Il ne faut pas se fier aux apparences : le casque ne fait pas l’homme des cavernes, pas plus que la redondance des détendeurs ne garantit la compétence ! Ainsi, le portrait que vous avez sous les yeux est-il celui d’un plongeur (moi…) qui n’entend pas grand-chose au sujet de ce cinquième hors-série de Subaqua : la plongée souterraine. Pour reprendre une définition de Marc Douchet et Jean-Pierre Stéfanato (spécialistes garantis pur jus et chefs d’orchestre du présent opus), je me classe dans la catégorie des stygoxènes… Autrement dit : je dois y aller, j’y vais.
Sans crainte particulière peut-être, mais avec en permanence l’arrière-pensée que faire des bulles, alourdi d’un équipement écrasant, avec des tonnes de roches au-dessus de la tête, ce n’est tout de même pas dans la nature humaine… Jusqu’à ces dernières semaines, avant de mettre en route ce hors-série, j’éprouvais donc une espèce d’admiration dubitative pour ces types qui passent leurs week-ends et une large partie de leurs vacances à trimbaler des scaphandres, des scooters, des sacs de plongée, des kilos de plomb, des cloches de décompression, de l’éclairage, des vivres — que sais-je encore ? — dans des endroits mal pavés, humides, glissants, souvent étroits et, de surcroît, toujours noirs… Pourquoi ? Pour aller au bout de tunnels noyés dont tout le monde (sauf eux !) se contrefiche… La raison est suffisante pour voir dans cette débauche d’activité, une gratuité doublée d’un masochisme évident dont seuls trois ou quatre avantages peuvent, à mes yeux, justifier la pratique : le plus souvent, l’eau y est douce, ce qui pourrait faciliter le rinçage du matériel s’il n’y avait l’argile (bonne pour la peau…) et l’on y évite les coups de soleil. Autre point positif qui ravira les plongeurs sujets aux naupathies : les grottes inondées, beaucoup plus exotiques que les piscines, s’avèrent tout aussi stables. Ça peut aider… Enfin et surtout, les réseaux de téléphonie mobile y sont inopérants ! Voilà, grosso modo, ce que représentait pour moi cette école de maîtrise, jugée extrême. J’avais tort…
Au fil (d’Ariane) de la mise en forme de l’ouvrage, au fil de mes modestes incursions, l’admiration dubitative s’est doucement transformée en une solidaire et aimable compréhension. Le moral comme la bonne humeur étant nécessaires à la pratique, l’entrée des grottes se situant le plus souvent dans des régions à la gastronomie roborative et aux distillats soignés, le mélange plongée-gadoue-boyaux-siphons donne, en général, de solides gaillards animés d’une joyeuse philosophie… Quand j’y pense, Rabelais n’aurait détesté ni les lippées d’après plongées, ni l’énergie, ni le langage de ces hommes (et de ces trop rares femmes) qui se collettent avec des matières brutes et primordiales : l’eau, la roche, la glaise, la sueur… Ces hommes et ces femmes qui, en retour et sans le percevoir, sont modelés par elles. Grande initiatrice de techniques dont les plongées de loisir ou sportive bénéficient désormais (nitrox, trimix et recycleur…) mais consciente de son caractère jusqu’alors élitiste, la commission nationale de plongée souterraine de la FFESSM négocie aujourd’hui un virage radical. Ce virage, elle le prend pour des plongeurs comme vous et moi : au-delà des exploits réservés à des “spéléonautes” exceptionnels, il existe maintenant une pratique “contemplative”, ouverte à toutes et à tous, plus simple, plus abordable, tout en demeurant sûre. La plongée souterraine possède en effet une qualité que je n’ai pas encore évoquée : elle offre au regard des décors d’une beauté sidérante et une capacité de dépaysement inégalée. Stricto sensu : un autre monde sur notre petit globe qui, mondialisation oblige, en compte de moins en moins. Nul besoin pour cela des cénotes du Yucatán, des trous bleus des
Bahamas ou des dédales néo-calédoniens… La beauté souterraine est à deux pas. Un petit coup de voiture et, hop !, vous êtes ailleurs : la calcite est un joyau, stalactites et stalagmites font des cathédrales et vous pouvez toujours espérer, au plus secret de vos fantasmes, déboucher sur une salle exondée, visitée voici 270 siècles par un lointain cousin qui y aura abandonné quelques traces de lui-même. Après tout, cela s’est déjà vu…
C’est précisément cette démarche d’accueil qui a prévalu chez tous les plongeurs qui ont contribué à la rédaction de l’ouvrage afin de nous emmener “À la découverte de la plongée souterraine”. La clarté du propos, le souci permanent de simplification et de pédagogie, le goût de l’exemple et la beauté des illustrations ne pourront que vous engager à visiter — après un apprentissage incontournable — les merveilles que la terre recèle. Ce hors-série donnera également matière à réfléchir à tous les plongeurs “classiques” qui s’aventurent inconsidérément dans les épaves ou les grottes sous-marines, c’est-à-dire qui s’adonnent sans trop en mesurer les risques et les contraintes à une forme de plongée délicate : l’immersion sous plafond. Les faits-divers nous rappellent, hélas trop souvent, que cet accès à la beauté possède ses propres clefs. Avec l’envie et le goût, notre but est de vous en fournir le premier trousseau. Bonne lecture !
Pierre Martin-Razi