Plongée, drogues et médicaments : un mélange à risques

le 02/03/2013 publié dans le N°247 de Subaqua
N247_Plongee-drogues-medicaments
Valérie Poncin
par Valérie Poncin

Au cours des dernières années, plusieurs études ont montré que les plongeurs prennent volontiers des médicaments avant la plongée voire même plongent sous l’influence d’alcool ou de drogues diverses. Or, si les effets secondaires des médicaments sont de mieux en mieux connus, le devenir de ces produits dans le corps d’un plongeur en environnement hyperbare reste du domaine de la spéculation. Que deviennent les effets et les effets indésirables des médicaments en hyperbarie ? Quelles peuvent être leurs effets sur la saturation et sur l’élimination des gaz ? Autant d’inconnues qui font qu’il n’est peut-être pas si anodin de prendre des médicaments avant de plonger. Par le Dr Valérie Poncin, médecin coordonnateur FFESSM. Centre hospitalier de Dax (40). ev.poncin@wanadoo.fr

Il apparaît intéressant de regrouper quelques médicaments d’usage courant en fonction du risque théorique d’accident qu’ils pourraient occasionner. Sont volontairement exclus de cette revue les produits dont l’utilisation relève d’une contre-indication à la plongée : médicaments pour l’asthme, l’épilepsie, les pathologies cardiaques etc.

 

Médicaments et drogues pouvant favoriser le risque de narcose

Les substances dont l’effet principal ou un effet secondaire est mental peuvent entraîner l’apparition de signes de narcose. Sa survenue sera plus rapide et son intensité plus majorée par la prise d’autres dépresseurs du système nerveux central.


  • Médicaments agissant sur l’humeur, l’anxiété ou les troubles mentaux

    Les anxiolytiques (Lexomil®, Xanax®, Lysanxia®, etc.), les antidépresseurs (Effexor®, Prozac®, Déroxat® etc.), les somnifères (zolpidem, zopiclone, Séresta®, etc.), les myorelaxants (tétrazépam) souvent consommés par les plongeurs lombalgiques, peuvent entraîner : troubles de la vigilance et de la mémoire, de la coordination, de l’équilibre et de la vision.

    Ces symptômes peuvent être majorés par l’environnement hyperbare (froid, déprivation sensorielle, apesanteur…). Attention à la demi-vie des médicaments (temps mis par une substance pour perdre la moitié de son activité), les demi-vies les plus longues sont susceptibles d’avoir le plus d’effets secondaires sous l’eau. La plongée pourrait même être anxiogène pour certains : une consommation systématique d’anxiolytiques avant de plonger a été rapportée.

    Rappelons que selon les recommandations de la CMPN, tous ces traitements constituent une contre-indication temporaire à la plongée.

  • Antalgiques à effet central

    Médicaments contenant de la codéine (Codoliprane®, Néocodion®, Prontalgine®…), parfois en vente libre, peuvent perturber la vigilance.

    Médicaments dérivés de l’opium, prescrits pour des douleurs sévères : tramadol (Ixprim®), Fentanyl®, morphine même à petites doses. Ne pas oublier que si de tels médicaments doivent être consommés il est probablement plus raisonnable de ne pas plonger.

  • Antihistaminiques

    Cette classe de médicaments comprend des antiallergiques et des antinaupathiques (mal de mer). Les plus anciens, dits de 1re génération ont des effets secondaires gênants à type de somnolence, vertiges, troubles de la vue, sécheresse de la bouche, des yeux, du nez. Exemples : Actifed® (préférer la version jour/nuit), Polaramine®, Bénadryl® Fervex®, Rhinofébral®, Humex-rhume®, Denoral®… Les antinaupathiques peuvent avoir les mêmes inconvénients : Nautamine, Bénadryl, Nausicalm, Mercalm®, Dramamine®, Gravol® etc.

    Ceux dits de 2e génération ont moins d’effets indésirables : cétirizine pour l’allergie, méclozine (Agyrax®) pour le mal de mer, en vente libre.

  • Les autres antinaupathiques

    La scopolamine (Scopoderm®). Ce patch à coller derrière l’oreille 6 à 12 heures avant un départ en croisière a suscité une vague d’intérêt il y a quelques années. L’enthousiasme des plongeurs a nettement diminué devant ses effets indésirables en particulier visuels (analogue de l’atropine). Il convient donc de l’évaluer quelque temps avant le départ si vous ne l’avez jamais utilisé.

    La phénothiazine : Vogalène® sur prescription, Vogalib® en vente libre : somnolence possible également.

  • Certains antipaludéens

    La méfloquine (Lariam®) actif en prévention du paludisme en zone de groupe III (comprenant certains pays tropicaux où la plongée se développe), peut être responsable de troubles neuro-psychiques parfois marqués : anxiété, dépression, confusion, vertiges… Sa demi-vie étant de 3 semaines, il est à déconseiller chez les plongeurs, chez qui on préférera la Malarone®, dont les effets secondaires sont moins fréquents avec une activité identique.

  • L’alcool

    La consommation d’alcool avant une plongée pourrait être impliquée dans la survenue de certains accidents, en particulier de par la détérioration des fonctions intellectuelles qu’elle entraîne ; alcool et narcose sont synergiques sur la détérioration des performances mentales : il augmente le temps de réaction, altère le jugement, la coordination des gestes, les perceptions sensorielles, le tout s’aggravant avec la profondeur. De plus l’alcool a des effets diurétiques et favorise la déshydratation déjà notable en plongée, il augmente le risque de mal de mer et diminue la résistance au froid.

  • Les stupéfiants

    Le cannabis dont l’effet peut perdurer si l’on a fumé la veille ; son principe actif (le THC) persiste dans les urines plusieurs semaines et positive le contrôle antidopage. Ses effets sont assez similaires à la narcose : troubles de l’attention et de la mémoire courte, indifférence aux événements, euphorie, réactions inappropriées (non-respect des procédures, mauvais ou absence de contrôle des instruments et donc augmentation de la prise de risque). Sur le plan physiologique : élévation du rythme cardiaque, vasodilatation, troubles visuels.

    Les stimulants : amphétamines, cocaïne

    Une étude toxicologique réalisée sur les accidents de plongée admis au centre hyperbare de Marseille de 1995 à 1998, avait montré la présence d’amphétamines chez 2 plongeurs (parfois prescrites pour des troubles de l’attention). Une autre étude anglaise de 2011 a montré que 1, 9 % des 479 plongeurs interrogés, déclarait avoir consommé de la cocaïne dans les 12 mois précédant leur dernière plongée. Ces produits entraînent une excitation, disparition de la fatigue, augmentation de la prise de risque et sur le plan physiologique une élévation de la fréquence cardiaque ; ce sont par ailleurs de puissants vasoconstricteurs pouvant favoriser hypertension artérielle et piégeages gazeux.

  • Les stéroïdes anabolisants

    Bien qu’interdits, ils restent consommés par certains sportifs pour favoriser la prise de masse musculaire. Ils peuvent avoir une action sur l’humeur à type d’agressivité et de troubles du comportement.


 

Médicaments et drogues susceptibles d’augmenter le risque d’accident de décompression

Les produits à effet diurétique : par le risque de déshydratation : médicaments diurétiques, caféine en excès, alcool, antibiotiques en cas de diarrhée d’intolérance.

Les contraceptifs fortement dosés : par le biais d’une augmentation de la viscosité sanguine. Une plongeuse professionnelle exerçant en pays chaud se verra prescrire préférentiellement un contraceptif microdosé.

Le tabac : par le biais de la vasoconstriction périphérique qu’il occasionne et par l’insuffisance respiratoire gênant la désaturation. Il augmente aussi la dette d’O2 à l’effort.

 

Médicaments et drogues pouvant favoriser le risque ou augmenter la gravité d’un barotraumatisme ORL


  • Les décongestionnants nasaux

    Ces médicaments sur prescription ou en vente libre se présentent sous forme de sprays nasaux, de gouttes ou de comprimés. Ce sont essentiellement des dérivés de l’éphédrine +/- mélangés à d’autres substances (exemples : Déturgylone®, Dérinox®, Humex®, Actifed® etc.). Souvent utilisés pour ”mieux passer les oreilles” (et parfois pour palier un manque de technique), leur usage est très répandu. Ils agissent sur la muqueuse nasale, mais leur action est de courte durée et l’effet rebond c’est-à-dire l’augmentation de l’écoulement en fin de plongée, peut entraîner des barotraumatismes oreilles ou sinus à la remontée, potentiellement plus graves car le produit a permis au plongeur d’atteindre la profondeur souhaitée. Leur utilisation doit être ponctuelle et recommandée par un médecin.

  • L’aspirine

    Son utilisation comporte un risque théorique d’aggraver un saignement en cas de barotraumatisme Orl. À noter que des ”conduites dopantes” sont décrites avec l’aspirine : certains plongeurs en prennent systématiquement avant de plonger, s’autorisant ainsi une prise de risque et pensant se mettre à l’abri d’un accident de décompression.

  • Le tabac

    Son utilisation régulière est responsable d’une congestion chronique des muqueuses ORL, obstruant la trompe d’Eustache.


 

Médicaments et drogues susceptibles d’augmenter le risque cardiaque

Le plus souvent par le biais d’une élévation de la fréquence cardiaque et d’une mauvaise adaptation à l’effort : les décongestionnants nasaux, la caféine, les stimulants, le cannabis et le tabac, proscrire absolument la cigarette allumée à la sortie de l’eau, le Scopoderm®, etc.

 

Médicaments et drogues susceptibles de diminuer la résistance au froid

L’alcool, le cannabis, les médicaments vasodilatateurs, etc.

 

Conclusion

La question de la compatibilité des médicaments avec la plongée est souvent posée au médecin fédéral. Encore faut-il avouer que l’on en prend car, admettre qu’on prend un médicament revient à avouer sa maladie, mais le motif de la prescription est-il compatible avec la plongée ?

Or, une étude de 2011 a montré que 57 % des 531 plongeurs interrogés anonymement prenaient des médicaments dans les 6 heures avant de plonger (en 1er : antidouleur puis décongestionnants), 22 % étaient des prescriptions.

Il est toujours préférable d’essayer un produit avant car l’existence d’effets secondaires ”au quotidien” est souvent prédictif de problèmes sous l’eau. Les interactions entre les médicaments et le corps en milieu hyperbare ne sont pas connues ; une prise médicamenteuse pourrait-elle être impliquée dans l’apparition de certains accidents dits ”immérités” ? Tout médicament serait peut-être à considérer.

 

Questions & Réponses


  • ECG d’effort systématique

    « J’ai 52 ans et je viens de m’inscrire à la préparation N4. On me demande un certificat médical pour l’examen. Faut-il réaliser des examens spécifiques et en particulier un test d’effort ? »

    ——–

    Le passage de l’examen de guide de palanquée comporte plusieurs épreuves chronométrées. On peut donc l’assimiler à une compétition car il y aura une forte motivation avec une volonté de dépassement de soi. Il faut donc appliquer les recommandations concernant les sports de compétition : l’ECG d’effort est proposé de manière systématique pour les hommes à partir de 35 ans et chez les femmes à partir de 45 ans. Dans tous les cas, le test d’effort est indiqué avant la reprise d’une activité sportive intense chez un sujet à risque. Votre âge est déjà à prendre en compte et il faudra rechercher les facteurs de risque cardio-vasculaires modifiables ou accessibles à un traitement (HTA, taux de cholestérol, taux de sucre…). Il faudra ensuite intensifier progressivement votre entraînement physique et sportif en insistant particulièrement sur la régularité avec au moins 2 séances de fond par semaine.

    Dr Benoît Brouant

  • CIA opérée

    « Une de mes patientes âgée de 26 ans a été opérée à l’âge de 23 ans d’une communication interauriculaire cardiaque (CIA large de type ostium secondum) par mini-thoracotomie antérieure droite dans le sillon sous-mammaire avec fermeture par patch de gore-tex. Les suites opératoires ont été simples. Il n’y a pas de shunt résiduel à l’échocardiographie de contrôle. L’EFR récente est normale et le scanner thoracique sans anomalie. Le cardiologue hospitalier lui a donné l’autorisation initiale de pratiquer la plongée sous-marine. Cela est-il conforme aux recommandations fédérales ? »

    ——–

    Les nouvelles recommandations concernant les pneumothorax traumatiques règlent le problème de la chirurgie thoracique devant la normalité du scanner et de l’EFR. En l’absence de shunt résiduel, il n’y a pas de restriction à la pratique de la plongée scaphandre.

    Dr Benoît Brouant

  • Asthme d’effort

    « Ma fille de 14 ans souhaiterait faire de la plongée sous-marine mais elle est asthmatique à l’effort. Elle pratique régulièrement le sport en section sportive de son collège (section ski) pourtant le médecin fédéral ne l’autorise pas à pratiquer la plongée. »

    ——–

    La pratique des sports est recommandée pour les asthmatiques SAUF la plongée scaphandre en raison du risque particulier de surpression pulmonaire. La pratique de la plongée peut s’envisager, sous conditions, chez des asthmatiques stables. Hors l’adolescence est justement une période d’instabilité. Il faut attendre la fin de la croissance : l’asthme va soit se fixer (et il faudra vérifier les conditions particulières autorisant la pratique) soit disparaître (et il n’y aura plus de contre-indication à la plongée avec scaphandre).

    Par contre la plongée libre (apnée) n’est pas contre-indiquée et peut même être encouragée. L’entraînement à l’apnée et les activités sportives nautiques (natation, nage avec palmes, hockey subaquatique…) permettent de développer les muscles respiratoires et cela améliore la tolérance des crises d’asthme.

    Dr Benoît Brouant

  • Certificat médical valide...

    « Notre club éprouve de grandes difficultés à obtenir que chaque adhérent présente un certificat médical valide, la majorité arguant qu’il n’est pas nécessaire en dehors des sorties en milieu naturel. Autrement dit, ces personnes sont persuadées qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un certificat médical lors des activités de piscine en saison d’hiver. Pouvez-vous m’éclairer ?« 

    ——–

    Dans le règlement fédéral il est obligatoire de fournir un certificat médical de non-contre-indication lors des activités subaquatiques en milieu artificiel ou en milieu naturel. Il s’agit en plus d’une contrainte juridique pour le président du club et son comité directeur ; en effet si un accident ou un incident médical se produit lors de ces activités sans certificat médical valable, le président et le comité directeur seront poursuivis en justice pour infraction à la législation. Ces textes se trouvent en partie dans le Règlement médical fédéral et dans le Règlement intérieur de la FFESSM ; le tout sur le site fédéral.

    Dr Elias Amiouni, secrétaire de la CMPN

  • Désinfaction pour détendeurs et tubas

    « Suite à la volonté de notre club de mettre en place la désinfection pour détendeurs et tubas, nous avons regardé du côté de la boutique de la FFESSM…]
    Mais la fiche technique de l’Esculase, le produit préconisé par la fédération, est flanquée du logo de dangerosité pour l’environnement aquatique. Nulle part sur la fiche technique du produit, il est marqué comme biodégradable. Voici le produit, trouvé sur internet, qui s’applique par pulvérisation, sans rinçage, et plus simple à mettre en œuvre au bord du bassin entre chaque plongeur.
    http://boutique.abyssnaut.com/EcoSterixH2O

    Nous pourrions aussi prendre un produit par trempage, pour une désinfection de ”masse” dans le local qui remplacerait l’Esculase (http://boutique.abyssnaut.com/SeptiOne-Mat-Pro5L), plus cher mais biodégradable, ce qui est conforme avec la gestion de la pollution de notre club que nous avons engagé depuis quelques années sur le site de notre lac : toilettes sèches, produit ménager bio, timbales pour éliminer les gobelets jetables, etc. Qu’en pensez-vous ? Christophe Eloy. »

    ————–

    La désinfection du matériel respiratoire est une obligation du Code du sport. Les produits préconisés par la CMPN sans aucune préférence ni accointance d’aucune sorte sont des produits agréés par la Fédération hospitalière française, de par leurs études cliniques, leur efficacité et leur mode d’utilisation. Ces produits doivent être rincés avant usage du matériel ainsi traité. Il est à signaler qu’Abbysnaut ne présente pas d’études cliniques sur son site de ses produits. Vous êtes libre d’utiliser les produits à votre convenance mais du point de vue fédéral seuls les ammoniums quaternaires ont fait leur preuve ; quant à la biodégradabilité, ces produits ne le sont pas a priori mais ne présentent pas pour autant un danger pour l’environnement ; à titre d’anecdote, tous les produits à usage ménager que vous utilisez au quotidien sont hautement toxiques et bien plus que l’Esculase…

    Dr Elias Amiouni, secrétaire de la CMPN

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 247 Abonnez-vous

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