Un ADD ”exemplaire” : comment l’éviter !

le 01/02/2013 publié dans le N°246 de Subaqua
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Bruno Lemmens
par Bruno Lemmens

Dans un but didactique et pédagogique, la commission médicale relate et décrypte un accident de plongée réel, dans les conditions précises de son déroulement. En connaître les circonstances et les causes permettra d’en éviter la survenue chez les plongeurs porteurs d’un foramen ovale perméable. Par le docteur Bruno Lemmens.

Déroulement de l’accident

M. X est un plongeur de 34 ans, sportif, expérimenté. Il est niveau 4 initiateur, pratique depuis plus de 10 ans, et totalise environ 250 plongées sans incidents. Il se prépare au MF1 (stagiaire pédagogique), et participe donc activement aux formations de son club.

Une sortie ”club” en fosse artificielle avec plateau à -5 m et fond à -20 m est organisée. Il encadre un plongeur pour des exercices à -20 m. La première plongée débute le matin vers 11 heures, et il réalise avec son élève trois remontées assistées de -20 à -5 m, avec une vitesse de remontée évaluée. Il rejoint ensuite le plateau à -5 m pour finir par quelques exercices simples pendant le temps du palier de sécurité, et sort de l’eau après 20 minutes de temps de plongée.

L’après-midi, vers 16 heures, il s’immerge brièvement 3 minutes à -5 m pour une surveillance d’apnée, et fait lui-même une brève descente d’entraînement de plongée libre à -10 m. Il effectue ensuite sa 2e plongée d’exercice de la journée avec son élève. Dès le début de l’immersion, il ressent une impression de malaise et de fourmillements des 2 membres supérieurs, avec une sensation nauséeuse. Il effectue 2 remontées assistées de -20 à -9 m, redescend à mi-profondeur pour effectuer une procédure de rattrappage, cependant en raison d’une sensation vertigineuse et d’instabilité, il a du mal à maintenir le niveau de son immersion, et préfère remonter au plateau de -5 m, où il fait 4 minutes de palier avant de sortir de l’eau.

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Il éprouve toujours une sensation de fourmillements des bras, une fatigue intense, et une douleur du pli de l’aine de façon bilatérale. Il prévient son moniteur, bénéficie d’une prise en charge selon les recommandations fédérales et notamment la mise sous oxygène, et est dirigé vers le caisson hyperbare le plus proche. Il est traité en caisson hyperbare vers 21 heures, le diagnostic initial étant un accident de décompression médullaire cervical compte tenu des symptômes dans les deux bras. Il est réalisé une séance avec nette amélioration des symptômes, et il bénéficie d’une deuxième séance le lendemain matin, puis est autorisé à sortir de l’hôpital.

Il est vu en consultation de médecine fédérale quatre jours plus tard, et peut bénéficier d’un examen par un neurologue. Les sensations de vertiges et fourmillements ont disparu. Cependant, l’examen neurologique montre la présence d’une trépidation épileptoïde du pied gauche, des réflexes ostéotendineux des membres inférieurs vifs, un réflexe de Babinski à droite indifférent, voire en légère flexion, une petite maladresse de la main droite aux mouvements fins, et un réflexe mentonnier vif. Cela signifie la persistance a minima de petits signes irritatifs sur la commande neurologique des quatre membres et du visage.

Analyse de l’événement


  • Sur le plan médical

    Les vertiges pourraient orienter vers un problème d’oreille interne ou du cervelet. Les fourmillements dans les membres supérieurs pourraient évoquer une lésion de la moelle épinière cervicale. Mais l’association de ces deux groupes de symptômes est en faveur d’une localisation où ces symptômes peuvent avoir une origine commune, le tronc cérébral.

    Il s’agit de la zone à la base du crâne où passent tous les nerfs sensitifs et moteurs reliant le cerveau au reste de l’organisme, en plus de donner naissance à de nombreux noyaux du système nerveux autonome régulant toutes les fonctions automatiques du corps. Cette hypothèse est renforcée par l’examen quatre jours après l’accident qui montre des signes d’atteinte irritative des fibres longues motrices à destination des quatre membres.

    Un accident de décompression (ADD) neurologique central est l’hypothèse qui s’impose pour rendre compte de cette atteinte très localisée, en plus des symptômes généraux, même si les premiers signes apparaissent sous l’eau en début de plongée ! L’ADD est un accident bullaire localisé. Ici, le passage d’une bulle du secteur veineux originel vers le secteur artériel dit vertébro basilaire (irriguant le tronc cérébral, cervelet, et une partie du cerveau) fait très fortement suspecter une communication anormale (”shunt”) entre ces deux secteurs vasculaires. Pour comprendre la survenue de cet Add en début d’immersion, il faut analyser la situation sur le plan technique.

  • Au plan technique

    La première plongée est consacrée essentiellement à des remontées assistées successives, qui sont dites maîtrisées en termes de vitesse et d’arrêt avant la surface. Rien n’incite à remettre en cause ce témoignage, mais l’on sait qu’il s’agit de situations plus à risques du fait de variations répétées des volumes gazeux, y compris éventuellement bullaires, d’où l’intérêt de pratiquer ces exercices en début de plongée, à faible niveau de saturation, et d’en limiter le nombre.

    Dans notre cas clinique, l’attention est attirée par l’absence de procédure de rattrapage et la plongée se termine directement sur le palier de sécurité au plateau de -5 m par des exercices de vidage de masque. Or, ceci impose de faire quelques apnées courtes et des expirations forcées, déconseillées en fin de plongée. Bref, s’il n’y a pas d’accident, il y a une décompression non optimale, qui a peut-être favorisé l’ADD ultérieur.

    Avant la deuxième plongée, il y a une courte immersion, certes peu saturante, mais surtout une brève apnée d’entraînement, qui est la cause principale de l’ADD !

  • Mécanisme physiopathologique

    En effet, même après un intervalle de surface de 4 heures, la désaturation est loin d’être terminée, et il existe des bulles circulantes dans le secteur veineux, filtrées par le poumon, dont le nombre varie d’un sujet à l’autre. En faisant une apnée à -10 m, il y a obligatoirement la réalisation de plusieurs manœuvres de Valsalva, qui augmentent à chaque fois la pression thoracique, et donc la pression du secteur vasculaire pulmonaire et de l’oreillette droite. En cas de communication anormale entre ce secteur vasculaire chargé en bulles (oreillette et ventricule droits, et artères pulmonaires) et la circulation sanguine artérialisée intrathoracique (veines pulmonaires et oreillette gauche), cette augmentation de pression favorise le passage de bulles d’un secteur vers l’autre. Soit il s’agit d’un passage de bulles des artères vers les veines pulmonaires sans passer par le filtre capillaire (”shunt intrathoracique”), soit d’une communication entre les deux oreillettes, le plus souvent un foramen ovale perméable (FOP).

    Le FOP est une communication indispensable à la vie intra-utérine, qui se ferme à la naissance. En réalité, un tiers de la population garde un FOP plus ou moins perméable, mais qui peut s’ouvrir d’autant plus facilement qu’il y a des efforts à glotte fermée, comme un Valsalva. Il ne s’agit pas d’un simple trou, mais du défaut d’accolement des feuillets chacun percé, formant une sorte de ”chicane” (voir les schémas).

    En résumé : la réalisation de Valsalva lors de l’apnée, 4 heures après une première plongée légèrement perturbée, force le passage de bulles à travers un shunt, intrapulmonaire ou intracardiaque. Quelques-unes de ces bulles, qui ont gagné le secteur artériel se trouvent dirigées, via le réseau artériel cérébral vers le tronc cérébral. Quelques minutes plus tard, le temps de la constitution de l’accident bullaire initial, les symptômes commencent à apparaître, au début de la seconde plongée.


Explorations réalisées

Irm cérébrale

Le patient a bénéficié d’une IRM cérébrale pour détecter les lésions du tronc, cet examen se révélant normal. Cela ne remet pas le diagnostic en cause, et il est fréquent que l’examen réalisé quelques jours après un ADD neurologique central, alors que le patient a bien récupéré, ne montre pas d’anomalies.

Recherche de shunt

Il a d’abord été effectué un écho doppler transcranien. Cet examen non invasif consiste à injecter dans le sang veineux du patient une émulsion de bulles (sans danger, car instables et de vie très courte), et à rechercher leur passage anormal en détectant ces bulles dans le secteur artériel grâce à une sonde doppler. La détection se fait sur les artères allant vers le cerveau, au niveau de l’os temporal (le plus mince), en avant de l’oreille. Cet examen s’est révélé franchement positif.

Cela signifie qu’il y a un shunt, mais ne peut permettre de préciser son origine pulmonaire ou cardiaque. Il a donc été réalisé une échographie cardiaque, sensibilisée par l’injection de bulles circulantes. Elle a montré un cœur sain, mais l’existence d’un important FOP avec passage spontané droit gauche, confirmé par l’épreuve de bulles.

Devenir et aptitude

Le sujet a totalement guéri sans séquelles. Son dossier a été discuté en commission médicale. Selon les recommandations fédérales, il a été autorisé à plonger à condition de suivre les conseils concernant les patients porteurs d’un Fop.

Commentaires

Cet accident est porteur de plusieurs messages pédagogiques. Le premier est le rappel des consignes et procédures encadrant la plongée. Il est impossible d’affirmer si l’impossibilité d’effectuer le palier de mi profondeur lors de la première plongée a eu un impact ou non sur l’accident, mais l’on peut supposer que cela a pu perturber le processus de désaturation. Il est préférable d’éviter les apnées en fin de plongée, pour des exercices de vidage de masque, chacun étant une manœuvre de Valsalva a minima.

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Même après une plongée modérément saturante, un intervalle de 4 heures est loin d’assurer une désaturation suffisante pour se libérer de l’interdiction de plongée libre après une plongée en scaphandre.

Surtout, cet accident démontre que, contrairement à une idée trop souvent partagée, un ADD peut survenir dans l’eau ! Et même en l’occurrence, dès le début d’une plongée successive. Dans 80 % des cas, l’ADD survient dans la première heure après la sortie de l’eau, et jusqu’à 24 heures après, mais des cas d’ADD au palier ont été décrits. Tout symptôme suspect doit donc être pris en compte et peut justifier d’un avis spécialisé. On peut au passage noter la bonne réaction du sujet et de son encadrement après la sortie de l’eau, avec respect des procédures préconisées et de la chaîne de soins jusqu’au caisson hyperbare.

Enfin, cet exemple illustre le rapport complexe entre une anomalie anatomique fréquente, le FOP, la survenue d’un accident, et la décision d’aptitude ultérieure. Ce n’est pas tant l’existence du FOP qui est accidentogène, que les circonstances de plongée qui amènent à l’accident. Près d’un tiers des plongeurs a un tel FOP, plus ou moins perméable, et très heureusement la plupart ne feront jamais d’accident relié ! A contrario, la présence d’un FOP est retrouvée dans environ 60 % des ADD neurologiques centraux et cochléo-vestibulaires. Pour simplifier, il faut une augmentation de pression dans l’oreillette droite pour que les bulles passent vers l’oreillette gauche (OD>OG), alors que le gradient de pression physiologique est inverse (OG>OD). D’où l’intérêt de respecter les consignes de plongée, et la décision de la CMPN d’autoriser la poursuite de la plongée après un ADD de ce type, à condition de respecter scrupuleusement les conseils.

Toutes les informations nécessaires sont disponibles sur ces sites :


  • Question & Réponse

    Bonjour,
    Au sein de mon club, nous aimerions avoir l’information suivante : un plongeur titulaire du niveau 2 ou 3, n’ayant pour pratique que l’exploration, peut-il se satisfaire d’un certificat médical délivré par un généraliste ?


Frédéric Orsini

Frédéric Orsini

Chers amis, la commission médicale et de prévention nationale reçoit régulièrement ce genre de questions. Pour mieux y répondre, et pour mieux vous informer, je vous rappelle qu’il existe sur le site de notre commission toutes les informations dont vous pouvez avoir besoin notamment sur le plan médical. En vous rendant sur http://medical.ffessm.fr hébergé par ffessm.fr vous trouverez toutes les informations dont vous avez besoin pour plonger en toute sécurité. Elles sont accessibles à tout public désirant s’informer sur les conditions de pratique et sur les différentes pathologies pouvant contre-indiquer ou nécessiter une adaptation des conditions de plongée.

Il y est mention notamment des conditions de plongée pour des plongeurs présentant des terrains particuliers (pathologies cardiologiques, ophtalmologiques, ou encore troubles de l’hémostase). Vous trouverez également des informations propres aux différentes disciplines sportives comme la nage avec palmes ou le hockey subaquatique. Vous trouverez également la liste des contre-indications à la plongée en scaphandre autonome, un tableau synoptique des qualités des médecins habilités à délivrer des certificats de non-contre-indication en fonction des disciplines pratiquées (ce qui répond à la question ci-dessus). Ce site vous permet également de trouver un médecin fédéral dans votre région.

Sont aussi disponibles la conduite à tenir devant un accident de désaturation (Add), la fiche d’évacuation préconisée par le Code du sport, seule autorisée à être utilisée, je vous le rappelle. On peut également consulter les conditions de reprise après accident de désaturation.

Une fiche est également consultable sur les compétitions d’apnée, et la conduite à tenir devant un accident d’apnée.

Redisons-le : ces informations sont disponibles à tous les licenciés, que j’invite à aller visiter ce site, qui leur est avant tout destiné !

Frédéric Orsini

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 246 Abonnez-vous

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