthiques affectionnant les formations rocheuses et madréporiques, mais qui peuvent également se rencontrer sur des fonds sableux à proximité de celles-ci, partiellement enfouis. Ces poissons se caractérisent par un mimétisme redoutablement efficace les rendant difficiles à distinguer de leur support. Ils restent immobiles et ne cherchent en aucun cas à se soustraire au contact, certaines espèces telles que Scorpaenopis diabolus étant même capables de mouvements actifs afin d’infliger une piqûre, voire de charger le plongeur jugé importun. Les accidents surviennent volontiers lors de l’exploration de formations rocheuses ou coralliennes, lors d’un appui malencontreux de la main, l’animal n’ayant pas été repéré. En pratique, il est souvent difficile de distinguer au moment de l’accident une envenimation par Sorpaeninae d’une par Synanceiidae, compte tenu des similitudes morphologiques et comportementales entre certaines rascasses et le poisson-pierre, et de la difficulté pour la victime de se livrer sur le coup à une analyse morphologique pertinente de son agresseur…

Les Pteroinae (pterois), de par leur livrée chatoyante et leurs déplacements en pleine eau, sont plus aisément repérables et identifiables. Les contacts vulnérants surviennent le plus souvent lors de l’exploration de grottes, de crevasses et d’épaves abritant ces poissons. Les photographes sous-marins apparaissent particulièrement exposés aux accidents mettant en jeu des spécimens parfaitement repérés, d’autant que les pterois sont également capables de mouvements actifs afin d’infliger des piqûres.

Appareils vulnérants et caractéristiques des venins

1_Appareil venimeux de Scorpaenopsis possi (crédit Philippe BACCHET)L’appareil venimeux des poissons osseux est constitué d’épines dorsales dans tous les cas, rendant compte de la majorité des accidents, operculaires (chez les vives, ce qui concerne essentiellement les pêcheurs), anales et pelviennes (chez les poissons-pierres, les rascasses et les pterois, les pectorales n’étant pas venimeuses). Dans la grande majorité des cas, ce sont les trois premières épines dorsales qui sont en cause, que l’animal relève au moment du contact vulnérant afin de favoriser la piqûre.

Selon l’espèce, l’appareil venimeux est plus ou moins différencié. Il est représenté par des épines comportant chacune un squelette osseux, une enveloppe tégumentaire externe qui se déchire lors de la pénétration dans les chairs de la victime, et un tissu glandulaire le plus souvent interposé entre les deux, dans des gouttières antéro-latérales, et qui est comprimé lors de la piqûre, permettant la libération du venin. Chez les vives, le tissu glandulaire se trouve au niveau des premières épines dorsales et des épines operculaires. Chez les pterois, les épines, longues et fines, sont recouvertes d’un tissu glandulaire réparti sur toute leur longueur dans deux gouttières antéro-latérales, sans réservoir ni dispositif excréteur ; les piqûres sont volontiers multiples, punctiformes, le venin étant injecté passivement en quantités généralement faibles. Chez les poissons-pierres, les premières épines dorsales, courtes et larges, sont équipées de glandes à venin pourvues d’un réservoir à leur base et d’un canal excréteur s’abouchant à leur extrémité, permettant l’expulsion active d’une importante quantité de venin ; les impacts sont peu nombreux, volontiers profonds, la dose injectée élevée. Chez les rascasses, l’appareil venimeux prend un aspect proche de celui des poissons-pierres, avec des épines cependant plus longues et plus fines, dotées de deux gouttières abritant le tissu glandulaire et dépourvues, comme chez les pterois, de réservoir et de dispositif excréteur.

Les venins des poissons osseux ont des compositions complexes et éminemment variables d’un genre à l’autre, dans le détail desquels nous choisissons de ne pas rentrer, ces considérations nous paraissant de peu d’intérêt pratique. Ils sont de nature essentiellement protéique et de structure complexe, comportant entre autres des fractions létales chez l’animal, des enzymes et des médiateurs de l’inflammation responsables des phénomènes douloureux et des symptômes locaux de l’envenimation. Chez certaines espèces, telles que les poissons-pierres et certains scorpénidés, le venin est doté de propriétés toxiques pour le système cardio-vasculaire, voire pour le système nerveux, à l’origine de symptômes généraux quelquefois observés sur l’homme.

Les venins des poissons sont tous réputés thermolabiles, ce qui n’est pas dénué d’intérêt quant à la prise en charge des accidents. Toutefois, alors que la plupart sont inactivés lorsqu’ils sont portés à une température comprise, selon l’espèce, entre 40 et 45 °C, le venin du poisson-pierre Synanceia verrucosa requiert pour ce faire une température de plus de 50 °C, ce qui rend cette caractéristique inexploitable sur le plan thérapeutique sous peine de brûlure.

Caractéristiques des envenimations

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 283 Abonnez-vous

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