Villefranche-sur-Mer, laboratoire des espèces

le 22/10/2021 publié dans le N°297 de Subaqua
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Anne Riou
par Anne Riou

Bien que profonde, la baie de Villefranche-sur-Mer forme depuis l’Antiquité un abri naturel car protégée des vents. La clarté de la mer, la richesse de ses fonds grâce aux courants profonds, qui rapprochent aussi les poissons du large, l’accessibilité des sites – un quart d’heure de navigation tout au plus – attirent nombre de plongeurs. Au-delà de la beauté de la rade, les eaux locales témoignent des changements rencontrés par la faune de Méditerranée, entre espèces protégées, menacées et migratrices. Par Anne Riou, images Jean-Lou Ferretti (sauf mention contraire).

Plongée crépusculaire au cap Ferrat, cette avancée qui protège la baie de Villefranche-sur-Mer. Dans quelques mètres d’eau, une centaine de barracudas tourne sans fin, un banc d’anchois au loin dans leur viseur. Absorbés par leur chasse, les prédateurs se laissent facilement approcher.

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Ce n’est pas le cas de ces mérous bruns (Epinephelus marginatus) qui résident plus bas, sur le grand plateau qui s’enfonce jusqu’à – 40 mètres. Prudent, le duo s’éloigne doucement à l’arrivée de notre palanquée, gardant ses distances.

/// Des mérous et des sars

jl-ferretti_13Le mérou, emblème de la Méditerranée, a vu sa population augmenter grâce au moratoire de 1993 (renouvelé jusqu’en 2024), interdisant sa pêche sous-marine, étendue depuis 2003 à la pêche à l’hameçon. En dehors des réserves comme celle de Port-Cros et son réputé îlot de la Gabinière, ce poisson reste toujours un peu sur ses gardes vis-à-vis de l’Homme. Si les jeunes vivent près de la surface, les spécimens plus âgés (et donc de taille imposante) résident en profondeur, faisant de cavités à leur goût leur demeure permanente. Ces gros mérous, âgés de 50 ou 60 ans, sont un bon signe de peuplement puisque cette espèce dite « parapluie » démontre indirectement que la chaîne alimentaire est présente et en bon état. Un constat que souligne justement la profusion de bancs de mendoles, sargues et sars. Ces derniers, habitants retrouvés sur quasiment sur tous les sites de plongée, forment une grande famille comprenant des espèces distinctes : sar à tête noire (Diplodus vulgaris), sar à museau pointu (Diplodus puntazzo), sar commun (Diplodus sargus), sar tambour (Diplodus cervinus), etc. J’ai d’ailleurs eu la surprise de voir quelques sars dévorer des méduses mortes. Mais leurs mets préférés sont les oursins, grande spécialité d’ailleurs de Villefranche. Or les oursins mangent les algues. La pêche des sars dans la rade a entraîné leur diminution, et en retour une augmentation du nombre d’oursins. Avec pour conséquence une régression de la forêt d’algues. L’équilibre écologique est décidément complexe !

/// De faux migrants

Si toute la faune traditionnelle de Méditerranée, ou presque, s’observe dans la baie, de nouvelles espèces venues des mers chaudes sont également apparues. La rade de Villefranche, à l’instar d’autres sites du littoral provençal, serait-elle devenue une terre, ou plutôt une mer d’accueil pour poissons tropicaux ? Est-ce parce que l’eau y est souvent plus chaude qu’ailleurs, à cause notamment de l’absence de mistral ? En effet, ce vent du nord qui peut souffler fort même en plein été « pousse » l’eau chaude de surface et fait remonter celle plus fraîche des profondeurs. Ainsi, de Marseille au Var, un fort coup de mistral estival peut, en 24 heures à peine, faire baisser (temporairement) la température de l’eau de près de 10 °C ! Avant de répondre à cette question, deux points sont à préciser. Tout d’abord, il faut savoir que la Méditerranée se divise, en raison de son histoire géologique complexe, en deux versants, est et ouest. Leur séparation se fait au niveau d’une ligne perpendiculaire, reliant l’Europe à l’Afrique, passant grosso modo par la Sardaigne jusqu’en Tunisie. Dans le bassin oriental ou levantin, les eaux sont plus chaudes. C’est pourquoi à la suite de la percée du canal de Suez, les poissons tropicaux venus de mer Rouge ou de l’océan Indien se sont installés préférentiellement et progressivement à l’est, zone la plus chaude de la Méditerranée. Le réchauffement actuel de la Méditerranée concourt à prolonger leur migration jusqu’aux fonds littoraux français. Cependant, et voilà notre second point, ce réchauffement incite également des poissons méditerranéens habitant dans le bassin oriental à déménager vers l’ouest/nord-ouest. C’est le cas par exemple du baliste capriscus, ou baliste commun, dont une partie de la population, peut-être plus aventureuse, a décidé de quitter son bassin oriental natif voir ce qui se passait plus à l’ouest, où la température de l’eau finalement n’était pas si désagréable. Autre poisson considéré à tort comme exotique, le barracuda, présent lui aussi à l’origine en Méditerranée orientale à travers deux espèces distinctes, le grand barracuda rayé (Sphyraena viridensis) et la bécune (Sphyraena sphyraena), plus petite. Tous deux étaient auparavant rares dans nos eaux occidentales. Le grand barracuda est venu s’y installer au début des années quatre-vingt-dix, commençant à évoluer en bancs depuis 2004.

Quant à la girelle paon (Thalassoma pavo), il s’agit d’un cas particulier. En effet, ce chatoyant compagnon de palier au petit museau pointu, toujours à fureter à petite profondeur au moindre soulèvement d’herbes, n’est ni un transfuge du bassin oriental, ni un envahisseur tropical.

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Présente sur nos côtes dans les années 1950-1960, la girelle paon en avait disparu pour des raisons inexpliquées pendant plus de 25 ans, avant de revenir y vivre, se plaisant au point d’être présente en quantité sur certains sites. Idem pour le poisson-lézard. Victime de la surpêche, cette espèce locale avait quelque peu disparu avant que sa population ne se reconstitue lentement. À Villefranche, quelques spécimens régulièrement croisés sont des individus locaux. Mais attention, une autre espèce de poisson-lézard exotique (mer Rouge) mais très semblable, est arrivée dans le bassin oriental dans lequel elle reste cantonnée pour l’instant. Va-t-elle rentrer en compétition avec son parent local ? L’avenir nous le dira.

/// Des espèces exotiques

Poisson méditerranéen confondu avec son proche parent des mers tropicales car d’apparence similaire (exemple du baliste ou encore de la raie mobula prise pour une raie manta). Retour en force d’une espèce locale s’étant faite longtemps très discrète (girelle paon). Arrivée d’une espèce venue depuis le bassin adjacent voisin (l’oriental) et qui, trouvant les lieux à son goût, s’y installe et prolifère (barracuda).

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 297 Abonnez-vous

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