Accident de décompression en plongée subaquatique partie 3

Jean-Michel Pontier
Publié le 5 nov. 2019, modifié le 18 sept. 2024
Précédemment ont été détaillés les mécanismes biochimiques responsables de la maladie biologique de décompression (Subaqua N° 285) puis les principes et la stratégie générale de prise en charge médicale de l’accident de décompression ou ADD (Subaqua 286). Ce troisième et dernier volet aborde un autre aspect fondamental : la prise en charge en situation isolée et en l’absence de moyens hyperbares. Par Jean-Michel Pontier MD, PhD, médecin fédéral national.

PRISE EN CHARGE EN ABSENCE DE MOYEN HYPERBARE :

INTÉRÊTS, LIMITES ET CONTRAINTES DE LA RECOMPRESSION PAR IMMERSION

Coûteuses et nécessitant un personnel qualifié, les enceintes hyperbares ne peuvent être présentes partout. Ainsi, dans certaines régions isolées géographiquement, l’empreinte logistique d’un caisson ne permet pas son installation. Plusieurs plongeurs-pêcheurs originaires d’Hawaï ou d’Australie présentant un ADD mais ne pouvant justement être évacués vers un centre hyperbare auraient bénéficié d’une réimmersion précoce après l’apparition des premiers symptômes. Avec une évolution du tableau clinique souvent favorable(1), ces méthodes au départ individuelles et « instinctives » ont donné lieu à des protocoles de réimmersion appelés recompression par immersion ou RPI ( in water recompressionen anglais). Soulignons que la RPI concernant une victime d’ADD, se distingue donc de la procédure de réimmersion réalisée chez un plongeur asymptomatique lors d’une erreur de procédure, non-respect de la vitesse de remontée et/ou de la réalisation des paliers de décompression. Si l’on considère que le délai de la recompression hyperbare est l’un des éléments du pronostic évolutif de l’ADD, la justification initiale de la RPI est de réduire ce délai en débutant la recompression sur les lieux mêmes de la plongée face à l’impossibilité d’une évacuation sanitaire vers un centre hyperbare hospitalier. Ce retour en ambiance hyperbare a pour but d’agir sur l’accident bullaire initial à l’origine des lésions tissulaires. La respiration d’oxygène hyperbare participe à la lutte contre l’ischémie tissulaire et favorise la dénitrogénation en réduisant l’importance du phénomène bullaire dans le réseau vasculaire. Malgré ces effets bénéfiques, la pratique de la RPI n’est pas recommandée par les organisations nationales ou internationales qui réglementent les activités subaquatiques. Très peu de manuels techniques sur la plongée et d’ouvrages scientifiques font état de ce moyen alternatif à l’enceinte hyperbare. Cependant, au moins trois protocoles distincts de RPI ont été diffusés.

Les protocoles RPI dans le monde

> Version australienne. Dans ce protocole de remontée lente, décrit par Edmond en 1993, le plongeur accidenté, assisté du plongeur d’assistance, se réimmerge à la profondeur de - 9 m. Il respire alors de l’oxygène à 100 % durant 30 min dans les formes mineures d’ADD et 60 min dans les formes neurologiques plus sévères. Si les symptômes ne disparaissent pas, la séquence peut se poursuivre au moins 30 min. Dans tous les cas après 90 min, la remontée vers la surface s’effectue à une vitesse lente et régulière de 1 min toutes les 12 min. Si les signes neurologiques réapparaissent pendant la remontée, le plongeur séjourne 30 min supplémentaires à la profondeur à laquelle sont apparus les symptômes puis reprend la remontée à la même vitesse. Ainsi, la durée totale de ce protocole peut varier de 2 h 36 à 3 h 06. En surface le plongeur est placé sous oxygène normobare durant au moins 12 hures en alternant toutes les heures par une heure de respiration d’air.

> Version US Navy. Dans ce protocole de remontée par palier, décrit en 1985, le plongeur accidenté, accompagné du plongeur d’assistance, se réimmerge à la profondeur de - 9 m. Il respire de l’oxygène à 100 % durant 60 min pour les ADD de type 1 (formes cutanées et ostéo-articulaires) et 90 min pour les ADD de type 2 (atteinte de l’oreille interne et neurologique). Dans tous les cas après 90 min, la remontée est commencée jusqu’à la profondeur de - 6 m même si les symptômes n’ont pas complètement disparu. Ce palier à 6 m dure 60 min et celui à 3 m jusqu’à 60 min. La durée totale du protocole varie ainsi de 180 à 210 min. En surface le plongeur est placé sous oxygène normobare durant au moins 3 heures.

> Version hawaïenne. Décrit par Farm en 1986(1), ce protocole se caractérise par la réalisation d’une première incursion jusqu’à la profondeur de - 50 m. Le plongeur accidenté, accompagné du plongeur d’assistance, se réimmerge en respirant de l’air à une profondeur de 9 m supérieure à la profondeur à laquelle les symptômes ont disparu pour y séjourner durant 10 min sans dépasser la profondeur de 50 m. La remontée est ensuite réalisée à une vitesse variant de 9 à 1,5 m par min avec plusieurs arrêts pour évaluer l’état de santé du plongeur mais sans jamais dépasser 10 min de durée de remontée pour rejoindre le palier à 9 m. Si durant la remontée les signes réapparaissent, il redescend de 3 m pour séjourner 5 min et reprend ensuite la remontée jusqu’à 9 m. À partir de 9 m, le plongeur respire de l’oxygène à 100 % durant 60 min et jusqu’à 180 min au maximum si les symptômes persistent par tranche de 30 min. La remontée jusqu’à la surface s’effectue ensuite à 1 m par minute. En surface, l’oxygène est poursuivi pur jusqu’à évacuation.

> Version hawaïenne modifiée. Dans ce protocole décrit en 1999(2), le plongeur accidenté se réimmerge à - 7,5 m durant 10 min et respire de l’oxygène à 100 %. Si durant les 2 premières min à cette profondeur, les symptômes disparaissent, il n’y a pas d’incursion plus profonde et le palier est poursuivi durant 8 min. En l’absence de disparition des signes, une seconde incursion à - 15 m est réalisée avec possibilités de 2 autres incursions à - 22,5 et - 38 m. Dans tous les cas, la vitesse de remontée est de 3 m par min entre - 38 m et - 15 m puis de 1,5 m par min entre - 15 et - 7,5 m et enfin de 0,3 m/min de 7,5 m à la surface. La durée totale du protocole sera alors de 125 min. L’oxygène à 100 % est administré de façon séquentielle avec 20 min d’oxygène et 5 min d’air. En surface l’accidenté est placé sous oxygène normobare durant 3 heures.

> Version française (Clipperton). Dans le cadre du soutien médical d’une expédition scientifique en 2005 aux côtés du docteur Jean-Louis Étienne sur l’atoll français de Clipperton dans le Pacifique à 1 300 km au large des côtes du Mexique, un protocole original a été mis en place par Blatteau(3). Ici les incursions profondes à - 50 m ont été écartées car jugées dangereuses en raison des risques de narcose pour le plongeur accidenté et le plongeur d’assistance ainsi que la charge en azote dans les différents tissus de l’organisme. En pratique, cette RPI débute par une séquence d’oxygénation normobare surface durant 10 min afin d’évaluer l’évolution des premiers signes cliniques. Cette séquence permet l’installation du matériel pour pouvoir débuter la RPI. La plupart des autres protocoles prévoit des durées totales pouvant aller jusqu’à 3 heures avec des valeurs de pression partielle d’oxygène (PpO2) respiré par le plongeur accidenté élevées et avec le risque d’une toxicité cérébrale et pulmonaire de l’oxygène non négligeable. Ici, le plongeur accidenté se réimmerge à - 9 m et respire de l’oxygène à 100 % (PiO2 de 1,9 ATA) durant 60 min. À l’issue de ce séjour, la remontée vers la surface est lente et régulière à la vitesse de 1 m par min. La durée totale du protocole de Clipperton est ainsi de 70 min.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher