Le T9, tragique destin

le 02/01/2014 publié dans le N°252 de Subaqua
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Jean-Louis Maurette
par Jean-Louis Maurette

Le 26 avril 1944, alors que Royal Navy reprend progressivement possession de la Manche, un combat naval sans merci oppose le croiseur anglo-canadien Black Prince au torpilleur allemand T29. Il sera fatal au navire de la Kriegsmarine qui repose aujourd’hui par 57 mètres de fond au large de Ploumanach. Une plongée aussi riche en souvenirs émouvants qu’en rencontres avec une faune remarquable. Un reportage de Jean-Louis Maurette pour l’Expédition Scyllias.

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Fin 1942 le vent de la défaite commence à souffler de manière inquiétante pour les armées de l’Axe qui viennent de perdre la bataille de l’Atlantique. À présent, les bateaux du roi Georges peuvent reprendre progressivement possession des lieux d’où ils avaient été momentanément évincés. L’année 1943 voit donc la Royal Navy se préoccuper à nouveau des zones maritimes qu’elle s’était vue obligée de délaisser au commencement du conflit.

C’est le cas de la Manche, traditionnellement chasse gardée des navires de guerre de la « Blanche Albion ».

La Kriegsmarine a perdu la plupart de ses gros bâtiments de surface et seules restent des unités côtières de moindre importance comprenant quelques torpilleurs et destroyers mais surtout une majorité de Speerbrecher, de dragueurs de mines et de chalutiers armés, unités destinées avant tout à la protection du littoral et des bases sous-marines.

Cette flotte de navires hétéroclites, mais néanmoins vitale pour l’Allemagne, va faire l’objet de la plus grande attention de la part des Alliés qui possèdent maintenant une suprématie écrasante sur mer et dans les airs.

Afin d’éliminer définitivement la présence de la Kriegsmarine du « Charnel » la Marine britannique se lance alors dans une série d’actions offensives allant du classique minage à l’attaque des navires allemands par des bâtiments de surface ou des sous-marins.

 

     

  • UN COMBAT SANS MERCI

    Le 23 avril 1944 des avions anglais ont repéré à Saint-Malo trois torpilleurs de la classe Elbing. Il s’agit des T24, T27 et T29, appartenant à la 4e Flottille commandée par le Korvetten Kapitän Franz Kohlauf.

    Le commandement allié envoie alors le 25 avril la Force 26 en embuscade au nord des Sept Îles afin d’intercepter les bâtiments allemands au cas où ces derniers seraient tentés de rejoindre le port de Brest. La Force 26 est une redoutable formation anglo-canadienne constituée du croiseur HMS Black Prince, des destroyers HMS Ashanti, HMCS Athabaskan, Huron et Haïda.

    • L’affaire paraît plutôt mal engagée quand le 26 avril, vers 1 h 30, détectée par des radars ennemis, l’escadre alliée essuie le tir d’une batterie côtière allemande. Les gros obus de 203 mm qui encadrent de près la Force 26 se dirigeant cap au sud l’obligent à faire mouvement vers le nord-est. 

    • Peu de temps après s’être éloigné de ce dangereux voisinage les rôles s’inversent et c’est au tour des bateaux de la Force 26 de capter des échos sur leurs écrans radars. Nul doute, il s’agit des trois torpilleurs classe Elbing qui naviguaient vers l’ouest, virent à 180° et repartent vers Saint-Malo. 

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    Le départ de la chasse est donné et à 2 h 30 l’artillerie du Black Prince se déchaîne. À une dizaine de milles de distance les salves d’obus de 5.25 pouces s’abattent en sifflant sur les T24, T27 et T29. Plusieurs impacts sont enregistrés mais d’importants problèmes techniques, auxquels s’ajoutent des torpilles lancées par les bâtiments allemands, obligent le Black Prince à rompre prématurément le combat.

    Malgré cette défection forcée, la bataille continue dans l’obscurité qu’illuminent par moments les éclatements des coups au but. Des deux côtés les canons tonnent sans répit, les torpilles giclent de leurs tubes à la recherche d’une proie. L’engagement est d’une extrême violence.

    À 3 h 27, atteint à plusieurs reprises par les pièces des Athabaskan et Haïda au niveau des chaudières et des machines, le T29 est la proie des flammes et stoppe. Les marins allemands résistent courageusement et, malgré le violent incendie qui embrase leur bateau, continuent de tirer.

    Mais immobilisé, le T29 est à l’agonie et les deux puissants destroyers canadiens foncent à la curée, ravageant avec leur artillerie le torpilleur transformé en un gigantesque brûlot. C’est l’hallali. Un des obus qui s’abattent sans discontinuer tue le Korvetten Kapitän Kohlauf.

    L’ordre d’évacuation est alors donné par un des rares officiers survivants, le Kapitänleutnant Bachmann, qui reste à bord pour saborder le bâtiment et disparaît à son tour dans l’infernal brasier.

    À 4 heures, soixante-treize rescapés hurlent un dernier Sieg-Heil en hommage au T29 qui coule pavillon haut devant Perros-Guirec dans un bouillonnement d’écume et de vapeur.

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    Dans le carreau BF 2929 des cartes de la Kriegsmarine, seuls quelques débris encore fumant parsèment les flots et marquent la tombe du torpilleur qu’accompagnent dans la mort 137 hommes dont une grande partie de l’état-major de la 4e Flottille qui avait embarqué à son bord. 

  • Le temps du recueillement

    Début juillet, Christophe Moriceau et moi rejoignons notre ami Jacques Le Lay qui nous a donné rendez-vous tôt le matin au charmant port de Ploumanach afin de rendre une petite visite de courtoisie au T29.

    Cela fait bientôt une heure que nous roulons dans un brouillard tenace. Cette ambiance cotonneuse à quelque chose de fantastique propice aux vagabondages de l’esprit.

    Un ami, Guido Kalweit, nous avait demandé précédemment d’aller déposer quelques fleurs sur la tombe du frère de son grand-père qui servait sur le T29 et avait péri lors du combat du 26 avril 1944. Ce que nous avons fait la veille au cimetière allemand de Lesneven-Ploudaniel où nous avons pu apercevoir plusieurs tombes de marins allemands ayant servi sur ce torpilleur*.

    Tout à nos pensées à l’évocation de ces multitudes de pathétiques petites plaques de bronze qui marquent le souvenir de ces hommes morts au combat nous avons à peine remarqué que le brouillard s’était peu à peu dissipé. Nous arrivons avec une heure trente d’avance. Gast ! Comme dirait un ancien, c’est ce qui s’appelle être à l’heure !

    Le ciel est à présent magnifique, avec de curieuses couleurs : bleu azur à notre verticale, turquoise sur les côtés et beaucoup plus foncé vers le nord. Étranges nuances que pas un nuage ne vient troubler. Les lambeaux d’une brume matinale parsèment encore le port de Ploumanach.

    Le silence est à peine troublé par le bruit que fait un vieux pêcheur qui s’affaire dans sa barque et les cris poussés parfois par deux aigrettes blanches déambulant avec grâce à la recherche de nourriture. Nous nous promenons un bon moment le long du bord et apprécions la sérénité des lieux en cette période estivale.

    Le fond de l’air est plutôt frais et une légère brise naissante nous incite à nous réfugier dans un bistrot qui vient d’ouvrir et semble nous tendre les bras. Nul doute qu’un bon café nous fera le plus grand bien. Quelques tasses plus tard nous apercevons Jacques qui arrive avec le pneumatique à l’heure pile. Ponctualité rime avec efficacité ! 

 

 

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 252 Abonnez-vous

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