Karibu Pemba !

le 01/03/2022 publié dans le N°301 de Subaqua
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Pierre Constant
par Pierre Constant

Avec ses splendides paysages, la Tanzanie, terre de passage pour de nombreuses tribus nomades, offre un dépaysement total. Aujourd’hui, cette destination, riche d’une population ethnique bigarrée, héritage de ses anciens comptoirs commerciaux, s’est ouverte à la plongée, en particulier dans l’île de Pemba dans l’archipel de Zanzibar. Ce que nous raconte Pierre Constant dans ce récit naturaliste.
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Anémone en sac et  poisson anémone putois, Swiss reef.

Anémone en sac et
poisson anémone putois, Swiss reef.

/// Un peu d’histoire…

À l’issue du premier millénaire, la migration Bantu amena la tribu Hadimu au sud et à l’est de Zanzibar et la tribu Tumbatu au nord. L’île a été le berceau des humains voilà déjà 20 000 ans, depuis la fin de l’Âge de la pierre. Les marchands Swahili font du commerce dès le IXe siècle, ils seront suivis par les Perses, les Indiens et les Arabes, à la recherche de l’or, de l’ivoire et de l’ambre gris. La visite de Vasco de Gama en 1498 amène Zanzibar dans le giron de l’empire portugais (1503-1504), lorsque le capitaine Ruy Lourenço Ravasco Marques demande tribut au sultan en échange de la paix. L’île demeurera possession du Portugal pendant deux siècles. Deux ans après l’arrivée des Portugais, Zanzibar tombe sous l’influence du sultanat d’Oman en 1698.

Vieux dispensaire à Stone Town.

Vieux dispensaire
à Stone Town.

L’élite Zanzibari invite les princes marchands d’Oman à s’installer sur l’île. Vers 1840, le sultan de Muscat et d’Oman déplace sa capitale à Stone Town. Appelé Spice Islands (les îles épices) à cause du clou de girofle et autres épices, l’archipel devient une plateforme de commerce pour l’ivoire. À cette fin, le sultan Majid bin Said consolide son pouvoir autour de la traite des esclaves d’Afrique de l’Est. Malindi (Stone Town) devenant le premier port de la côte Swahili pour la traite des noirs avec le Moyen Orient. Au milieu du XIXe siècle, 50 000 esclaves transitent annuellement par le port. À la suite d’une révolte des esclaves et à la menace d’un blocus de Zanzibar par les Anglais, le traité Anglo-Zanzibari est signé par le sultan et la traite des esclaves abolie en 1873. Zanzibar devient une monarchie constitutionnelle au sein du Commonwealth. Un mois plus tard, en janvier 1874, le sultan est déposé pendant la révolution Zanzibari et la République du peuple de Zanzibar et de Pemba est créée. En avril 1964, cette république se fond avec le Tanganika pour devenir la République Unie de Tanzanie, au sein de laquelle Zanzibar conserve son autonomie.

/// Un trou dans la coque !

Stone Town, le cœur historique de Zanzibar, semble livré aux corbeaux coassant et aux chats errants. C’est une destination de vacances pour les Allemands, les Français et, plus récemment, pour des hordes de Russes et de Polonais à la recherche de l’exotisme, des boutiques de souvenirs, du marché aux épices et du soleil tropical. Zanzibar attire aussi les plongeurs, à en juger par le nombre de centres de plongée répartis sur l’île. Ma quête repose plus loin sur l’île de Pemba. La plupart des plongeurs prennent l’avion pour aller à Pemba. Pour ma part, avec cinq bagages, ce n’est pas une option. C’est ainsi qu’un matin de bonne heure, portant ma charge dans les ruelles étroites de Stone Town, je hèle un taxi derrière le vieux fort arabe.

Passagers et cargo du ferry Azam Sealink.

Passagers et cargo
du ferry Azam Sealink.

Au terminal des ferries, le cargo-passagers Azam Sealink est à quai. Un fourmillement d’humains est prêt à embarquer tout ce que l’on peut imaginer. J’abandonne mes deux gros sacs dans un coin de la cale, où ils disparaîtront sous une pile d’objets hétéroclites. Je me fraye un passage le long des coursives pour rejoindre le confort climatisé du salon de 1re classe. Un soulagement de courte durée, alors que l’espace se remplit de femmes portant leur baibui’ noir (longue robe traditionnelle) et le niqab de couleur (voile de tête), avec leur assortiment de bébés pleurnichards. Un concert dont je suis gratifié pendant les 5 heures et demie de traversée, couvrant les 100 km jusqu’au port de Mkoani. Eddy, le chauffeur du Gecko Nature Lodge, m’attend à l’arrivée à Pemba, pour un coup de main bienvenu. Transfert pour la pointe nord de l’île, sur une bonne route asphaltée pour les deux heures à suivre, à l’exception d’une portion finale de piste défoncée à travers la Ngezi National Forest, puis les plantations de cocotiers et de manioc. Au terme de cette longue journée, on n’est pas mécontent d’arriver au Gecko Nature Lodge, base des Swahili Divers.

Mike dans le centre de  plongée de  Swahili Divers.

Mike dans le centre de
plongée de Swahili Divers.

Mike, son jovial propriétaire de 65 ans, me salue d’un chaleureux « Bonjour ! ». Cet Américain, d’origine libanaise, parle français. Le grand bungalow est plutôt spartiate, mais fonctionnel, avec un lit central sous moustiquaire au sommet d’une plateforme en ciment. Une large margelle surélevée court le long d’un mur latéral, pratique pour déballer ses affaires et les équipements de plongée. La salle de bains est « minimaliste » sous une toiture en palmes de cocotiers. L’endroit est désert : je suis le seul client ! Alors que la nuit tombe, le rire caractéristique des bush babies résonne dans les arbres alentour de la case salle à manger. C’est assurément le bout du monde. Je dors, bercé par le déferlement des vagues sur le récif…

La plongée est prévue à 8 heures, mais un délai de deux heures s’impose pour raisons logistiques. Le bateau de 5,50 mètres est ancré à quelques encablures de la plage corallienne et un moteur hors-bord de 40 CV doit y être apposé d’abord. Composé de Khalifa, Kassim et du capitaine Kombo, le staff Swahili l’a déjà chargé de blocs, de l’équipement, d’une glacière et des deux incontournables cannes à pêche de Mike. Nous ne sommes pas partis depuis deux minutes que Kassim, accroupi à la proue, lance soudain ses bras en l’air. Une tige de fer plantée dans le récif vient de trouer la coque de fibre de verre ! L’eau gicle dans l’embarcation comme un geyser. Nous changeons de bateau aussitôt le moteur transféré de l’un à l’autre.

/// Plongées sur Njao

Dascyllus à 3 points, “Dascyllus trimaculatus”, Rudy’s Wall.

Dascyllus à 3 points, “Dascyllus trimaculatus”, Rudy’s Wall.

Cap au sud pour une traversée de 30 minutes sur une mer agitée. Le site de l’Aquarium est à 200 mètres du rivage. Nous roulons par-dessus bord en aplomb d’une patate de corail, frétillante de petits poissons, d’anthias orange et rose et de poissons-verre. La visibilité n’est pas terrible. Pour Mike, c’est une plongée d’orientation pour évaluer mes compétences.

Corail en feuille,  Turbinaria mesenterina, Aquarium.

Corail en feuille,
Turbinaria mesenterina, Aquarium.

Un merveilleux jardin de corail en feuilles (Turbinaria mesenterina) recouvre la pente en anneaux concentriques, jusqu’au fond de sable blanc. Le poisson s’avère rare, malgré un passage de fusiliers néons, d’un petit banc de vivaneaux du Bengale (Lutjanus bengalensis), d’unicornes à pois noirs et un poisson feuille blanc, peu enclin à poser pour le photographe exigeant. L’intervalle de surface se fait à l’île de Njao, un récif corallien surélevé. La glacière est amenée sur le récif découvert à marée basse. « Sers-toi de cake au chocolat et de quartiers d’oranges. Veux-tu un café ou un thé ? », propose Mike. Un rituel qui sera répété au quotidien.

Trigger Wall est à l’embouchure du chenal qui sépare Njao de Pemba. En surface, la visibilité est affectée par des eaux verdâtres, mais en profondeur, sous les 20 mètres, cela s’éclaire avec une profusion de gorgones dans les tons orange, or et rouge. J’admire tétrodon carte, poisson feuille noir, poisson ange jaune à lèvres bleues (Apolemichthys trimaculatus), labre à queue de lyre (Bodianus anthioides), un petit banc d’unicornes (Naso thynnoides). Sans oublier quelques espèces comme le poisson anémone putois rose (Amphiprion akallopisos), le poisson anémone d’Allard (Amphiprion allardi), noir avec deux bandes blanches, une queue blanche et le ventre orange. Les anémones en sac rouge ou orange sont fascinantes.

Sur le chemin retour, Mike lance ses lignes à l’eau. Il ne tarde pas à attraper une superbe daurade coryphène (Coryphaena hippurus), connue aussi comme dolphinfish ou mahi-mahi, au dos bleu cobalt et ventre jaune d’or. « Du sashimi pour ce soir ! » s’exclame Mike, enthousiaste. Se trémoussant comme un gamin espiègle, il déclare, pointant Kombo le skipper : « Je l’appelle Capitaine Moja (un), parce qu’avec lui on attrape toujours un poisson. Quant à Khalifa, c’est capitaine Sifuri (zéro), parce qu’avec lui on n’attrape jamais rien ! ».

Le lendemain matin, le petit bateau a été prestement réparé grâce à une résine hyper efficace. Les alizés du sud-ouest soufflent. « C’est le début de la saison des pluies… », m’annonce-t-on. « Hakuna matata !… », dira un autre : pas un problème. L’océan est formé, il y a des moutons au sommet des vagues. Nous sommes malmenés pendant plus d’une heure, jusqu’à arriver à la pointe sud de l’île de Njao. Pas le meilleur traitement pour mon appareil photo sous-marin, posé au fond du bateau sur un coussin de mousse défraîchi…

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 301 Abonnez-vous

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