Ce que les raies mantas ont à nous dire

Stephan Jacquet
Publié le 4 nov. 2020
Ça se passe en Polynésie française. Les raies mantas (Mobula alfredi et Mobula birostris) dévoilent un certain nombre de leurs secrets, en particulier une distribution sympatrique(1), une fidélité des animaux à certains sites donnés ou encore l’existence de liens entre différents groupes. Et tellement d’autres choses que nous révèlent Alice Carpentier et Cécile Berthe, chercheuses au CRIOBE au sein du Laboratoire d’excellence Corail à Moorea. Stéphan Jacquet. Images Olivier Clot-Faybesse et Kamel Benabid.

La plongée sous-marine est une activité récréative d’exploration des fonds marins. C’est également un moyen technique utilisé scientifiquement pour rester plus longtemps dans le milieu sous-marin et en apprendre plus sur son fonctionnement et son évolution. L’Observatoire des requins de Polynésie, créé en 2012, permet d’allier ces deux fonctions au sein de ce qu’on appelle la « science participative ». Celle-ci permet à des amateurs non spécialistes de contribuer à des études scientifiques. Depuis sa création, l’ORP a collecté plus de 17 000 fiches d’observation regroupant les espèces de requins et de raies que des passionnés, plongeurs professionnels ou amateurs, ont pu rencontrer au cours de leurs sorties sous-marines. Huit ans de données, 56 îles concernées, 120 observateurs, 20 espèces de requins, 7 espèces de raies, des milliers de photos partagées. Huit ans, dans la vie d’un écosystème, ce n’est pas très long. Mais, grâce à sa présence sur le terrain (dans les écoles, dans les forums pour l’environnement, etc.), l’ORP s’est fait connaître et certains passionnés ont alors accepté de partager des données plus anciennes avec l’observatoire. C’est ainsi qu’en 2018, l’ORP, son partenaire Manta Trust et une équipe de scientifiques partenaires coordonnée par le CRIOBE de Moorea et porteurs du French Polynesia Manta Project, ont entrepris la première étude régionale sur les raies mantas de Polynésie française, basée sur 18 ans de données de photo-identification.

Cette étude, publiée dans la revue scientifique Coral Reefs en septembre 2019, a permis de mettre en lumière les premières informations sur la distribution et les caractéristiques des populations des deux espèces de raies mantas actuellement reconnues en Polynésie française. Pour cette étude, 1 347 photographies de raies mantas, prises entre 2001 et 2018, ont été recueillies auprès d’une trentaine de photographes (photographes sous-marins, plongeurs, chercheurs, touristes) dans trois archipels de Polynésie française (îles de la Société et des Marquises, atolls des Tuamotu). Ces photographies ont permis d’identifier plus de 300 raies mantas de récif et 10 raies mantas océaniques (connues aussi sous le nom de « raie manta géante »). En Polynésie française, les raies mantas présentent une importance culturelle et touristique indéniable. On les dénomme fafa-rua, terme qui provient de la présence des deux (rua) appendices semblables à des tiges (fafa) près de leurs yeux. Comparées à un marae mouvant (lieu de culte polynésien en pierre volcanique ou en calcaire corallien), elles sont aussi les ancêtres protecteurs de certaines familles polynésiennes. Pour le secteur touristique, les sites d’agrégation situés autour des îles de Bora Bora, Maupiti et Tikehau sont devenus des zones privilégiées pour nager ou faire de la plongée avec les raies mantas et connues internationalement. Malgré un intérêt grandissant pour ces espèces énigmatiques, de nombreux aspects clés de leur cycle biologique, de leur écologie et de leur répartition demeurent méconnus. Cette étude scientifique a permis quelques découvertes importantes sur les populations de raies mantas en Polynésie française.

La présence des deux espèces de raies mantas confirmée dans deux archipels

En 2012, une première étude avait signalé la présence conjointe des deux espèces de raies mantas pour l’archipel des Marquises. Cette nouvelle étude a fourni des preuves de la présence des deux espèces également dans les îles de la Société. La Polynésie française devient alors un des rares lieux de la planète où l’habitat de ces deux espèces (océanique pour l’une, récifal pour l’autre) se croise, comme c’est le cas pour certains sites aux Maldives ou en Australie par exemple. Sur certaines îles, les raies mantas de récif sont fidèles à leur site d’agrégation. Sur les sites d’agrégation de raies mantas de récif des îles de Bora Bora, Maupiti et Tikehau, connues localement comme des stations de nettoyage pour ces animaux (les raies se mettent à disposition de labres qui se nourrissent des parasites, peaux mortes, etc.), une très forte résidence a été constatée. Ainsi, sur le site de Bora Bora, c’est 36 % de toutes les raies mantas identifiées qui y ont été revues au moins une fois, 48 % sur le site de Tikehau et 90 % pour le site de Maupiti. La proportion de la population de raies mantas revues sur le site de Maupiti est devenue la plus documentée à ce jour dans les populations étudiées dans le monde, suivie par un taux de 82 % sur le site de Nusa Penida, en Indonésie, 73 % sur la côte ouest de Maui, à Hawaï et 63 % sur un site de l’île Lady Eliot, en Australie.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher