Rencontres insolites en mer de Sulu

le 02/01/2014 publié dans le N°252 de Subaqua
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Fred Di Méglio
par Fred Di Méglio

Les Visayas, à l’entrée de la mer de Sulu ont deux visages : Oslob dans le sud de l’île de Cebu et Dumaguete, au sud de l’île de Négros. Le premier abrite une sorte de zoo marin sans cages pour requins-baleines, spectaculaire certes, mais eldorado controversé alors que le second est un paradis de la « muck diving » avec, en plus, la richesse corallienne toute proche d’Apo Island. En termes de petites bêtes, c’est certainement un must. Un reportage sur cette région exceptionnelle des Philippines de Frédéric Di Méglio.

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Extrême sud de l’île de Cebu proche de l’îlot de Sumilon voici le petit village ou barangay de Tan-Awan de la commune d’Oslob. Un théâtre marin y réunit les pêcheurs philippins locaux et les gentils géants du monde sous-marin : des requins-baleines s’y sont en effet sédentarisés depuis peu.

Des pêcheurs devenus nounous

Ici, le plus grand poisson du monde s’est transformé en un toutou qui mendie. Le spectacle de ces rencontres reste en soi assez extraordinaire, mais cet écotourisme met mal à l’aise et génère des questions. Pour ou contre ? Le débat est ouvert. Depuis plus de cinquante ans, les requins-baleines sont présents régulièrement dans cette province d’Oslob.

Les pêcheurs ne les aimaient pas, car ils abîmaient leurs filets. Certains pêcheurs se sont pourtant mis à les nourrir avec des petites crevettes, les « uyap » pêchées la nuit dont ils sont très friands. Très vite, une relation de confiance s’est établie. Chaque matin, à une centaine de mètres du littoral, les requins viennent sous les pirogues et mangent presque dans la main des pêcheurs cette poudre salée de crevettes.

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Ce feeding a eu pour conséquence de sédentariser une centaine de ces géants. Il a transformé le village de Tan-Awan, avec un afflux de tourisme aussi bien philippin qu’étranger. On a dénombré plus de 100 000 touristes l’an dernier. Mais bien peu se mettent à l’eau en PMT, solution idéale pour l’observation de ces doux géants.

L’ambiance est beaucoup plus calme en semaine et en tout début de la matinée. Prévoir ainsi d’y être vers 7 heures du matin et éviter le week-end à tout prix.

Des dispositions ont été prises ces derniers mois pour éviter des contacts avec la mise en place d’un code de bonne conduite. En effet, il y a plus d’un an, certaines images avaient fait scandale comme celle d’une Philippine à cheval sur un jeune requin-baleine ! Un briefing à terre précise les précautions : ne pas approcher dans l’eau les animaux à moins de 3 m, ne pas les nourrir, ne pas les toucher, ne pas se mettre devant, mise à l’eau calme, pas de crème solaire, pas de flashs pour la photo…

 

Une manne financière

De novembre à mai aux Philippines, c’est l’époque du « butanding », cette appellation est le nom du requin-baleine en tagalog, une des langues philippines les plus parlées. Par extension, ce mot « butanding » décrit l’interaction même avec les requins-baleines. Le caractère débonnaire de l’animal et sa taille impressionnante le désignent comme une attraction incontournable devenue une source de revenus considérable pour les pêcheurs.

  • C’est certes un changement de mentalités pour ces hommes de la mer, qui vaut mieux que l’extinction des requins-baleines par la pêche ; mais de l’autre côté ces géants normalement migrateurs sont en train de se sédentariser, une forme de domestication d’animaux sauvages. Ce sont essentiellement des juvéniles, d’une taille de 5 à 8 mètres, qui restent à l’année, oubliés des aînés qui font leur migration annuelle naturelle selon les saisons de flux planctonique. 

  • Cette interdépendance avec l’homme contribue à une perte de l’instinct de pêche et un risque de blessure par des embarcations motorisées une fois sortis de cette zone d’Oslob. Sur place, les locaux sont maintenant très attentifs. Ils n’approchent les requins qu’avec des bancas, pirogues à rames et à double balancier. 

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Autre problème, les pêcheurs locaux passent désormais leurs nuits à capturer au lamparo de nombreux kilos de crevettes, contraints d’aller toujours plus loin dans les Visayas pour maintenir leur niveau de pêche. Le cours de l’uyap début 2012 était de 1 peso ; un an plus tard, il atteignait 60 à 90 pesos ! Tout cela fait controverse…

Depuis début 2012, le gouvernement de la province a voulu mettre de l’ordre en légiférant pour mieux gérer la protection de ces animaux et mieux organiser financièrement cette attraction.

Pour les étrangers, la taxe du Parc marin pour cette approche des requins-baleines sur une banca de pêcheurs est passée à 1 500 pesos philippins en cas de plongée bouteille, 1 000 pesos en cas de PMT soit 20 euros environ, 600 pesos si vous restez sur la barque, ceci pour une trentaine à une quarantaine de minutes…

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Les droits d’entrée sont deux à trois fois moins importants pour les Philippins. Toutes ces taxes sont partagées entre la municipalité d’Oslob, le petit village de Tan-Awan et les pêcheurs qui prennent les touristes sur leurs pirogues ou ceux qui donnent à manger les crevettes aux requins-baleines.

De nombreux renseignements sur ce dossier sont issus d’une étude détaillée réalisée par l’ONG Physalus qui s’occupe du projet « Large marine vertébrales » aux Philippines. (www.lamave.org).

 

Un gentil géant

Facilement reconnaissable avec sa livrée à damier, Rhincodon typus, est le plus grand poisson du monde, fréquente les eaux tropicales et n’a pratiquement que l’homme comme prédateur.

Sa taille peut atteindre 15 m avec un poids moyen d’une dizaine de tonnes à l’âge adulte. Planctonivore, il ne consomme que du plancton, du krill ou des petits poissons.

Sur cette zone d’Oslob, la population est donc surtout faite de requins-baleines juvéniles, le plus gros que j’y ai vu faisait 8 m. Une huitaine de requins-baleines tournait ce jour-là.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 252 Abonnez-vous

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