Ses eaux abritent ou accueillent quasiment toutes les plus grands squales de la planète. Revue d’ensemble en compagnie de Brett Louw, dont le père, un pionnier, a fondé Agulhas diving, le premier centre de plongée face au récif d’Aliwal Shoal. « Toutes les rencontres sont possibles dans nos eaux. De mai à novembre, le requin taureau est présent, à l’abri dans les nombreuses cavités du récif. Il y a aussi du requin-marteau halicorne, des stations de nettoyage pour renard et lors des sardines run, on voit du requin cuivre. À Aliwal Shoal, zone récifale devenue une aire protégée il y a 15 ans, le feeding est interdit. Mais en appâtant, place aux bordés toute l’année, et de novembre à mars, aux tigres et bouledogues.
Dans les eaux protégées d’Aliwal Shoal, on note actuellement plus de requins qu’avant. En 2015, une baleine morte a dérivé sur le récif. Tous les « gros », grand requin blanc, tigre et bouledogue, ont alors défilé en nombre et ont pu être observés en même temps. Un spectacle exceptionnel et ahurissant. »
Vingt minutes. C’est le temps qu’il a fallu aux deux moteurs de 115 CV de notre semi-rigide, barré d’une main experte par Bruce, pour nous déposer au-dessus du récif d’Aliwal Shoal. Un trajet effectué à pleine vitesse, l’océan étant ce jour clément. Nous sommes au large, sans aucun repère. C’est à peine si j’aperçois les côtes du KwaZulu-Natal où se niche la petite ville d’Umkomaas d’où nous sommes partis. Assis sur le boudin de l’embarcation, je regarde Bruce, notre vaillant pilote, et Michelle, notre charmante guide.
Tous deux sont en pleine confection d’une succulente mixture de sardines. Le gruau visqueux est alors placé à l’intérieur de deux bidons percés. Les récipients sont ensuite immergés et maintenus par une bouée à deux profondeurs différentes : 8 mètres pour le premier, 15 mètres pour le second. Une fois le dispositif mis en place, la bouillie de poissons se répand dans l’eau par les orifices des conteneurs. Seulement quelques instants sont nécessaires pour que les effluves agissent auprès des grands prédateurs sous-marins. Mais cette suave fragrance opère aussi chez l’homme : Olivier, mon binôme, a mal supporté l’étape de préparation de l’odorant brouet. D’autant que cela s’est fait sur un bateau à l’arrêt, balancé gentiment par une petite houle résiduelle. Le voilà penché par-dessus bord à partager son petit-déjeuner avec les requins. Agnès et Manu, ses voisins bâbord et tribord, essayent de le retenir par la taille afin qu’il ne bascule pas au milieu des ailerons florissant. Des fois qu’il ne serve lui aussi de petit-déjeuner…
En fait, il n’y a pas vraiment de danger. Car sous la surface, la horde de prédateurs se compose d’inoffensifs, bien que peu farouches vis-à-vis du plongeur, requins bordés (Carcharhinus limbatus). Une bascule arrière synchronisée et, hop, nous voilà spectateurs d’une scène mémorable. Personnellement, je ne sais plus où regarder. Les squales déboulent de toutes les directions. Leur nombre ne cesse de croître. Ils sont une vingtaine au moins, évoluant parmi nous comme si nous n’étions que des plots à éviter au dernier moment. L’un d’eux semble d’ailleurs m’observer à chacun de ses passages avec une sorte de sourire de mauvais garçon. L’excitation monte encore, me donnant l’impression d’être entré dans la cage d’un dompteur entouré de fauves peu obéissants………
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Capitale parlementaire du pays aux côtés de Pretoria et de Bloemfontein, la ville du Cap, fondée en 1652, est considérée comme la cité mère d’Afrique du Sud. Ville la plus australe du continent africain, elle est établie sur les rives de la baie de la Table et est surmontée par la Montagne de la Table coiffée de deux pics nommés Lion’s Head et Devil’s Peak. La ville a été baptisée en référence au Cap de Bonne Espérance situé à plus de 47 km au sud de son centre historique.
Son littoral offre des eaux presque froides, où l’on peut se baigner au milieu d’une faune abondante et sauvage. L’on y croise des lagons qui s’aventurent tranquillement jusqu’à la lisière de l’océan et des rivières silencieuses qui dessinent paresseusement leurs méandres jusqu’à la mer. Le décor alentour est fait de falaises noueuses et déchiquetées, de galets lisses et arrondis, témoignant de la grande puissance des deux océans qui s’affrontent. La côte reste par endroits préservée, lavée par la mer acharnée, brûlée par un soleil persistant, d’une infinie beauté.
Aujourd’hui, le Cap est un pôle touristique majeur dont les attractions les plus populaires sont le front de mer de Victoria et Alfred Waterfront, l’Aquarium des Deux Océans, la montagne de la Table, Camps Bay, Sea Point pour ne citer que ceux-là. La ville permet aussi une grande variété d’activités parmi lesquelles bien sûr, la plongée sous-marine occupe une place de choix à côté de l’observation des oiseaux et des baleines.
La Montagne de la Table surplombe la ville. Son nom provient de sa forme qui, de loin, semble aussi plate que le dessus d’une table. Lorsque les nuages s’accrochent, on dit que la « nappe » est mise. Un parc national y a été créé en 1998, riche de son fynbos endémique du pays, sorte de lande dominée par la bruyère et les protées. Pas très loin, Lion’s Head est un pic rocheux haut de 669 mètres qui domine également Le Cap. Il doit son nom à sa forme caractéristique qui évoqua une tête de lion aux premiers colons néerlandais. Lion’s Head est un espace préservé sillonné par plusieurs sentiers de randonnée. Au pied de Devil’s Peak se trouve Rhodes Memorial, un monument qui honore la mémoire et la vision de Cecil Rhodes, ancien premier ministre de la colonie du Cap et fondateur de la Rhodésie. De là s’offre une vue spectaculaire et panoramique sur la ville. Au Cap, il est incontournable de flâner au Waterfront qui propose de nombreuses attractions, de très bons restaurants, des commerces agréables, des bureaux, une marina résidentielle ainsi que des hôtels tel le Breakwater Lodge qui fut une prison au XIXe siècle. Il comprend notamment le site de départ du Nelson Mandela Gateway pour des excursions en bateau vers Robben Island. C’est une île au large du Cap, située à 6,9 km à l’ouest de la côte de Bloubergstrand qui est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1999. Elle a été utilisée comme prison, léproserie, hôpital psychiatrique et poste militaire de défense. Au XXe siècle, les opposants noirs au régime d’apartheid, condamnés à de longues peines, y furent internés dont notamment trois futurs présidents sud-africains et Nelson Mandela en particulier.
Simonstown, situé dans le sud de la péninsule à environ 45 kilomètres du centre-ville du Cap, abrite le port militaire. C’est aussi le départ de nos plongées. En effet, les nombreux sites dans False Bay nous permettent d’effectuer de très belles immersions avec récifs colorés, épaves, forêts de kelp, roussettes, raies, requins plat-nez ainsi que les très joueuses otaries.
Depuis le centre de plongée Pisces Divers, dans l’entrepôt bleu reconnaissable tout de suite à l’entrée de la charmante petite ville, nous effectuons un court transfert en pickup local. Mike nous emmène jusqu’à la jetée du port pour embarquer à bord de son semi-rigide ou d’un catamaran. Tout l’équipement est mis à bord efficacement par le personnel du centre. Nous longeons la côte est de la Péninsule avec un petit arrêt au large de Boulders pour observer un groupe de manchots. Plus loin, le souffle d’une baleine nous déroute un peu.
Nous atteignons enfin le site de Partridge point après environ 30 minutes de navigation, avec ses gros blocs de granit où se prélassent près de 200 otaries. Leurs cris et surtout l’odeur sont immanquables… La mise à l’eau sur la face Nord est facile à l’abri des rochers, le fond est à moins de 10 mètres et déjà quelques jeunes otaries viennent à notre rencontre. Après une petite promenade le long du substrat rocheux et entre quelques laminaires, nous voilà dans l’amphithéâtre. Le ballet des otaries peut commencer avec des dizaines d’animaux qui virevoltent autour de nous, s’amusent et attendent que nous interagissions avec elles. Elles jouent avec nos bulles, crient dans nos détendeurs et tourner sur nous-mêmes les incite à rester avec nous. Gueule ouverte, elles foncent sur nous puis virent au dernier moment. L’une d’elles attrape avec sa bouche une lampe qui flotte puis la palme de mon binôme, avant de venir voir de très près ma robinetterie. Aucun sentiment de risque tant que l’on respecte ces animaux (interdiction de les toucher ou les attraper, en gardant les mains près de soi). Après 30 minutes en leur compagnie, la plongée se termine en déambulant entre les blocs rocheux recouverts d’espèces benthiques tels anémones roses ou bleues, oursins gris, bleus, blancs, éponges, étoiles de mer, crinoïdes, gorgones…
Une autre solution consiste à partir plus à l’est du rocher sur un fond de 26 mètres et de remonter ensuite sur l’amphithéâtre. De retour à bord, nous faisons route vers le petit port de Millers Point à 10 minutes de navigation seulement afin de récupérer la palanquée suivante, les nouveaux blocs et la tablette de chocolat qui circule sur le bateau. Appréciable !…………
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Si l’avenir appartient bien à ceux qui se lèvent tôt, alors le nôtre semble prometteur. Heureusement qu’il n’y a pas de décalage horaire à cette époque de l’année entre la France et l’Afrique du Sud, car à peine arrivé à Umkomaas (45 minutes au sud de Durban), rendez-vous est fixé à 6 heures du matin pour la première sortie. Ce qui ne laisse que quelques heures de sommeil.
Pour ceux qui seraient encore assoupis, le passage de la barre, gilet de sauvetage bien noué autour de soi, pieds calés dans les sangles du Zodiac et ligne de vie solidement agrippée, est l’assurance d’un réveil garanti, parfois en douceur, et à d’autres moments, plus vigoureux.
Hormis ce passage, la mer est plutôt calme à cette époque de l’année (début juillet) et les 15 à 20 minutes de navigation jusqu’au récif d’Aliwal Shoal plutôt tranquilles. Comme moi, les quelques plongeurs qui m’accompagnent ne sont pas spécialement masos et que je sache n’ont pas de crimes particuliers à expier. La raison de leur présence si tôt à bord est ce qui nous stimule tous : observer au plus près des requins, et plus particulièrement le requin taureau (Carcharias taurus), communément appelé raggie même par les francophones.
Le requin taureau mesure entre 2 et 3 mètres. C’est un animal placide, et heureusement ! Avec ses trois rangées de dents protubérantes, effilées et recourbées qui lui donnent un air agressif, il pourrait facilement être victime du délit de sale gueule, d’autant que c’est l’espèce la plus proche du grand requin blanc.
Et pourtant son existence ne commence pas sous les meilleurs auspices pour sa réputation. Ovovivipare, la femelle donne en général naissance à un ou deux petits au bout d’environ 9 mois de gestation. À peine éclos dans le ventre de sa mère le petit raggie va commencer par dévorer ses frères et sœurs encore dans l’œuf pour devenir suffisamment fort et sortir du ventre de la mère. Cannibale intra-utérin, on fait plus plaisants comme débuts dans la vie ! Tout de suite indépendant, il va grossir et devenir adulte en se nourrissant essentiellement de poissons benthiques jusqu’à engloutir de plus petits requins et des raies. Inutile de dire qu’il est complètement inoffensif à l’égard de l’homme.
L’autre caractéristique du requin taureau (aussi appelé requin des sables) est sa pratique du poumon ballast ou plus exactement de l’estomac ballast. Pour maintenir son équilibre il remonte régulièrement à la surface pour avaler de l’air et de ce fait on le trouve dans des eaux peu profondes, pour notre plus grand bonheur. Et Aliwal Shoal est l’un des hauts lieux pour l’observation de cette espèce dans le monde. Migrateurs, ils se rassemblent entre mai et novembre pour la reproduction (qui d’après les scientifiques a lieu à l’automne) au large des côtes de Durban. Lors de mes plongées, notamment à Cathedral, dont je ne me lassais pas, il nous est arrivé d’observer le tranquille ballet d’au moins une trentaine, voire largement plus, d’individus, des mâles en très grande majorité. Tranquille, car cette espèce nage très lentement, quasiment en stationnaire, et peut passer à quelques centimètres d’un plongeur sans manifester la moindre nervosité ou excitation. À condition qu’on adopte le même calme, la rencontre se passera de la meilleure façon du monde et laissera tout loisir pour faire crépiter ses flashs.
Si les raggies étaient le principal objet de ma curiosité et de ce reportage, il est toujours excitant d’effectuer une plongée à l’extérieur du récif, davantage dans le bleu, pour observer d’autres espèces que l’on attire à l’aide d’un seau perforé rempli d’appâts. Ce jour-là, outre les mérous patates de service, nous aurons eu la chance d’attirer quelques requins bordés ou pointe noire (Carcharhinus limbatus), mais, hélas, pas de requin-tigre qu’on observe également souvent dans ces eaux.
À part Cathedral, d’autres sites comme Aliwal Shoal Cave, Raggies Cave, ou encore les deux épaves, Nebo et MV Produce qui ont respectivement sombré en 1884 et 1974, sont l’occasion d’observer et d’admirer par exemple des bancs d’athérines, de hottentots bronzes, de grogneurs rayés, de tortues vertes, de raies pastenagues, torpilles, mérous patates, poissons scorpions, etc. quand on ne retombe pas nez à nez avec un placide requin taureau. J’avoue m’être moins concentré, au cours de ce séjour, sur la petite faune, même si Rae, notre guide dont le récif est l’arrière-cour depuis 19 ans, tenait absolument à me montrer les six poissons feuilles qu’elle avait répertoriés.