La diversité des requins qui peuplent ou sont de passage en Méditerranée, leurs tailles, formes, types d’habitat et mœurs restent largement méconnus du grand public comme des principaux usagers, à commencer par les plongeurs. La première image que se font ces derniers est sans doute celle de la petite roussette Scyliorhinus canicula ou « saumonette » que l’on observe de temps en temps sur le fond, à moins qu’il ne s’agisse d’un requin bleu ou peau bleu Prionace glauca égaré ou débarqué par un pêcheur à quai.
Pourtant, pas moins de 50 espèces de requins ont été recensées sur l’ensemble du bassin méditerranéen depuis que les scientifiques étudient cette zone maritime.Plus localement, nos eaux méditerranéennes françaises comptent 45 espèces, pourtant, malgré ces présences, voir la couleur d’un aileron impose au plongeur de s’armer de patience ou alors d’avoir une chance inouïe. Les mieux placés pour parler des requins sont plutôt les pêcheurs. Les chercheurs ont donc logiquement, et depuis toujours, travaillé localement en étroite collaboration avec ces derniers.
La première description scientifique des espèces de requins de la Méditerranée est le fameux traité intitulé « Histoire Naturelle des Poissons de la France » publié par le Dr Émile Moreau en 1881. Elle a été suivie par d’autres ouvrages pionniers comme celui du Dr Pierre Bougis en France ou du Dr Enrico Tortonese en Italie.
Sur les côtes françaises, la recherche et la découverte des espèces débute avec les premiers travaux du Dr Perrier, de Granier dans le secteur du Grau-du-Roi. À partir de 1956, ils seront suivis par ceux du Dr Louis Euzet au sein de la Station méditerranéenne d’environnement littoral de Sète, avec sa thèse soutenue sur les endoparasites de différentes espèces de requins dans le secteur sétois. Les travaux scientifiques sur les requins et plus largement les poissons élasmobranches (requins et raies) se développent ensuite avec les travaux du Laboratoire d’Ichtyologie de l’université de Montpellier 2 fondé et dirigé par le Pr. Jean Pierre Quignard en 1975, rejoint par son confrère et spécialiste des requins, le Dr Christian Capapé qui étudie déjà depuis quelques années plusieurs espèces dans la région de Tunis et en Afrique du Nord. En 1977, c’est lui qui développe réellement la recherche des espèces des eaux méditerranéennes françaises avec sa première étude dans la région toulonnaise « Liste commentée des sélaciens de la région de Toulon (de La Ciotat à Saint-Tropez) ».
En 2000, faisant suite à ses travaux approfondis sur la présence du grand requin blanc en Méditerranée, le Dr Alessandro de Maddalena créé avec d’autres scientifiques le Groupe de recherche sur les requins de la Méditerranée (Mediterranean Shark Research Group) pour développer un travail collectif et coordonné de recherches des espèces présentes dans l’ensemble du bassin méditerranéen pour mieux les connaître et les préserver.
À l’image de sa répartition dans la zone océanique mondiale, on trouve des requins dans toutes les régions et strates de la colonne d’eau en Méditerranée, depuis la surface jusqu’à plus de 2000 m de profondeur.
La Méditerranée présente une profondeur maximale de 5 150 m au large de la côte méridionale de la Grèce et comporte de vastes zones de canyons sous-marins comme le long de nos côtes la grande chaîne qui s’étend dans le golfe du Lion jusqu’à l’Espagne, ou celle profonde qui joint la région PACA à la Corse. Bien des requins méditerranéens sont des espèces des grandes profondeurs. Le pailona commun Centroscymnus coelolepis, requin de petite taille de la famille des Somniosidés (Laimargues) serait notamment le requin observé le plus profondément. Il est parfois capturé par les pêcheurs dans les eaux espagnoles : un spécimen aurait été pris au large des Baléares en septembre 1909 par 2 718 m, un record en Méditerranée !
Les plus grosses espèces de requins carnassières ne sont pas forcément présentes dans les premiers mètres d’eau mais entre 100 et 1 000 m de fond. Le requin griset Hexanchus griseus peut ainsi atteindre 6 m pour une tonne, il s’agit d’un grand requin opportuniste et charognard qui se nourrit de gros poissons osseux, d’élasmobranches, de crustacés ou de céphalopodes. C’est une espèce que l’on retrouve dans les eaux profondes un peu partout dans le monde. En Méditerranée il est souvent observé par les pêcheurs qui le capturent également très profond. Les plongeurs le rencontrent donc rarement excepté dans le détroit de Messine, où l’espèce remonterait dans cet étroit passage entre la botte italienne et la Sicile. Des scientifiques locaux pensent que l’animal aurait une zone de « nurserie » autour des îles Éoliennes où les femelles viendraient mettre bas. À côté de ce géant, de plus petits requins évoluent également dans les profondeurs. Le bioluminescent sagre commun Etmopterus spinax est le plus petit requin connu en Méditerranée. Il vit dans les grands fonds jusqu’à 2000 m, ne dépasserait pas le mètre et se nourrit de petits poissons, calmars, crustacés et vers polychètes. D’autres espèces évoluent également dans les grands fonds : requin perlon Heptranchias perlo, requin vache Hexanchus nakamurai, laimargue de Méditerranée Somniosus rostratus, squale bouclé Echinorhinus brucus, squale liche Dalatias licha, centrophore Centrophorus granulosus, centrine commune Oxynotus centrina.