Les régulateurs & les « groins » Rouquayrol Denayrouze

le 02/03/2022 publié dans le N°301 de Subaqua
Dans la cuve à plonger de 
l’Exposition Universelle de 1867 à Paris, avec régulateurs et groins Journal "Le Monde Illustré" 1867.
Philippe Rousseau
par Philippe Rousseau

Tous les détendeurs de plongée que nous utilisons aujourd’hui ont le même principe général de fonctionnement (à la demande et à la pression ambiante) que les régulateurs Rouquayrol-Denayrouze fabriqués à partir de 1865. Et pour permettre aux plongeurs de l’époque de respirer plus aisément dans l’eau avec ces régulateurs, ils ont été complétés par des demi-casques de scaphandriers en cuivre et en bronze, placés devant le visage (nous les appellerions aujourd’hui des masques faciaux, à l’image de ceux utilisés depuis une cinquantaine d’années en plongée industrielle off-shore). Ces demi-casques très anciens ont été familièrement dénommés des groins et ils n’ont été réalisés par la Société Rouquayrol-Denayrouze que pendant exclusivement deux années : de 1865 à 1867. À partir de 1867, ils seront remplacés par des casques lourds à trois boulons. Nous verrons un peu plus loin pourquoi. Un récit de Philippe Rousseau. Illustrations : collection de l’auteur.

/// Les travaux préliminaires progressifs

Dès 1860, Benoît Rouquayrol (1826 – 1875), ingénieur des Mines, met au point des systèmes respiratoires régulés à partir de l’air comprimé pour l’usage des mineurs confrontés au grisou (carbone fossilisé essentiellement en méthane et explosif). C’était donc les ancêtres des ARI (appareils respiratoires isolants) toujours indispensables actuellement aux sapeurs-pompiers. Ses travaux préliminaires sont d’ailleurs précisément décrits dans le Bulletin de la Société de l’Industrie Minérale, Série 1 – Tome 5, publié en 1860 : « … Tel était l’état de la question du sauvetage lorsque, dans l’assemblée générale du 9 décembre 1855, la Société de l’industrie minérale a décidé qu’elle décernerait un prix à l’inventeur du meilleur appareil portatif permettant de pénétrer dans les travaux remplis de gaz irrespirables.

Dessin annexé au brevet d’invention n° 63.606 du 27 juin 1864.

Dessin annexé au brevet d’invention n° 63.606 du 27 juin 1864.

L’un des membres de la société, M. Rouquayrol, ingénieur à Firmy, qui s’est occupé d’une manière toute spéciale des procédés de sauvetage dans les mines, a présenté un travail fort intéressant sur cette question, et a bien voulu nous autoriser à faire connaître les trois dispositions qu’il a imaginées.

>  1° Appareil respiratoire alimenté par de l’air ordinaire

Avant de décrire le premier de ces appareils, il est nécessaire d’indiquer les principes sur lesquels il est basé. Dans la respiration calme, un homme adulte, bien portant, introduit dans ses poumons, à chaque aspiration, un demi-litre d’air environ. Le nombre des aspirations étant, en moyenne, de 20 par minute, le volume d’air absorbé sera donc de 10 litres par minute ou 600 litres par heure. L’air atmosphérique qui a été inspiré contient encore assez d’oxygène, à sa sortie des poumons, pour pouvoir être respiré sans danger une seconde fois. La Fig. 16, Pl. XVII, montre l’organisation de l’appareil que M. Rouquayrol a construit d’après ces principes. Un réservoir en tôle A, dont la capacité est de 30 litres, contient de l’air à la pression de 20 atmosphères, c’est-à-dire renferme 600 litres à la pression ordinaire. Le plateau métallique PP est relié à la partie supérieure du réservoir À part un anneau CC en cuir ou en caoutchouc ; il présente, en dessous, une tige cylindrique T qui joue dans une ouverture centrale du couvercle du réservoir, et qui est évidée à sa partie supérieure.

Sur le plateau PP est fixé un tube en caoutchouc « tt », qui est adapté au masque de respiration R ; il se termine par un petit clapet V s’ouvrant lors de l’aspiration. Les gaz expirés s’échappent par un tuyau élastique « t’ » portant un renflement M dont la capacité est d’un quart de litre ; la valve V’ est alors ouverte. La poche M restant remplie d’air expiré qui est aspiré de nouveau, réduit presque de moitié la consommation d’air pur. Ainsi, théoriquement, cet appareil pourrait alimenter la respiration d’un homme pendant deux heures ; mais, il est évident qu’en réalité il ne faut pas compter sur plus d’une heure à une heure et demie. Il nous reste à expliquer comment s’opère la distribution de l’air.

Lorsque le plateau PP occupe la position de la Fig. 16, le compartiment B renferme de l’air à la pression atmosphérique et ne communique pas avec l’intérieur du réservoir ; mais, dès que par le jeu des poumons, le vide se fait dans la capacité B, le plateau PP s’abaisse et l’air du réservoir s’échappe autour de la partie évidée de la tige T. Au fur et à mesure que la pression qui s’établit dans le compartiment intermédiaire B augmente, le plateau s’élève et la tige T interrompt de nouveau toute communication avec le récipient A. Il est presque inutile de dire que le poids et la surface du plateau PP ainsi que la section de la tige T doivent être calculés de manière à ce que la tension de l’air ne puisse jamais, dans la capacité B, dépasser sensiblement la pression atmosphérique.

>  2° Appareil respiratoire à air artificiel

M. Rouquayrol a imaginé un autre appareil qui permettrait de séjourner beaucoup plus longtemps dans les gaz méphitiques. On sait qu’à chaque aspiration une certaine proportion d’oxygène est transformée en acide carbonique. Il est donc évident que si, par un artifice peu compliqué, on pouvait après chaque expiration absorber l’acide carbonique qui a été expulsé des poumons et restituer la faible quantité d’oxygène qui a disparu, on renouvellerait pour ainsi dire indéfiniment les gaz respirables et on réaliserait, tout au moins, une économie d’air considérable.

Groin à un seul hublot facial – « Les Merveilles de la Science » - Louis Figuier – Tome 4 – 1870 – Partie « La cloche à plongeur et le scaphandre ».

Groin à un seul hublot facial – « Les Merveilles de la Science » – Louis Figuier – Tome 4 – 1870 – Partie « La cloche à plongeur et le scaphandre ».

Les expériences de Régnault ont montré, en outre, que les animaux pouvaient vivre pendant plusieurs années dans une atmosphère renfermant un léger excès d’oxygène, pourvu qu’on eût soin d’absorber l’acide carbonique que produit la respiration. Ces diverses considérations ont conduit M. Rouquayrol à construire l’appareil représenté Fig. 17, Pl. XVII. L’oxygène est renfermé dans un réservoir en caoutchouc A, protégé extérieurement par une caisse légère en bois. Une boîte B, placée au-dessus du réservoir, est remplie d’air atmosphérique ; sa capacité est de 4 litres. La paroi supérieure de cette boîte est formée d’une feuille de caoutchouc SS qui vient s’appuyer sur les cloisons à claire-voie CC, C’, suivant l’intensité de la pression qu’elle supporte.

L’aspiration s’effectue par le tube « t » qui est terminé par la valve V ; l’expiration s’opère par les tubes « t’ », « t’ » qui plongent dans un flacon en fer F rempli de potasse caustique. Lorsque le vide se produit dans la capacité B, la soupape M s’ouvre et laisse écouler une certaine quantité d’oxygène. Pendant le fonctionnement régulier de l’appareil, l’air expiré se rend de nouveau dans le compartiment B après avoir été débarrassé de son acide carbonique pendant la traversée du flacon F. Le couvercle élastique SS, qui s’élève ou s’abaisse suivant la pression, sert à régulariser l’écoulement de l’oxygène et les efforts que nécessite la respiration. Le réservoir A se place sur le dos de l’expérimentateur et le flacon d’épuration F est adapté à une ceinture.

M. Rouquayrol pense qu’avec un réservoir d’oxygène de 50 litres on pourrait se maintenir pendant deux heures dans une atmosphère irrespirable.

>  3° Appareil respiratoire à oxygène comprimé

En combinant les deux dispositions précédemment décrites, M. Rouquayrol a obtenu un troisième appareil qui lui paraît capable d’alimenter la respiration pendant plusieurs heures. Il suffira de jeter un coup d’œil sur la Fig. 1, Pl. XVIII pour comprendre cette nouvelle disposition. Le réservoir en tôle A contient de l’oxygène, comprimé à 10 atmosphères, dont l’écoulement dans la capacité SSDD est régularisé, comme dans le premier appareil, par un plateau PP armé d’une tige évidée T. Le compartiment SD renferme de l’air ordinaire ; il a pour couvercle une plaque de caoutchouc DD qui s’appuie tour à tour sur les cloisons MM, NN. On doit calculer le diamètre de l’orifice O de telle sorte que l’oxygène se débite à raison de 23 litres par heure. Les tubes d’aspiration et d’expiration « t », « t’ » et le flacon épurateur F sont disposés exactement comme dans l’appareil précédemment décrit. Le réservoir A ayant une capacité de 30 litres et contenant, par conséquent, 300 litres d’oxygène à la pression d’une atmosphère, pourrait fournir l’air respirable pendant 5 à 7 heures.

M. Rouquayrol a fait quelques expériences qui, malheureusement, n’ont pas été assez multipliées ni assez prolongées pour être bien concluantes. L’appareil à air comprimé n° 1 a fonctionné avec une grande régularité, mais l’expérience n’a duré qu’une demi-heure. Le deuxième procédé a été également expérimenté, mais M. Rouquayrol avoue qu’il n’a pas cru prudent de prolonger ce premier essai au-delà de trois quarts d’heure.

>  Note supplémentaire

Dans une dernière note, que nous avons reçue récemment, M. Rouquayrol a bien voulu nous communiquer le dessin d’un appareil à air comprimé qu’il vient de faire construire et dont il a étudié avec soin tous les détails ; il nous a, en outre, fait connaître le procédé fort simple qu’il a employé pour fouler de l’air à une pression quelconque dans le réservoir. Ainsi qu’on le voit en examinant la Fig. 18, Pl. XVII, cet appareil diffère peu de celui présenté Fig. 16. Les organes établis au-dessus du réservoir AA sont protégés par un chapeau en tôle « mn ». Rien n’est changé au plateau mobile MN qui porte d’un côté le tuyau d’aspiration en caoutchouc « tt’ », et de l’autre côté la tige verticale servant à régulariser l’écoulement de l’air.

Pour comprimer l’air dans le récipient AA, M. Rouquayrol a recours au procédé suivant. Le récipient AA (Fig. 6, Pl. XVIII) a été placé sur la tubulure qui surmonte le vase BB. À l’aide d’une pompe servant à faire les essais de chaudières à vapeur, on a injecté de l’eau dans la capacité BB dont l’air a été ainsi forcé de s’échapper dans le réservoir en soulevant la soupape de retenue S. En faisant écouler l’eau qui a été foulée par la pompe et recommençant la même opération, on introduit dans le réservoir un nouveau volume d’air égal à la capacité de la caisse BB, etc. M. Rouquayrol est ainsi parvenu à comprimer de l’air à une très forte pression. Ce mode de chargement du réservoir est avantageux en ce qu’il permet d’employer des pompes ordinaires au lieu de pompes à air dont la construction est plus délicate et plus difficile. »     

Malgré la longueur du texte, nous voyons parfaitement ici que Benoît Rouquayrol avait déjà imaginé dès 1860 les bases du détendeur fonctionnant à la demande et même du recycleur à air enrichi d’oxygène (notre nitrox actuel). Nous comprenons mieux ainsi comment il a progressivement imaginé, par tâtonnements et étapes successives, le fonctionnement du tout premier détendeur.

/// Le dépôt des brevets d’invention

Benoît Rouquayrol va déposer successivement plusieurs brevets d’invention :

> Brevet n° 44.655 du 14 avril 1860 pour un régulateur destiné à régulariser l’écoulement des gaz comprimés, suivi de plusieurs demandes de certificats d’addition.

> Brevet n° 52.557 du 16 janvier 1862 pour un appareil devant servir à procurer de l’air pur aux ouvriers travaillant dans une atmosphère délétère, suivi de plusieurs demandes de certificats d’addition.

> Brevet n° 60.027 du 25 août 1863 pour une pompe soufflante à piston dormant et noyé et compresseur compensateur, suivi de plusieurs demandes de certificats d’addition.

> Brevet n° 63.606 du 27 juin 1864 pour des moyens propres à protéger les plongeurs, suivi de plusieurs demandes de certificats d’addition, notamment la demande du 5 septembre 1865 pour un masque en cuivre embouti et la demande du 7 juin 1867 pour un casque de scaphandrier à 3 boulons.

Dessin annexé à la demande de certificat d’addition du 5 septembre 1865.

Dessin annexé à la demande de certificat d’addition du 5 septembre 1865.

C’est ce dernier brevet d’invention et ses demandes d’addition qui vont directement nous intéresser dans le domaine de la plongée. Dans sa demande d’addition du 5 septembre 1865, Benoît Rouquayrol écrit : « J’ai perfectionné le vêtement en caoutchouc destiné à protéger les plongeurs du contact de l’eau de la manière suivante. La collerette de mon habit est en fort tissu élastique recouvert de couches de caoutchouc. Cette collerette est circulaire et fait joint par sa propre élasticité sur le cercle métallique placé à la base du masque. Le masque est en cuivre embouti, ayant la forme indiquée par le dessin ci-joint. Il porte la monture d’une grande glace permettant au plongeur d’y voir. On peut, autour de cette glace, percer cinq ou six trous garnis de glaces pour augmenter dans tous les sens le champ de la vision. Le masque porte aussi le robinet pour lâcher à volonté l’air contenu dans l’habit, et le tube métallique pour l’arrivée de l’air du régulateur. J’ai supprimé la toile imperméable, et la collerette de l’habit vient se fixer directement sur le masque. À cet effet, la base du masque est formée par une gorge circulaire qui est remplie de caoutchouc, la collerette vient se placer par-dessus cette gorge. Au moyen du cercle de serrage indiqué sur le dessin, on serre la collerette sur la boucle de caoutchouc placée dans la gorge, et l’on obtient un joint hermétique. Je revendique en conséquence l’exploitation exclusive du masque protecteur dont je viens de donner la description, comme annexe à mon privilège. » Signé B. Rouquayrol et A. Denayrouze, 3 boulevard du Prince Eugène.

Il s’agit de la description de ce qui sera ultérieurement dénommé les groins Rouquayrol-Denayrouze. Les originaux de ces dépôts de brevets sont toujours archivés et conservés actuellement par l’I.N.P.I. (Institut national de la propriété industrielle).     

/// L’association avec le Lieutenant
de Vaisseau Auguste Denayrouze

Avec Jean-Michel Cousteau lors du tournage de son film « L’Homme-Poisson ».

Avec Jean-Michel Cousteau lors du tournage de son film « L’Homme-Poisson ».

Étant originaire de la ville d’Espalion dans l’Aveyron, Benoît Rouquayrol va s’associer en 1865 avec un autre espalionnais : le lieutenant de vaisseau Auguste Denayrouze (1837 – 1883). Leur société va se spécialiser dans la fabrication de matériels pour les plongeurs-scaphandriers. Cette association entre un ingénieur et un marin pour créer du matériel de plongée va curieusement se reproduire environ 80 années plus tard, avec l’ingénieur Émile Gagnan et le lieutenant de vaisseau Jacques-Yves Cousteau !

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 301 Abonnez-vous

Commentaires

Aucune commentaire actuellement

Écrire un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *