Quelle méduse fera-t-il demain ?

le 02/02/2013 publié dans le N°246 de Subaqua
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Stephan Jacquet
par Stephan Jacquet

Dans 20 000 lieues sous les mers, Jules Verne avait imaginé l’océan vidé de ses poissons et mammifères marins mais rempli de méduses. Et si cette vision était prémonitoire ? Dans différents endroits de la planète bleue, force est en effet de constater que ces cnidaires gélatineux sont en train de devenir de plus en plus importants. À défaut de les voir ou faire disparaître, ce qui serait vraiment utile serait alors de disposer d’un outil prédisant l’arrivée des méduses près des côtes…

Au cours de l’été 2012, la presse écrite, audiovisuelle, Internet s’en sont largement fait le relais. De quoi ? De la ”météo des méduses” ! De quoi s’agit-il ? On connaissait les prévisions météo. Désormais, les baigneurs ont à leur disposition des cartes (sur les journaux locaux et Internet), grâce aux chercheurs de l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer qui ont mis au point un programme informatique (on parle de modélisation) permettant de prédire les probabilités, plage par plage de la Côte d’Azur, d’échouage de Pelagia noctiluca.

Désormais, à la question ”il fera quel temps demain ?”, on pourra dire ”quelle méduse fera-t-il ?” !

Les méduses sont à la fois magnifiques et gênantes, voire dangereuses. Dans de nombreux endroits du globe, il semble que ces dernières soient de plus en plus nombreuses et cela ne va pas sans causer quelques soucis cutanés (typiquement sur nos côtes), des brûlures sévères jusqu’au déclin annoncé de certaines pêcheries (au Japon par exemple).

On rapporte en effet que certains pêcheurs de Namibie peuvent parfois ramener plus de méduses que de poissons dans leurs filets. Au Japon et en Corée, la mer est aujourd’hui infectée par la méduse géante Nemopilema nomurai qui peut atteindre 2 m et 200 kg.

Résultat : des eaux où il est bien difficile de pêcher du poisson, des filets détruits ou tellement alourdis que certains bateaux manquent presque de chavirer !

Et ces phénomènes qui n’arrivaient que de temps en temps sont aujourd’hui récurrents chaque année. Et c’est un peu pareil pour les plages azuréennes.

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Revenons donc sur la Côte d’Azur. Cette ”météo des méduses”, j’ai trouvé cela génial ! Outre le challenge et l’intérêt scientifique développé plus bas, voilà une très belle idée car donnant un exemple concret qui révèle la conciliation entre recherche scientifique fondamentale et finalisée (c’est-à-dire connaissance et application visible, palpable, utile pour le grand public).

 

Vous allez me dire que je ne suis pas objectif car connaissant un peu les scientifiques de Villefranche, les aimant bien. Et de vous répondre, pas du tout. Oui, je les aime bien mais cela ne m’empêche pas d’être objectif et de dire encore une fois que leur idée est géniale.

N246_Quelle-meduse-demain_2Si j’avais disposé de ce type d’outils il y a quelques années, j’aurais sûrement évité le résultat de la photo ci-contre (c’est mon dos ! et visage et ventre étaient pareils), les douleurs et la peur qui y ont été associées. Peut-être que vous aussi d’ailleurs ?

L’idée de faire un article sur les méduses trottait depuis longtemps dans ma tête, car je vois depuis plusieurs étés maintenant sur les plages de Cannes (où je viens régulièrement plonger) des boudins et filets flottants délimitant des piscines en bord de plage afin de protéger les baigneurs des brûlures de la terrible Pelagia noctiluca, une méduse n’excédant généralement pas les 20 cm (pour sa partie visible), très jolie avec sa coloration rosée mais terriblement urticante.

 

Pour les chanceux qui se baignent et plongent ailleurs que sur la riviera (!), permettez-moi alors de vous présenter brièvement P. nocticula et ce que l’on sait aujourd’hui. L’animal est beau, tout comme son nom. Mais qui s’y frotte (souvent sans faire exprès d’ailleurs car on ne voit pas ses longs filaments transparents) s’y pique (ou brûle) !

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P. nocticula est bien connu sur les côtes méditerranéennes car elle est la plus venimeuse des méduses de la Méditerranée et a la propriété de former des bancs qui peuvent envahir les eaux de baignade ou s’échouer sur les rivages, occasionnant aussi des dommages économiques auprès des professionnels côtiers.

L’activité touristique est directement touchée par ses proliférations : plusieurs centaines de baigneurs étant soignés chaque année, des milliers de brûlures étant recensées.

 

À cause du caractère aléatoire de leur apparition sur les côtes et de la difficulté à mener des expériences en laboratoire, peu d’études ont jusqu’à présent permis d’améliorer les connaissances sur cet organisme et de mieux comprendre les facteurs favorisant le développement de leurs populations.

À la fin des années quatre-vingt, des travaux ont toutefois montré la nature variable des pullulations de cette méduse et on proposa l’existence d’un cycle car on observait que les méduses ”revenaient” tous les 11 à 12 ans (calculé sur une base de données s’étalant sur 200 ans).

Toutefois, depuis 2000, P. noctiluca est revenu en masse (quasiment) tous les ans sur la Côte d’Azur et un lien semble exister avec les conditions météorologiques locales. Ces méduses semblent en effet apparaître après un hiver et un printemps doux avec une situation anticyclonique marquée. N’est-ce-pas ce que l’on enregistre ces dernières années en lien avec le réchauffement climatique global ?

Les chercheurs savent aujourd’hui que cette méduse se reproduit dans ce qui semble être un grand tourbillon entre la Corse et le continent, dans une zone allant de 5 à 35 kilomètres des côtes au sein du courant liguro-provençal, vit entre 300 et 400 m le jour et migre vers la surface la nuit, et semble associée à la fréquence réduite des pluies hivernales.

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Cela semble maigre à première vue mais cela sous-entend le lien avec bon nombre d’autres paramètres. Ainsi, un hiver peu pluvieux se traduit par des eaux de surface plus salées (car moins diluées par l’eau douce venue du ciel). Étant plus denses, ses eaux coulent et sont remplacées par des eaux plus profondes riches en nutriments. Ces nutriments profitent au plancton végétal puis animal, ce dernier étant propice au développement des méduses.

Rajoutons à cela, le réchauffement des eaux qui accélère le cycle de reproduction (du polype fixé à la larve pélagique) et qui va booster leur croissance sans oublier la réduction de leurs prédateurs naturels (tortues, thons, poissons-lunes, etc.) qui permet en plus au zooplancton (leur nourriture) de proliférer.

Enfin, la durée du cycle vital est plus longue que les précédentes estimations, la durée de la période reproductive pouvant s’étaler sur 18 mois. Toutes ces informations permettent aisément de comprendre pourquoi, au fil des années, on explique présence, concentration et prolifération de l’animal. Quand on y réfléchit, cela n’a en fait rien d‘étonnant.

  • Les méduses sont sur terre depuis près de 600 M d’années.

    Elles ont été parmi les premiers animaux pluricellulaires à coloniser la planète bleue et elles devaient sûrement être prépondérantes à cette époque où elles rencontraient en fait très peu de prédateurs. Elles ont traversé les millénaires et connu les grands bouleversements de la Terre.

    Dès lors, est-il vraiment étonnant de les voir pulluler en ces temps de surpêche (qui éliminent leurs prédateurs), d’acidification des océans (qui ne leur fait ni chaud ni froid, aucune structure calcaire et constituée à 97 % d’eau), de changement (climatique) global qui leur sied particulièrement ?

Pour déterminer les conditions hydrodynamiques qui conduisent à l’échouage des méduses sur les côtes, la stratégie est de quantifier les échanges entre une zone source, le large, où les méduses sont abondantes, et une zone puits, le littoral, où les méduses s’échouent et meurent.

Des bateaux munis de petits engins d’imagerie téléguidés permettent quotidiennement de savoir si des essaims de méduses sont massés au large des plages. Ces données relevées entre 4 heures et 6 heures du matin seront ensuite intégrées dans des modèles prenant en compte le mouvement des vagues, la force du vent, la qualité du plancton dont se nourrissent les méduses.

En pratique, la méthode consiste à calculer les trajectoires décrites par les essaims de Pelagia, transportés par les courants, eux-mêmes fournis par un modèle de circulation océanique réaliste qui couvre la région Ligure et l’ensemble du golfe du Lion. Pour définir la position initiale des trajectoires simulées, l’hypothèse est faite d’une distribution spatiale des méduses continue dans le temps et homogène au large. Les échouages sont quantifiés par le nombre de méduses qui pénètrent dans la zone littorale.

Le bulletin d’information et sortie graphique sur Internet proposé par l’OOV, produit d’une modélisation mathématique intégrant observations au large, cycle de vie de l’animal, courantologie, vent, etc. rend possible de savoir 48 heures à l’avance le risque potentiel (avec une échelle allant de 0 à 5) d’arrivée sur les côtes méditerranéennes françaises de P. noctiluca. Bien sûr, comme tout modèle, rien n’est parfait mais je l’ai ”testé” sur Cannes entre fin juillet et début août et demandé des informations à différents endroits de Nice et Antibes. Croyez-moi si vous voulez mais cela a relativement bien fonctionné.

http://www.medazur.obs-vlfr.fr/
Système d’alerte sur la présence de méduses au large des pages azuréennes

http://jellywatch.fr
Site de prévision d’échouage à l’échelle de la région Paca

http://meduse.acri.fr
Site pour déclarer les observations des méduses

Pelagia en mer, transit entre Nice et Calvi
http://www.youtube.com/watch?v=TyCfeSyCR-g

N.B. : Ce qui semble probant et utile pour la Côte d’Azur pourrait et devrait si possible être réalisé ailleurs. Je pense par exemple aux plages d’Aquitaine et Pyrénées Orientales où près de 1 000 cas d’envenimations par physalie ont été enregistrés pendant l’été 2011 (je ne connais pas les chiffres de 2012), avec dans près de 10 % des cas des signes qualifiés ”graves” c’est-à-dire pouvant mettre en jeu le pronostic vital (douleur thoracique, gêne respiratoire, atteinte neuro-musculaire généralisée, signes neurologiques centraux).

 

L’article scientifique pour aller plus loin :

Ferraris et al. 2012. Distribution of Pelagia nocticula (Cnidaria, Scyphozoa) in the Ligurian Sea (NW Mediterranean Sea). J. Plank. Res. 34:874-885.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 246 Abonnez-vous

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