Petites paillettes de métal brossé pareilles au souffle d’un génie bienveillant, les lueurs de l’aube se glissent sous les volets qu’hier, je m’étais bien gardé de fermer tout à fait… Le temps de les ouvrir en grand, l’or rose et pur transforme Cerbère en un Turner au cadre sans autres limites que les bords du massif des Albères et l’horizon en feu. Un disque pourpre encore froid s’élève pour devenir bien vite un soleil rayonnant et, une fois encore, tout laisse croire que la Méditerranée, d’un bleu si sombre qu’il en est presque noir, le met au monde chaque jour. La petite bourgade tranquille sort de la nuit. À gauche, en deçà de l’étroite route en surplomb et à l’abri de la récente jetée, le ponton installé pour l’été accueille quelques voiliers et deux ou trois pneumatiques. À droite, toujours dans la pénombre, le centre Plongée Cap Cerbère surplombe une partie de la baie de toute sa blancheur alors qu’à ses pieds, les deux bateaux reposent immobiles dans l’attente des plongeurs à venir.
La mer est d’huile, le minuscule port silencieux, à peine troublé par le raclement et le tintement des tables de restaurant que l’on dresse pour les derniers rares touristes… Dans la relative fraîcheur d’un matin de septembre se mêlent l’odeur du sel, le bouquet du maquis surchauffé par l’été qui n’en finit pas et, tout aussi prometteur, le parfum mêlé du café et des croissants chauds qui monte tentateur. On n’y résiste pas…
Assis en terrasse, je feuillette quelques plaquettes touristiques, piochant distraitement les dernières miettes de viennoiseries délicieuses… Proche de Banyuls dont elle s’est séparée voici plus d’un siècle, Cerbère a connu la fortune grâce à sa position géographique. Dernière ville française sur la route côtière entre la France et l’Espagne, la moitié de sa population - qui a culminé à 2 500 âmes à la fin des années cinquante contre 1 500 aujourd’hui - a longtemps vécu de cette particularité : douaniers et employés au transbordement des chargements des trains de marchandises. Avant que la technique ne prenne le pas, il fallait en effet changer de train à la frontière, la largeur des voies ferrées espagnoles et françaises différant de quelques centimètres. Traditionnellement, les femmes se chargeaient des caisses d’oranges… Mal payées, celles-ci avaient ainsi, au tout début du siècle dernier et pendant près d’une année, déclenché la première grève exclusivement féminine de l’Histoire… Depuis 1952, l’affaire est définitivement réglée puisque Cerbère s’est équipée pour changer les essieux des trains ordinaires alors que c’est à Port-Bou que l’écartement des roues est directement modifié sur les Talgos… Comme par ailleurs l’Europe a considérablement allégé les procédures douanières, la ville est retournée à une sorte de langueur reposante… Et la prospérité s’est un peu étiolée. Cerbère tire désormais la presque totalité de ses revenus du tourisme et d’un centre de rééducation fonctionnelle.
De l’époque où prendre le train s’apparentait à une espèce de voyage de Monsieur Périchon, on peut encore voir l’hôtel Belvédère du rayon vert, ouvert en 1932 et fréquenté par les voyageurs fortunés en transit lors du changement de train. Le bâtiment art déco, en cours de restauration, évoque une espèce de paquebot qui aurait été réalisé en ciment armé. Situé sur les hauteurs à l’entrée nord de la ville, il est inscrit au titre de monument historique depuis 1987… Il vaut la peine d’un petit détour.
Mon deuxième expresso avalé, je longe la plage de graviers encore vide de touristes, chaussures à la main, traînant les pieds dans une eau à la température délicieuse. La veille, j’ai fait connaissance de Maïté et de Gilles, les nouveaux dirigeants de Plongée Cap Cerbère.
En 2009, ces deux BEES 1 ont succédé à Marie-Lou et Francis Cadène qui avaient créé le club en 1974. Comme il se doit, le temps du séjour, j’ai laissé ma voiture garée sur le parking en toiture du gymnase qui jouxte le centre de plongée : la ville est minuscule, on s’y déplace à pied sans souci et les vestiaires du club suffisamment vastes et sûrs pour accueillir tout le matériel personnel qu’un monte-charge bienveillant permet de descendre (et de remonter !) sans peine. Qu’on juge un peu : adossé à la pente de la montagne, le centre Cap Cerbère dispose de trois niveaux. Le premier à quelques pas des bateaux est celui de l’accueil. Il est consacré à la zone de gonflage air et nitrox, de stockage et de distribution du matériel (une quarantaine d’équipements complets est à la disposition des plongeurs de passage). Plusieurs vastes vestiaires déjà évoqués permettent de se changer et de s’équiper en toute quiétude. Une autre salle munie de larges rayonnages accueille volontiers tout le matériel de prise de vue possible. Dehors, le bassin d’une piscine remblayée est bordé de gradins où il fait bon s’asseoir et peaufiner les derniers détails de son équipement. Douche et bassin de rinçage n’ont pas été oubliés. On trouve au premier étage des salles de cours ainsi qu’une terrasse et au second niveau, douches chaudes, toilettes et bureaux. C’est assez bluffant… Nul doute que les clubs y bénéficient de tout le confort et toutes les facilités pour l’organisation de leurs sorties en groupe qui, outre tout ce que nous venons d’évoquer, auront à leur disposition 70 blocs 12 ou 15 l, des scaphandres nitrox et quelques ponies de décompression…
Les deux bateaux, que l’on peut privatiser, le Marlesca et le bien nommé Cap Cerbère avec respectivement 8,5 et 14 m de longueur ont une capacité de 19 et 39 plongeurs. De quoi sortir en fonction de ses désirs, de ses niveaux et quelles que soient les conditions de temps. Maintenant que le décor est planté, il est plus que temps d’ouvrir son bloc, de saisir son masque et… de se mettre à l’eau !
Un de mes regrettés et estimés confrères le disait assez pertinemment : le grand défaut de la côte Vermeille, c’est d’être un peu trop près de l’Espagne. Attirés par les Medas, tenté par le cap Creus, les plongeurs passent un peu vite sur une région qui mérite pourtant que l’on s’y arrête autrement que pour faire le plein d’anchois et de vin apéritif…
La faune et la flore sont bien évidemment typiquement méditerranéennes et si l’on n’y rencontre pas le relief des calanques marseillaises ou les à-pics vertigineux de l’île de Beauté, la plongée possède ici un goût très particulier et une ambiance qui lui est propre.