Jean-Marc Rodelet : « il faut parler aux animaux… »  

le 20/04/2017 publié dans le N°272 de Subaqua
INTERVIEW 272-UNE
J.M.RODELET P. MARTIN-RAZI
par J.M.RODELET P. MARTIN-RAZI

Jean-Marc Rodelet est plongeur, conférencier et directeur de Sharkschool Europe. Homme de mer et de terrain, il parcourt le globe pour partager son engagement dans la conservation des requins. Son credo : connaître les squales pour mieux les comprendre et les protéger.

INTERVIEW 272-1

Subaqua On connaît mal Sharkschool en France. De quoi s’agit-il ?

Jean-Marc Rodelet Sharkschool est un centre de recherche et de formation sur le comportement des requins et leur interaction avec l’homme. Il a été fondé en 1996 en Floride par Erich Ritter, docteur en écologie comportementale que l’on voit régulièrement dans les documentaires sur les requins (« Les requins de la colère » sur Canal +par exemple) ou dans des revues scientifiques. Sharkschool se spécialise dans trois domaines : l’éthologie des requins, l’interaction homme-requin et l’accidentologie. Nous pratiquons des analyses médico-légales des blessures, ce qui nous permet, entre autres, d’identifier l’espèce impliquée et de reconstruire les circonstances qui ont pu conduire à un accident. Nous collaborons avec différentes universités, le Global Shark Attack File ou encore certaines autorités locales qui font appel à notre expertise. Nous avons la volonté d’enseigner notre savoir à différents publics cibles : sauveteurs, plongeurs, apnéistes, surfeurs, secouristes… Afin qu’ils puissent comprendre ce qui se passe et agir de façon adéquate lors d’une rencontre avec un squale.

Subaqua Qu’entendez-vous par « façon adéquate » ?

Jean-Marc Rodelet Interagir signifie échanger des signaux que l’homme comme l’animal émettent et interprètent en permanence. Force est de constater que la grande majorité des plongeurs n’a pas la formation nécessaire pour comprendre l’intention d’un requin qui s’approche et encore moins pour gérer la situation comme il se doit. Les informations à ce sujet sont rares et souvent dépassées. En d’autres mots, en présence d’un ou plusieurs requins – à condition de ne pas en avoir peur – nous nous contentons de regarder (voire de les poursuivre) et de prendre un maximum de photos. Nous restons passifs et peu au fait de la richesse de ce qui se passe. Grâce à la formation que je donne, les plongeurs sont capables d’adopter un comportement adapté et de réagir de façon adéquate pour profiter de toute la richesse de l’interaction.

INTERVIEW 272-2

Subaqua Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Jean-Marc Rodelet Prenez deux situations : dans la première vous êtes dans le bleu, la profondeur est d’une cinquantaine de mètres et la visibilité est bonne. Tout à coup, vous voyez s’approcher de vous un gros requin, disons un requin-tigre. Dans la deuxième situation, vous vous trouvez près de la côte, la profondeur est d’environ 5 mètres sur un fond sablonneux. Soudain, vous voyez s’approcher un requin citron. Instinctivement, vous vous sentez davantage en sécurité dans la deuxième situation (c’est la réponse que me donne la grande majorité de mes élèves). Pourquoi ? La proximité du fond et du rivage vous rassure et le requin est un citron et non l’imposant requin-tigre. Or, contre toute attente, c’est la première situation qui s’avère la plus sûre. Le requin-tigre est en pleine eau, l’environnement lui permet de se déplacer et de s’échapper dans toutes les directions, ce qui le rassure et réduit son stress. La topologie de la deuxième situation est beaucoup plus contraignante pour le requin citron qui se sentira limité dans ses mouvements par le fond, la surface et le rivage, tous les trois proches et insécurisant pour une éventuelle fuite. Le requin se sentira stressé et agira de façon plus erratique. Son comportement aura une influence sur le vôtre et vice versa. Il peut se créer alors une escalade de stress de part et d’autre qui peut éventuellement devenir dangereuse.

Comme l’illustrent les exemples que je viens de vous donner, l’environnement joue un rôle majeur. Je dispose d’ailleurs de nombreux exemples filmés que je montre lors de mes cours. Mais ce n’est pas tout. Lors d’une interaction, de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte et rendent la situation plus complexe : le comportement du plongeur, son niveau de stress, la présence d’autres personnes, la visibilité, la luminosité, etc. sont autant d’éléments de l’équation qu’il faut analyser pour comprendre et s’adapter.

Subaqua Il y a peu, vous me disiez que de nombreuses informations sont dépassées…

Jean-Marc Rodelet Exact ! Beaucoup d’ouvrages d’aujourd’hui ne font que répéter du contenu que l’on trouve dans des livres sur les requins d’il y a 10 voire 20 ans. Par exemple, vous continuez à lire que, pour éviter un accident avec un requin, vous devez éviter à tout prix de vous mettre à l’eau avec une plaie ouverte ou encore que les requins confondent les surfeurs avec des tortues ou des otaries. La réalité est toute autre. D’une part, le sang humain n’attire pas le requin, d’autre part, les surfeurs, lorsque ça arrive, sont mordus parce que l’animal tente de comprendre ce qu’ils sont et non parce qu’il les confond avec une de leurs proies. Si le requin ne comprend pas ce qu’est cet « objet » qui flotte à la surface, il sait pertinemment ce que le surfeur n’est pas. Si un grand requin blanc confondait un surfeur avec une de ses proies, très peu, voire aucun surfeur ne reviendrait au rivage vivant. Or, la plupart des blessures sont superficielles. Nous venons d’ailleurs de publier une longue étude scientifique qui analyse ce phénomène en détail.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 272 Abonnez-vous

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