Plongeurs, Pourquoi s’hydrater ?

le 20/06/2017 publié dans le 269 de Subaqua
MEDICALE 269-UNE
THIERRY KRUMMEL
par THIERRY KRUMMEL

La nécessité de bien s’hydrater est désormais largement enseignée aux plongeurs. Une nécessité d’autant plus cruciale que l’on plonge dans les pays chauds. D’accord mais pourquoi ? Le docteur Thierry Krummel, médecin fédéral, président de la commission médicale et de prévention du Bas-Rhin, moniteur fédéral 2e degré et néphrologue au CHU de Strasbourg répond à ces questions.

Tout d’abord il nous faut définir ce qu’est une hydratation normale et une déshydratation. Notre organisme est constitué pour 55 à 60 % par de l’eau qui est répartie partout, notamment dans et en dehors des cellules. La répartition de l’eau entre les secteurs intra et extra-cellulaires est dépendante de l’osmolalité sanguine (concentration des substances dissoutes du plasma) qui est déterminée en grande majorité par la concentration en sel (NaCl) localisé essentiellement en dehors des cellules. Donc pour avoir un bon état d’hydratation et un bon fonctionnement cellulaire il faut avoir un stock d’eau normal mais également un stock de sel normal. Une déshydratation correspond à un déficit en eau mais peut donc aussi correspondre à un déficit en sel. Ainsi, un manque d’eau va essentiellement perturber les fonctions cellulaires et un manque de sel va diminuer le volume extra-cellulaire et sanguin, le tout modifiant de nombreuses fonctions vitales de l’organisme et favorisant certaines complications de la plongée sous-marine.

MEDICALE 269-1Conséquences d’une hydratation insuffisante pour le plongeur

>  Risque d’ADD

La déshydratation par manque d’eau et de sel augmente la viscosité sanguine et se complique d’une vasoconstriction qui fait que certains territoires de l’organisme ne sont plus bien perfusés. Cela peut donc modifier la saturation et la désaturation en gaz inerte, altérer la mobilité des bulles et favoriser la coagulation autour des bulles. Tout ceci concourt donc à augmenter le risque d’accident de désaturation. Il n’y a pas d’étude chez l’homme qui confirme ce risque augmenté, mais en revanche cela a été démontré sur des chèvres. L’expérimentation a consisté à comprimer des chèvres en caisson et à les décomprimer rapidement. Celles qui étaient rendues déshydratées par l’administration d’un diurétique et une privation d’eau présentaient beaucoup plus d’accidents neurologiques et cardiopulmonaires et mourraient beaucoup plus que celles qui n’ont pas eu de diurétique et qui pouvaient s’hydrater normalement. Chez l’homme nous avons des arguments indirects, notamment on retrouve souvent a posteriori des arguments pour une déshydratation chez les plongeurs adressés au caisson pour un ADD. Et nous disposons également d’une étude réalisée par la Marine nationale qui démontre que la prise de 1 300 ml d’eau salée dans les 90 minutes qui précèdent une plongée de 30 minutes à 30 mètres permettait de réduire significativement le taux de bulles circulantes et on sait que ce taux de bulles circulantes est bien corrélé au risque d’accident de désaturation.

>  Fatigue

La fatigue est un problème multifactoriel dont il est difficile d’affirmer la cause. Il semble cependant qu’une bonne part de la fatigue après plongée soit liée à l’azote dissout ou aux bulles puisque le nitrox permet de réduire cette fatigue. Cependant, sachant que la déshydratation est bien connue comme étant une source de fatigue et de baisse des capacités physiques et que comme nous le verrons dans les lignes qui suivent, la plongée est une source possible de déshydratation, on ne peut pas exclure que la fatigue rencontrée après la plongée ne soit pas expliquée en partie par une déshydratation.

Comment se déshydrater ?

Il faut savoir qu’en physiologie normale nous perdons constamment de l’eau, notamment par la respiration, la transpiration et les selles, on appelle cela les pertes insensibles. On peut estimer que cela représente environ un demi-litre d’eau par jour qu’il faut compenser par la boisson lorsqu’on est en bonne santé et avec une activité modérée. La quantité de sel perdue dans les pertes insensibles est faible et une alimentation peu salée suffit en temps normal pour compenser ces pertes. D’autre part, les reins sont en charge de l’élimination d’un certain nombre de déchets qu’ils éliminent dans l’urine qu’ils fabriquent. Pour un fonctionnement optimal des reins, il est recommandé d’avoir des apports liquidiens d’environ 2 litres par jour, bien répartis dans la journée, afin d’avoir une diurèse (débit d’urine) entre 1,5 et 2 litres par jour. Le débit de diurèse s’adapte en effet à chaque instant aux besoins de l’organisme afin de maintenir un état d’hydratation normal. Pour faire simple, si on boit beaucoup et qu’on est plein d’eau on va beaucoup uriner et si on ne boit pas et qu’on est « sec » on urinera très peu. Lorsqu’on est en bonne santé avec des reins qui fonctionnent normalement, on ne perd donc pas d’eau par les reins, on ne fait qu’éliminer ce qu’on a bu. Normalement plus de 80 % de ce qu’on boit sont éliminés dans l’urine dans les 4 heures qui suivent.

Les causes de déshydratation sont donc essentiellement une insuffisance de prise de boisson et/ou des pertes hydriques et sodées excessives. Nous allons maintenant voir quelles sont les causes les plus fréquemment rencontrées chez les plongeurs.

>  Avant la plongée

Comme on l’a vu précédemment, les pertes insensibles qui sont continues tout au long de la journée et de la nuit peuvent amener à une déshydratation si on ne les compense pas. Donc après une bonne nuit de sommeil pendant laquelle on a respiré et transpiré on est forcément un peu déshydraté. Le plongeur qui va plonger sans avoir petit-déjeuner et bu s’immergera donc légèrement déshydraté.

L’absence de prise de boisson peut être involontaire par absence de soif ou volontaire et c’est alors le plus souvent pour ne pas avoir à uriner dans la combinaison. Il me faut alors bien rassurer tout le monde, l’urine n’est pas sale et tout à fait stérile, simplement d’autant plus odorante qu’elle est concentrée parce qu’on est déshydraté. Cela ne doit pas être une raison de ne pas boire, dans une combinaison humide l’eau circulant dans la combinaison va chasser l’urine et plus vous aurez bu, moins l’urine sera odorante ! Pour les plongeurs utilisant des combinaisons étanches il y a la solution des couches ou des pee-valves pour les messieurs et des she-valves pour les dames. Avec ces dispositifs, on peut d’hydrater correctement sans craindre d’avoir à uriner dans la combinaison ce qui est très important pour les plongées longues.

Lors de séjours en pays chauds, la transpiration peut-être importante et représenter une perte d’eau et de sel conséquente. Le bon sens indique dans ces situations d’enfiler sa combinaison le plus tard possible et de s’abriter du soleil afin de ne pas suer davantage. Lors de ces séjours, mais cela peut également arriver n’importe où, une gastro-entérite avec des vomissements et/ou de la diarrhée peut également représenter une source de déshydratation importante d’autant plus que les vomissements empêchent la prise de boisson.

Enfin, la prise de médicaments diurétiques pour le traitement d’une hypertension artérielle peut également favoriser une déshydratation et c’est pourquoi ils ne sont pas recommandés en première intention chez les hypertendus plongeurs.

>  Pendant la plongée

• La diurèse d’immersion

Nous avons vu précédemment que la diurèse s’adaptait aux besoins de l’organisme et aux boissons, cela est également vrai lors de l’immersion mais une particularité va faire que la diurèse peut finalement dépasser son objectif et être à l’origine d’une déshydratation.

Tous les plongeurs savent que lorsqu’on s’immerge nous sommes soumis à une pression hydrostatique qui s’applique sur la surface de l’organisme. Cette pression comprime les petites veines superficielles ainsi que le tissu interstitiel sous cutané avec en conséquence le transfert en quelques minutes d’un volume liquidien d’environ 700 ml vers le thorax. Les Anglo-Saxons appellent cela le blood-schift. Le cœur est alors dilaté en raison de l’excès de volume sanguin intrathoracique. L’organisme va alors tout faire pour lutter contre cet excès de volume au niveau central, notamment sécréter des peptides natriurétiques et inhiber la libération de substances antidiurétiques et vasoconstrictrices (vasopressine, noradrénaline, angiotensine II, aldostérone). Au final le résultat est une baisse des résistances vasculaires (vasodilatation), une augmentation du débit sanguin rénal et une augmentation de la diurèse de 2 à 6 fois le débit avant immersion. Ceci a été démontré lors d’immersions de plusieurs heures au cours desquelles il a également été démontré que ces mécanismes d’adaptation n’étaient présents que si les plongeurs étaient bien hydratés et n’étaient pas immédiats si bien que l’augmentation de la diurèse est probablement moindre lors de plongées loisir d’une durée de 30 à 45 minutes. En revanche les plongeurs tek qui ont des durées d’immersion longues sont tout à fait concernés. L’objectif de cette augmentation de la diurèse d’immersion est de restaurer un remplissage cardiaque normal, cependant lors d’immersions longues l’objectif peut être dépassé et on se retrouve alors en déshydratation. À la sortie de l’eau, cet état de déshydratation et d’hypovolémie (volume sanguin diminué) se majore encore car l’effet de la pression sur les membres disparaît et les petites veines superficielles et le tissu interstitiel se remplissent à nouveau au dépendant du volume sanguin thoracique.

• Le froid

Les mécanismes de la diurèse d’immersion décrits plus haut ont été démontrés lors d’immersions en thermoneutralité (34 °C). Ils sont également retrouvés lors d’expérimentations dans des eaux froides (18 °C et 10 °C) où ils sont plus intenses et plus précoces. En effet, le froid est responsable d’une vasoconstriction périphérique, notamment cutanée, qui augmente la résistance à l’éjection cardiaque et stimule davantage les peptides natriurétiques.

• Ventilation

Lors de la ventilation au quotidien nous respirons essentiellement par les fosses nasales où l’air est filtré, réchauffé et humidifié. De plus, l’air contenu dans nos bouteilles de plongée est sec car l’humidité a été éliminée par des filtres lors du processus de gonflage. Nous inspirons donc en plongée un gaz sec que nous n’humidifions pas. Dans nos alvéoles pulmonaires l’air est fortement chargé en eau sous forme de vapeur d’eau que l’on voit bien lorsqu’on expire par temps froid ou lorsqu’on souffle sur nos lunettes pour les nettoyer. On perd donc de l’eau à chaque expiration. Cependant la quantité d’eau perdue est assez faible, on peut l’estimer à environ 40 grammes ou millilitres par m3 de gaz alvéolaire. En vidant complètement une bouteille de 15 litres gonflée à 200 bars (3 m3) on pourrait donc perdre théoriquement environ 120 ml d’eau. Cependant ce calcul surestime certainement la vérité puisqu’en inspirant un gaz froid nous abaissons la température de l’air alvéolaire et donc la quantité d’eau que peut contenir cet air alvéolaire. En plus, lorsque nous ventilons, une part significative du volume reste dans l’espace mort et ne se charge donc pas en eau. Enfin, une part du volume de notre bloc sert également à gonfler le gilet stabilisateur et éventuellement la combinaison étanche. La ventilation ne représente donc probablement pas une source importante de déshydratation en plongée loisir. En revanche, en plongée tek avec des temps d’immersion importants et donc des volumes ventilés importants en circuit ouvert, la perte hydrique peut devenir significative. La parade est alors d’utiliser un recycleur qui permet de respirer un gaz humide car l’adsorption du CO2 par la chaux produit de l’eau.

>  Après la plongée

Après la plongée il n’y a pas de facteur nouveau favorisant la déshydratation, mais ceux qui ont été décrits précédemment peuvent persister. Notamment le froid peut persister et les peptides natriurétiques sécrétés en raison du blood-shift et du froid ont une durée d’action de quelques heures. En pays chauds, la chaleur et le soleil peuvent être encore plus forts à la sortie de la plongée du matin.

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Comment savoir si on est bien hydraté ?

La sensation de soif est, en simplifiant beaucoup, la conséquence d’un ratio sel/eau augmenté dans l’organisme. On a en effet tous expérimenté que la consommation de biscuits apéritifs salés stimulait fortement l’envie de consommer un apéritif, ce n’est donc pas innocent si les bistrotiers distribuent des biscuits salés, cela permet de stimuler la consommation de boissons même si on n’est pas déshydraté. Le plus souvent, la soif est stimulée parce qu’on a perdu de l’eau et qu’on est déshydraté. Cependant, si on perd également du sel, le ratio sel/eau peut rester constant et la soif ne pas être stimulée, c’est ce qui arrive avec la diurèse induite par l’immersion. En revanche, les autres causes de déshydratation, comme la transpiration ou la diarrhée par exemple, stimulent fortement la soif. Donc pour résumer, si on plonge en ayant soif, il est certain qu’on est déshydraté et si on n’a pas soif après une plongée on est peut-être déshydraté quand même.

On a vu au tout début que le débit de diurèse s’adaptait à l’état d’hydratation, donc si on est déshydraté le débit sera faible et l’urine concentrée, donc plus foncée et plus odorante. Cela peut être un moyen simple mais très approximatif d’estimer son état d’hydratation. En effet il suffit d’uriner avant de s’équiper et de regarder la couleur de l’urine pour avoir une idée de son état d’hydratation. La difficulté réside dans le fait qu’il faut avoir envie d’uriner et qu’il faut uriner dans un pot ou uriner à la lumière et sur un fond blanc… De manière plus précise cela peut également être fait avec des bandelettes réactives permettant d’estimer la densité urinaire qui devrait être maintenue inférieure à 1,015.

Si on n’a pas envie d’uriner et que cela fait plusieurs heures qu’on n’a pas uriné, c’est certainement qu’on est au moins un peu déshydraté. En effet, la vessie peut contenir un volume important d’urine mais le besoin d’uriner apparaît lorsqu’elle contient 300 à 350 ml, donc si on urine 1,5 à 2 litres d’urine par jour pendant la période d’éveil, parce qu’on est bien hydraté, on devrait uriner environ 5 à 6 fois par jour, soit en moyenne toutes les 3 heures.

A posteriori, si un plongeur n’a pas envie d’uriner pendant ou après une plongée, c’est aussi certainement qu’il n’était pas suffisamment hydraté. En effet, sachant que la diurèse peut être multipliée par 2 à 6 en immersion, après une plongée de 45 minutes, la vessie devrait commencer à être bien remplie et il a été démontré que l’augmentation de la diurèse induite par le blood-shift n’était réelle que chez les plongeurs bien hydratés.

Donc, pour résumer, ce n’est pas facile de savoir si on est bien hydraté, le plus sûr est donc de s’hydrater de manière systématique avant et après une plongée, surtout si elle est engagée.

Comment s’hydrater au mieux ?

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L’hydratation stricto sensu se fait avec de l’eau que l’on trouve dans toute boisson, cependant on a vu que le sel avait également une importance. Donc une bonne hydratation ne peut être réalisée avec de l’eau que si on a également bien mangé au préalable. Les sportifs qui font des efforts prolongés comme les marathoniens doivent boire pendant la course mais ne peuvent pas manger trop car on digère mal pendant l’effort, ils consomment donc de petites quantités d’aliments sucrés pour l’énergie et consomment des boissons contenant du sel pour compenser les pertes liées à la transpiration. Le plongeur peut également appliquer ce principe s’il plonge à distance d’un repas et c’est d’ailleurs avec ce type d’hydratation que la Marine nationale a démontré le bénéfice de l’hydratation sur le taux de bulles circulantes.

Dans les pays avec des conditions sanitaires douteuses il est préférable de consommer des boissons en bouteilles encapsulées afin d’éviter toute contamination microbienne qui pourrait être à l’origine d’une gastro-entérite. Si jamais une gastro-entérite survenait quand même, l’appétit étant souvent réduit il est alors conseillé de boire sucré et salé. Mais même avec cette hydratation sucrée et salée, la prudence impose de ne pas plonger à la phase aiguë d’une gastro-entérite.

L’alcool n’est pas conseillé, il hydrate moins bien car il augmente la diurèse et surtout il favorise la narcose et des comportements à risque.

Donc pour conclure, mangez et buvez sans alcool avant de plonger, vous diminuerez comme cela le risque d’ADD. Buvez également après la plongée, vous réduirez probablement votre fatigue d’après plongée. Et tout cela surtout si la plongée est longue et/ou dans de l’eau froide. 

Références :

1. Jimenez C, Regnard J, Robinet C, Mourot L, Gomez-Merino D, Chennaoui M, et al. Whole body immersion and hydromineral homeostasis : effect of water temperature. Eur J Appl Physiol. 2010 ;108(1):49-58.

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3. Gempp E, Blatteau JE, Pontier JM, Balestra C, Louge P. Preventive effect of pre-dive hydration on bubble formation in divers. Br J Sports Med. 2009;43(3):224-8.

4. Brouant B. Hypertension et plongée. Subaqua Mai-Juin 2014  (254), 86-87.

5. Lafay V, Brouant B, Coulange M, Phan G, Krafft R, Finet G, Roche F, Grandjean B. Pratique de la plongée et des sports subaquatiques par les patients ayant une hypertension artérielle systémique. Bull Med Sub Hyp. 2014;24(1):19-39.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 269 Abonnez-vous

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