FAUT-IL CÉDER AUX CHANTS DES SIRÈNES

le 28/06/2019 publié dans le N°285 de Subaqua
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Michel Lambinet
par Michel Lambinet

Les sirènes sont parmi nous ! Regardez donc le nombre de noms de clubs, de logos ou de tampons de moniteurs reprenant ou représentant ces légendaires créatures. Si besoin, il suffit de se pencher sur le premier logo officiel de notre Confédération mondiale. Après deux tentatives de représentations viriles – un chasseur et un plongeur – la CMAS adoptera… une sirène. Si cette dépendance au symbole est avérée, voilà que débarque une activité qui consiste à revêtir un habit de sirène (ou de triton) rencontrant un succès croissant. Alors faut-il en rire, bannir ou accompagner cette pratique montante en France ?
Un récit de Michel Lambinet. Images Fabrice Dudenhofer (sauf mention contraire).

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Toutes les mythologies et récits comprennent des créatures féminines aquatiques plus ou moins bien disposées vis-à-vis de l’homme. Si tout le monde a en tête la petite sirène d’Andersen ou l’Ariel de Disney, on n’oubliera pas les terribles sirènes de l’Antiquité, ailées et munies de griffes. Grâce à leurs chants, ces dernières envoûtaient les navigateurs de passage. Ainsi subjugués, ils échouaient leurs navires sur les récifs avant d’être dévorés par ces démoniaques enchanteresses. Seul Ulysse, mis en garde par Circée, put écouter leur litanie magique sans risque car attaché au mât de son embarcation pendant que ses marins, rendus sourds par de la cire versée dans leurs oreilles, tenaient fermement la barre, restant loin des écueils…

Enluminures et cinématographie

Après Homère et la mythologie, faisons un saut jusqu’à l’époque médiévale. Écrit par un moine anglais au VIIIe siècle, le Liber monstrorum de diuersis generibus (ouvrage cité dans « Le nom de la rose » d’Umberto Eco) fait référence aux sirènes. Sur des enluminures ou des chapiteaux, elles sont dessinées, conservant leurs ailes et leurs pattes griffues. L’auteur évoque leur « queue de poisson couverte d’écailles avec laquelle elles vivent en sécurité dans l’eau » et en fait des « êtres doués de raison ».

Historique 1Dès lors, des représentations positives ou négatives de la sirène coexistent. Quant au triton, pendant masculin de la sirène, il semble avoir toujours eu cette représentation d’être mi-homme mi-poisson, cohabitant avec la sirène dans l’imagerie médiévale.

Beaucoup plus tard, Hollywood va utiliser l’image de la gentille sirène, avec Ann Blyth en 1948 (« Mr Peabody et la Sirène ») puis Ester Williams, héroïne de « Million Dollar Mermaid » en 1952. De son côté, Disney emploie en Floride une troupe de sirènes dans le lagon de l’attraction Nautilus de 1959 à 1967, alors que son premier dessin animé sur les sirènes remonte à 1932. Les sirènes sont encore et toujours à l’honneur sur le grand écran à ce jour. On les (re)trouve dans un des épisodes de la franchise « Pirates des Caraïbes ». En version maléfique cette fois car en quête de jeunes marins à dévorer… Les sirènes sont aussi présentes dans des séries télévisées (« Siren », « Les sirènes de Mako », etc.), en compagnie parfois de tritons. Tous sont montrés cette fois sous un jour sympathique et vivant aux côtés des hommes…

Un habit pas un déguisement

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En France, la reconversion de Muriel Hermine, grande championne de natation synchronisée, a remis sur le devant de la scène la sirène à travers deux spectacles aquatiques et terrestres formidables, bien avant que le Cirque du Soleil ne développe à nouveau cette démesure poétique et technique. Créé en 1991, le premier spectacle de Muriel, mêlant jeu, acrobatie, cirque et évolution sous-marine était d’ailleurs intitulé « Sirella ». Plus récemment, vous aurez constaté la présence de sirènes au Salon de la plongée dans le village des SCA de la fédération ainsi que sur le stand Bretagne et Pays de Loire. Pour la petite histoire, je suis rentré du salon de Düsseldorf 2019, le BOOT, avec une méthode complète de sirène, un livre pratique traitant de la physiologie de l’apnée et physique de la plongée, de l’entretien du matériel, du maquillage, ainsi que de biologie et d’environnement en mer et en eau douce ! Car le « sirenage » (proposition de traduction du terme anglo-saxon mermaiding) est une activité en plein essor en France, comme un peu partout ailleurs. Elle consiste à se réunir afin de revêtir un habit de sirène (ou de triton) et nager avec pour un moment de partage (discuter, se prendre en photo, etc.). Une précision s’impose pour ne pas fâcher un « sireniste » ou un « tritoniste » : on parlera ici bien d’habit ou de costume, pas de déguisement. Le terme de déguisement sous-entend une notion de dissimulation, de travestissement, de volonté comique, de quelque chose d’inachevé ou de temporaire, parfois satirique ou ridicule, assumé ou non. Il sera donc plus approprié de parler de costume. Le costume est une tenue particulière à une activité, une fonction, une manière d’être habillé, un vêtement propre à un pays, à une époque, à une condition, une apparence. Les personnes devenant sirènes ou tritons portent avant tout des costumes. Elles laissent cours à l’envie d’incarner des êtres légendaires en les ancrant dans le réel. En fait, ce phénomène de « sirenage » n’est pas récent. Il est même ancien, et particulièrement développé aux États-Unis où les spectacles sont nombreux. L’école américaine consiste à aborder le mermaiding avec tout ce qu’il y a d’excessif et de surenchère : concours de beauté, immenses défilés où tous sont conviés, spectaculaires parades et rassemblements, etc. De plus, écoles ou universités proposent de véritables filières de formation avec cours et diplômes. Enfin, j’ai été alerté sur l’entrée des sirènes dans notre quotidien lorsque j’ai vu une image d’une sirène dans la Gravière du Fort…

Les enjeux de l’activité sirène

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Dès lors, à la demande du directeur de la fédération, notre assureur partenaire Lafont Assurances reconnaît l’activité sirène et cette dernière est alors intégrée aux activités fédérales. Mais point de commission sirène et triton en vue, l’activité doit naturellement s’insérer comme l’ont fait la randonnée subaquatique, l’apnée et la nage avec palme (NAP). En progression, l’activité demande à s’organiser et le besoin d’encadrement est réel. Sans trop promettre, les enjeux sont des licences et de l’emploi, notamment pour nos diplômés d’État. Et puis, pourquoi laisser le terrain à d’autres, sans rapport avec le monde subaquatique ? Le mermaiding s’organise bien autour de nos activités et compétences en apnée et en nage avec palmes. Alors allons-y ! Nul doute que les pratiquants de l’activité sirène seront un jour des recrues pour l’apnée ou la NAP dès qu’ils souhaiteront progresser, diversifier leurs activités ou partir à la découverte des milieux naturels subaquatiques. Mais au fait, à quand des clubs ou des professionnels ? Mais c’est fait ! Le temps d’en parler au comité directeur national que la première demande de création d’une SCA purement sirène parvenait au siège… 

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 285 Abonnez-vous

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