Yohann Gues est un jeune plongeur de 26 ans un peu particulier. Adolescent, il a eu une petite expérience de la plongée avec le club SLC de Miramas. Quelques années plus tard, une maladie lui fait perdre la vue et la sensibilité au niveau de l’extrémité des doigts. Mais en 2015, il choisit de se remettre à ce sport et tout naturellement s’adresse au club de Miramas dont il a gardé de très bons souvenirs. Il est à présent considéré comme plongeur en situation de « handicap modéré ». L’entretien qui suit a été réalisé le 8 août, à l’issue de sa 25e plongée en mer.
> Bonjour Yohann. Quand as-tu commencé à plonger ?
Quand j’étais ado, j’ai fait un baptême dans une piscine installée sur la grande place de Miramas, dans le cadre du Téléthon, avec le club SLC (Sport, Loisirs et Culture). Ça m’a beaucoup plu et j’ai décidé de m’inscrire au club. Avec lui, je n’ai fait qu’une plongée en mer : un nouveau baptême, mais j’ai suivi une formation en piscine. J’ai aussi plongé une fois en Corse quelques années plus tard. À l’époque, j’étais voyant.
> Quel âge as-tu et depuis quand as-tu repris la plongée ?
J’ai 26 ans, bientôt 27. Je me suis réinscrit au club en septembre 2015.
> Quelle formation as-tu reçu et qui te l’as dispensée ?
Pendant toute l’année scolaire, je me suis entraîné en piscine tous les mardis avec Gilbert Clément, MF2. À partir d’avril, j’ai suivi un 2e entraînement tous les jeudis soirs avec Anne Gros, MF1. Anne et Gilbert m’ont entraîné sur le plan physique et m’ont formé sur le plan technique et théorique. J’ai effectué ma 1re plongée en mer à Saint-Raphaël avec Gilbert en avril, lors du stage annuel enfants-ados, auquel j’ai été intégré.
> Beaucoup de gens doivent se demander ce que peut apporter la plongée à un non-voyant. Quelles sont tes sensations ? Qu’est-ce qui te plaît ?
Tout d’abord, la sensation d’apesanteur. Mais aussi, ce que j’aime quand je plonge c’est ce sentiment de liberté que je ne connais pas sur la terre ferme, car il n’y a pas d’obstacle. La liberté aussi de ne plus penser : quand je suis sous l’eau, je n’ai plus que des sensations. Ça me défoule, ça fait du bien au moral. Quand je plonge, je peux « voir » des tas de poissons grâce à la communication mise en place avec les encadrants. Je me concentre aussi sur les bruits, comme ceux des moteurs de bateaux.
> Comment communiques-tu avec ton encadrant ?
En piscine comme en mer, je plonge seul avec lui et je tiens le bras qu’il me tend. Avec Anne, nous avons progressivement mis au point un système de communication. Tout se passe au niveau de la paume de ma main et des doigts. Les signes (pressions, dessins, tapotements…) qu’elle exerce me permettent de me renseigner sur la profondeur où nous nous trouvons, le temps passé sous l’eau, la faune, la flore. Je réponds par le signe « OK » pour dire que j’ai compris.
> Tu me parlais des poissons. À ce propos, te souviens-tu de ta petite expérience de plongeur adolescent et fais-tu le parallèle avec ce que tu vois à présent ?
Oui, j’arrive à revoir les poissons que j’ai connus avant. Mais j’en découvre d’autres : par exemple, lors de ma 10e plongée nous avons vu des barracudas et c’était la 1re fois pour moi. Je dois dire que je suis aussi pêcheur, je l’étais déjà avant de perdre la vue.
> Quel type de plongées es-tu autorisé à faire ? Quel est ton niveau ?
J’ai obtenu mon PESH 12 fin juillet, organisé par mon club pendant une semaine dans les îles de Marseille et sur la Côte Bleue. Cela signifie que je suis entièrement autonome pour équiper, déséquiper et nettoyer mon matériel et pour me mettre à l’eau.
> Aimerais-tu pouvoir plonger plus profond ?
Oui. Pour cela, il faudra que je passe mon PESH 20 qui permet de descendre jusqu’à 20 m.
> Pour quelle raison ?
Pour voir d’autres poissons.
> Parlons de ton club de prédilection : le SLC de Miramas. Qu’aimes-tu dans son fonctionnement ?
Ce n’est pas une usine à gaz ! Plus jeune, j’ai plongé avec une autre structure à bord d’un semi-rigide. C’était bien, mais une fois la plongée terminée, on rentrait à la maison et tout était terminé. Ici, il y a une bonne ambiance, une grande convivialité. À chaque sortie, nous pique-niquons ensemble. Sur le bateau, les plongeurs se relaient pour nous préparer des petits plats gastronomiques. Les rapports avec les gens sont vraiment sympas, des liens d’amitié se créent.
> As-tu des projets ?
Oui. Déjà, comme je viens de le dire, j’aimerais bien obtenir le PESH 20. Mais il y a autre chose. J’aurai 27 ans le 30 août et j’aimerais avoir comme cadeau deux hydrophones…
> Peux-tu m’expliquer de quoi il s’agit ?
C’est un appareil dont nous serons équipés, mon moniteur et moi. Il nous permettra de communiquer en parlant. Les signes que nous avons mis au point ne permettent pas de tout se dire. Je pourrai décrire mes sensations, mon encadrant pourra m’expliquer plus en détail ce que l’on verra en temps réel.
> Conseillerais-tu à d’autres non-voyants ou à des mal voyants de faire l’expérience de la plongée ?
Oui, je le leur conseille. Comme je l’ai déjà dit, on a sous l’eau un sentiment de liberté que je ne connais pas sur terre. On développe aussi le sens du toucher, avec de nouvelles sensations lorsqu’on rencontre un poulpe, un oursin, une anémone…
NDLR Cette interview nous renvoie très opportunément à deux articles publiés dans ce numéro : l’interview d’Éric Blin consacrée aux paysages sous-marins sonores page 18 et le texte d’Éric Jourdan qui aborde le fait de toucher en rando sub page 50.