Qu’est-ce qu’une algue ?

le 30/09/2020 publié dans le N°292 de Subaqua
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Stephan Jacquet
par Stephan Jacquet

Line Le Gall est maître de conférences, grande spécialiste des algues mais aussi plongeuse scientifique. Au cours des derniers mois, elle a coécrit un ouvrage de référence et assuré le commissariat scientifique de l’exposition « Algae imaginarium, entre réalité scientifique et imaginaire artistique » exposée lors de La mer XXL qui s’est tenue à Nantes du 28 juin au 10 juillet 2019 puis au Tipi sur le campus de Jussieu du 4 au 29 novembre 2019. Je lui ai proposé de revenir sur cette expérience pour Subaqua en nous rappelant aussi ce que sont les algues et leur importance. Par Stéphan Jacquet.

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« Qu’est-ce qu’une algue ? » Cette question d’apparence simple n’est pas si triviale. Les algues sont toutes des organismes photosynthétiques, c’est-à-dire qu’elles utilisent l’énergie de la lumière et le CO2 présent dans l’air – qui se dissout dans l’eau – pour fabriquer des molécules organiques. Elles sont aussi généralement inféodées aux milieux aquatique, marin ou d’eau douce. Cette capacité à réaliser la photosynthèse est apparue chez les bactéries il y a plus de 3 milliards d’années et les cyanobactéries que l’on appelle aussi algues bleues se sont très largement développées il y a 2,4 milliards d’années et ont entraîné « la grande oxydation », à l’origine de l’oxygène atmosphérique. Rien que cela !

Contrairement aux cyanobactéries, la plupart des algues sont en fait des eucaryotes (c’est-à-dire que leur ADN est contenu dans un noyau au sein de la cellule et non pas libre dans cette dernière comme c’est le cas chez les bactéries). Les eucaryotes ont dans un premier temps acquis la capacité photosynthétique en réalisant une endosymbiose primaire avec une cyanobactérie. Cet évènement est à l’origine de la lignée qui regroupe principalement les algues rouges, les algues vertes et les « plantes terrestres ». Les autres lignées d’eucaryotes ont acquis la capacité photosynthétique en réalisant différents événements d’endosymbiose secondaire avec soit une algue rouge comme c’est le cas chez les Straménopiles qui contiennent les algues brunes soit avec une algue verte à l’instar des Euglènes qui sont des organismes unicellulaires qui vivent dans les eaux douces. Même si d’un point de vue fonctionnel, les algues partagent cette capacité à réaliser la photosynthèse, sur le plan évolutif, elles ont des histoires très différentes.

Des perceptions différentes

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Les algues font partie de cette fraction négligée de la biodiversité et suscitent des réactions contrastées. Elles sont parfois mal considérées à cause des phénomènes de proliférations qu’elles peuvent engendrer, tels que les « marées rouges, vertes et brunes ». Dans ce type de situation, leur odeur et/ou viscosité peuvent même susciter la répulsion. L’aspect toxique de certaines microalgues tout comme l’aspect invasif de certaines macro-algues telles que les caulerpes ou les sargasses ont marqué les esprits. À l’autre extrémité de l’éventail des perceptions, les algues peuvent être l’objet d’un engouement, à la limite du rationnel, pour leurs intérêts dans l’alimentation humaine et les cosmétiques. La diversité des algues est encore difficilement appréhendée par le grand public et même par l’ensemble de la communauté enseignante et scientifique.

Parmi les grandes algues marines environ 7 000 espèces d’algues rouges, 2 000 espèces d’algues brunes et 2 000 espèces d’algues vertes ont été décrites. L’importance des champs d’algues dans la production primaire via la photosynthèse est remarquable ; ils produisent autant que les forêts tropicales. De plus, de nombreuses algues participent à la structuration de l’habitat en formant des végétations qui servent d’abris et de grenier pour de nombreuses espèces. Certaines espèces d’algues sont calcifiées et contribuent à la formation de biorécifs. Malgré ces rôles clés dans les écosystèmes benthiques rocheux, les algues sont largement absentes des politiques de conservation du milieu marin, probablement en raison du fait que leurs fortes diversités tant à l’échelle des espèces que des habitats, rendent leur étude, leur appropriation et la communication associée difficiles. Dans de telles conditions, le statut de conservation des algues est pratiquement ignoré. Sachant que l’essentiel de la population humaine se concentre à proximité du littoral, et que par conséquent les pressions anthropiques à l’interface terre-mer y sont exacerbées, il paraît crucial de mieux prendre en compte cette végétation sous-marine dans les politiques de conservations.

Deux exemples de rôles et fonctions

Les algues et la fabuleuse photosynthèse. Daniel_BURON copie

Certaines algues ont la particularité d’avoir leurs parois imprégnées de calcaire, ce qui les rend rigides voire complètement dures selon la continuité de la calcification. Le processus de calcification biologique est énergiquement coûteux, si bien que les algues calcifiées ont généralement des croissances lentes et des durées de vie longues. Ces algues calcifiées vont donc être des éléments du paysage sous-marin particulièrement importants. Elles peuvent être qualifiées d’espèces ingénieures ou espèces bioconstructrices. Les corallines (algues rouges) sont certainement les plus emblématiques parmi ces « algues cailloux ». Elles détiennent les records de profondeurs (- 265 m aux Bahamas) ainsi que de longévité (plusieurs siècles) et se retrouvent dans toutes les mers du monde. Sous les tropiques, elles jouent un rôle majeur dans la cémentation des récifs coralliens. En Méditerranée, les corallines contribuent à la formation de récifs appelés coralligènes, bien connus des plongeurs expérimentés pour leur richesse biologique. Toujours sur la Grande bleue, plus accessibles, à la vue du promeneur, les corallines forment des encorbellements à la limite du niveau de l’eau, qui atteignent sur certains sites, tel qu’en Corse, dans la réserve de la Scandola, une telle largeur, qu’ils sont qualifiés de trottoir car un homme peut s’y déplacer à pied. Les corallines peuvent aussi former des bancs de maërl où quelques espèces de corallines de formes intriquées s’accumulent et forment des structures tridimensionnelles complexes qui abritent une faune et une flore diversifiées et dont seule la couche superficielle est encore vivante. L’exploitation du maërl, longuement dragué sur les côtes de la Manche comme une ressource minérale, notamment pour amender les champs, est maintenant interdite en France. D’immenses bancs de maërl s’étendent aussi sur le plateau continental qui borde les côtes d’Amérique centrale et du Sud. Ces bancs ne font pas l’objet d’une exploitation directe mais les forages pétroliers réalisés le long des côtes, notamment au Brésil, menacent la pérennité de ces bancs en remettant en suspension une quantité phénoménale de particules lors des forages. De plus, le risque de marée noire est important vu la densité des puits de forage. En tant qu’organismes calcifiés, les corallines sont vulnérables à l’acidification de l’océan qui est une conséquence directe du développement industriel. Le CO2 émis par les activités humaines est bien connu en tant que gaz à effet de serre mais, on le sait moins, il est en grande partie piégé par les océans et provoque ainsi leur acidification. En effet, entre les océans et l’atmosphère ont lieu des échanges. Le CO2 se dissout dans l’eau de mer et s’y dissocie pour former des ions H + qui rendent l’eau plus acide.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 292 Abonnez-vous

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