La Neretva est le principal fleuve d’Herzégovine et de Dalmatie et un des plus importants de Bosnie-Herzégovine. Elle prend sa source à 1 320 m d’altitude dans les Alpes dinariques.
Les résurgences de Crno Oko se jettent dans le fleuve Neretva via une cascade, 40 km en amont du pont historique de Mostar à une altitude de 137 m. Les eaux de pluie alimentent d’importants réseaux hydrauliques souterrains. Les eaux se chargent de gaz carbonique et creusent cet énorme bloc calcaire qui culmine à plus de 2 000 m. Les débits d’étiage et de crue des résurgences de Crno Oko et d’autres, présagent des dimensions importantes des creusements de ce karst. Le potentiel souterrain présent fait rêver le spéléologue plongeur que je suis. Il motive les soifs de découvertes sportives et scientifiques de notre équipe.
En 2016 nous avons commencé à nous intéresser sérieusement à cette cavité. Nous avions déjà effectué des plongées de reconnaissance dans les deux accès noyés du réseau souterrain. Une des résurgences est en permanence active. L’autre coule de façon temporaire, en cas de crue. L’eau y est pratiquement toujours cristalline et froide (7 °C). Les parois de calcaire blanc peuvent être très découpées et déchiquetées. L’absence de limon, de sable, de petits cailloux, indique que les débits sont très importants en cas de crue. Il faut s’enquérir d’une bonne météo avant de plonger !
Les siphons sont labyrinthiques avec des franchissements étroits. Il faut se faufiler et chercher les passages. Le fil d’Ariane s’impose plus que jamais. Les parcours en plongée sont superbes, pas très profonds, moins de 10 m. Le courant change et s’accélère suivant les dimensions de la galerie et des passages étroits. Il faut parfois s’accrocher à la paroi pour avancer…
La fraîcheur des eaux invite à s’habiller chaudement dans une combinaison étanche mais cet équipement est inadapté pour progresser en zone exondée (risque d’accroc). C’est donc en combinaison humide de 5 mm que je suis le fil d’Ariane. On ne traîne pas trop en immersion… En 2017 Bruno et moi-même revenons avec pour objectif de retrouver le passage découvert par nos prédécesseurs. Nous disposons de peu d’informations. Plusieurs tentatives seront nécessaires pour que mon camarade trouve enfin une sortie.
Il revient m’informer. Je m’équipe : combinaison humide et deux scaphandres de 7 litres dûment gonflés. Avec aisance je parcours la centaine de mètres dans une eau translucide à perte de faisceau d’éclairage. Mes lampes révèlent la beauté intérieure de la montagne. Je suis en lévitation dans cette eau limpide. J’évolue avec un gros sac rempli de matériel de spéléologie, de topographie, des couvertures de survie, de quoi manger dans un bidon étanche… et il fait froid. Je ne m’attarde pas, je palme, je me tracte sur les aspérités rocheuses… Je découvre l’étroiture. Je me faufile. J’émerge devant la faille remontante. J’escalade avec mon équipement de plongée. Le matériel d’immersion est vite déposé et sécurisé. Il doit être opérationnel et vérifié avant d’engager le retour vers la sortie.
L’environnement « sec » change totalement. J’évolue maintenant dans une couche supérieure de calcaire dur, noir et veiné de blanc. La galerie remonte. Je rampe dans un laminoir creusé entre deux strates de calcaire noir. Bruno qui m’a suivi n’envisage pas de ramper avec son étanche. Il pourrait la percer et se mettre en péril pour le retour. Je pars donc seul en reconnaissance, en rampant et à quatre pattes. Je découvre un départ de même dimension à gauche, puis un autre à droite, orné de concrétions à perte de vue. Je décide de continuer par la galerie principale qui ne tarde pas à déboucher dans une salle. Deux autres galeries sont connectées.
Je peux enfin me redresser et poursuis ma progression dans l’énorme galerie qui remonte en pente douce après un mur rocheux que j’escalade. Après une centaine de mètres je débouche sur les merveilles locales : une salle et son lac, une paroi stalagmitique d’une beauté exceptionnelle. Je ne peux m’empêcher de me mettre à l’eau et illuminer ce bassin avec l’éclairage vidéo à ma disposition. Cet instant est surréaliste, je suis baigné dans la lumière. La paroi calcifiée se transforme en féerie… c’est magique et, je ne sais pourquoi, je sens le bonheur m’envahir, l’euphorie suit. Je perçois l’éclat de ce lieu pour la première fois éclairé. Je note mon égoïsme et le plaisir d’être seul… je le savoure même… mais l’égoïsme n’est pas dans ma nature. L’envie de partager ces émotions avec d’autres est plus forte.
Puis mon éclairage ne tarde pas à se poser sur une forêt de concrétions dans deux très grands recoins adjacents. Je vais les parcourir sur plus de 100 m. Je découvre une autre galerie avec des gours (lacs de calcite) d’une beauté incroyable avec quelques perles des cavernes dans les flaques de calcite pure… Je descends cette galerie… Je suis seul et éprouve le sentiment intense d’avoir fait les premiers pas dans cette grotte très prometteuse en surprises spéléologiques. Je vis à nouveau LE RÊVE………