DANS LA FORÊT MIKEA

Pierre Constant
Publié le 28 juin 2019, modifié le 18 sept. 2024
Tel un chercheur d’or qui a trouvé un filon prometteur, me voilà sans cesse happé par Madagascar. L’attraction du Grand Sud et sa forêt épineuse enchanteresse, ainsi que la découverte de dolines, avaient captivé ma curiosité. Dès 2011, c’est la région d’Itampolo au sud de Tuléar, sur le plateau Mahafaly, qui attirait mon attention. Ma recherche s’orienta ensuite dans les dolines du Parc national Tsimanampetsotse où, en 2012, j’avais découvert des crânes et un squelette de crocodile nain à cornes, Voay robustus, espèce de l’Holocène aujourd’hui disparue. La même année, dans la grotte de Binabe - près de Sarudrano, au nord du fleuve Onilahy - à une profondeur de 25 mètres, j’exhume un fémur d’hippopotame nain, Hippopotamus lemerlei, espèce également éteinte. Au Muséum d’histoire Naturelle à Paris, les Dr Antoine Zazzo et Olivier Tombret, scientifiques au CNRS avaient analysé l’ossement au Carbone 14 et l’avaient daté à 1 400 ans, soit au VIIe siècle de notre ère, entre l’an 595 et 677. Quelques mois plus tard, dans une doline isolée du plateau Mahafaly, la mâchoire inférieure d’un hippopotame nain avec ses dents fut extraite d’un fond vaseux. La prédation de l’homme a tristement amené l’extermination de cette espèce, dès le VIIe siècle. Texte et photos Pierre Constant. www.calaolifestyle.com

Septembre  2015. Je décide d’explorer un nouveau territoire sur le plateau du Belomotra, qui a fait l’objet de recherches importantes par les géologues et biologistes français dans les années 1960. Au nord de Tuléar, cet environnement karstique dans les calcaires de l’Eocène (56MA à 34MA) est masqué par la forêt Mikea. Un bush épineux d’euphorbes, d’Alluaudia et de Didiereacea (arbres poulpes). Mais aussi de Pachypodiums géants, de Delonix et de baobabs, tels que Andansonia za, Andansonia rubrostipa (baobab bouteille) et Andansonia grandidieri. Plantes et arbres endémiques du sud-ouest de Madagascar. La région n’est accessible qu’en 4x4, car les pistes sont rudes et très ensablées. C’est a fortiori, le home d’une tribu indigène et farouche, qui survit à l’état sauvage. Les Mikea sont seuls à connaître l’existence de ces grottes, où ils sont à la recherche d’eau et de chauves-souris dont ils se nourrissent. Sans leur aide, il m’aurait été impossible de procéder à ces explorations dans l’inconnu. Pendant un temps, des businessmen de Tuléar, en quête de guano de chauves-souris, vinrent prospecter dans les grottes sèches. Quelques années durant, ils en firent l’exploitation avec une main-d’œuvre locale, chargeant leurs camions de sacs de jute. Ayant visité ces cavernes à l’origine, je n’y trouvais que très peu d’eau ou pas d’eau du tout. Considérablement frustrant, au vu des difficultés d’accès et des marches harassantes sous un soleil cuisant.

Lac souterrain, chauves-souris et stalagmite champignon

C’est fin 2015 que les choses prennent une tournure décisive lorsque l’existence d’une grotte magnifique est portée à ma connaissance. Elle fut baptisée promptement : Ali Baba Cave. Sous le couvert de la forêt, un chemin sablonneux conduit à une ouverture en forme de lentille dans le plateau calcaire. Une pénétration accroupie sous une voûte basse est de rigueur, suivie d’une pente glissante dans le noir, avec des cailloux épars. S’ouvre alors une chambre fascinante, avec stalactites, stalagmites et colonnes. À 15 ou 20 mètres de profondeur, un lac souterrain se matérialise comme par magie, avec des piliers dantesques. Crypte d’envergure, où l’air est à peine respirable. Chaude et humide a fortiori, une véritable étuve où l’on transpire vite à grosses gouttes. Les chauves-souris volettent dans l’obscurité et les cafards fourmillent sur le fond de guano. L’équipement vérifié, je confie la lampe frontale au guide Mikea. « Attends-moi là ! », lançai-je, en me glissant dans l’eau. Des poissons aveugles endémiques, Typhleotris pauliani, survivent de guano sur les premiers 5 à 7 mètres de profondeur, puis la vie est notoirement absente. Limpide, l’eau a une température de 28 °C. Au bout du lac, le fond s’estompe brusquement dans un dédale de passages entre stalactites et piliers de couleur brune, sur un arrière-plan vert pastel. À 23 mètres de profondeur, une restriction se dévoile, où je dois me faufiler sans me coincer, ce qui arrivera au retour. Plus je m’éloigne, plus je suis abasourdi par la beauté de la grotte. Pourtant, avec une seule bouteille, force est d’être conscient de ses limites, a fortiori en solo. L’aventure ne touche pas à sa fin, car le suspense est juste reporté à plus tard.

Juin  2016. Excité à l’idée de poursuivre l’exploration, je plonge à Ali Baba par deux reprises, pousse plus loin et découvre une succession de chambres. Dans l’une d’elles, s’érige une réplique de Phallus impudicus, une stalagmite en forme de champignon columelle, devant une cascade de stalactites. Ce chef-d’œuvre de la nature me laisse bouche bée… Une pensée morbide me traverse l’esprit curieusement : si je devais mourir, je ne serais pas indifférent à une tombe comme celle-ci… l’endroit est hypnotique. Un paradis souterrain insoupçonné, loin de ce monde.

Descente dans l’antre à crocodiles

De fraîches révélations de mon hôte vont donner une nouvelle direction à mes recherches. Une visite diplomatique au fokontany, le chef de village, s’impose. Mes sources d’intérêt sont rapidement interprétées comme source de profit par autrui. Ils sont même plusieurs à vouloir partager le gâteau ! La discrétion sera de mise. « Mais tu dois rendre visite à Faazoua, pour le rite du fomba ! », insiste Diana. « On ne veut pas d’ennuis avec la communauté locale… ». Elle fait bien sûr référence au rituel aux esprits de la grotte, car pour les Malgaches ces endroits sont fady, tabous. La prière doit être psalmodiée par un obscur sorcier aux yeux vitreux. Nous trouvons l’homme prostré devant sa cabane, à rêvasser en regardant passer les mouches. Le rituel consiste tout d’abord à acquérir une petite bouteille de rhum et quelques sachets de tabac à priser, puis le sorcier nous accompagne pour la journée. Au bout du compte, l’homme est passablement avide et réclame un prix exorbitant pour ses services. Un différent à ne pas prendre à la légère, ce qui va me contrarier singulièrement.

Par le simple fait d’y être né, mon guide connaît la forêt Mikea comme la paume de sa main. Une marche d’approche dans le bush épineux nous amène au-delà de quelques baobabs, à une doline effondrée, partiellement recouverte de végétation. Dix mètres en contrebas, une arche béante s’ouvre sur l’entrée d’un tunnel. De la voûte tombent des racines tentaculaires devant une gueule monstrueuse. L’image est saisissante et le site est aussitôt baptisé Gargantua Cave. Un lac assez étendu se devine dans la pénombre. Concentration oblige, je m’équipe en silence. À son extrémité, le lac s’estompe en pente douce dans un long boyau à forme ovale, qui serpente. À la profondeur de 10 mètres, je découvre avec stupéfaction un crâne de crocodile nain à cornes, gisant sur le côté. Une grimace figée et glaçante aux dents rouges. La coloration anormale est due à la présence d’oxydes dans l’eau, entre autres du fer. Non loin, repose la colonne vertébrale du reptile, avec des vertèbres distinctes. Enfoui dans le sédiment sous une margelle, le crâne d’un autre croco gît dans son sommeil éternel. Au fond d’une dépression, le faisceau de torche éclaire un amoncellement de petits ossements autour d’une mâchoire brisée. Ils appartiennent à des chauves-souris et de petits lémurs.

Gargantua était un antre à crocodiles à l’Holocène, - entre 11 700 ans et une époque plus récente, lorsque le crocodile du Nil n’était pas encore arrivé à Madagascar. Le paysage d’alors était verdoyant et tropical, le climat pluvieux et pas aussi aride que maintenant. Ce qui fut le cas à la fin du Pliocène. L’espèce était d’eau douce, pas d’eau salée, avec un habitat éloigné de la côte. Les scientifiques ont toutefois mis en évidence des glandes à sel linguinales fonctionnelles, qui secrétaient l’excès de sel. Au Miocène (Tertiaire), l’ancêtre de la famille des Osteolaeminae était originaire d’Afrique. Une autre espèce du Pleistocène, Crocodylus anthropophagus, possédant de petites cornes et un museau profond, fut découverte en 2010 dans les formations de tuff (1,8 MA), de la gorge Olduvai en Tanzanie. Un crocodile à cornes miniature du Quaternaire fut aussi identifié sur l’atoll d’Aldabra, en 2006. Déduction logique : les crocodiles nains à cornes ont bien franchi par eux-mêmes les 400 km du canal du Mozambique. Ce qui a amené la disparition de Voay robustus, le crocodile nain à cornes de Madagascar, reste encore un mystère.

Les parois du tunnel sont visibles de part et d’autre. À - 14 mètres, une restriction apparaît sous plafond bas, au-dessus du fond sédimentaire grisâtre. Appréhendant de rester bloqué et dans la crainte de soulever un nuage noir, la sagesse me pousse faire demi-tour. « Il y aura une autre occasion… », me souffle une voix intérieure. « Mora mora vazaha ! », dit-on à Mada, doucement, doucement… De retour au 4x4, quelques Mikea sont en vadrouille sur le chemin. Ils s’offrent à me montrer un nouveau site, mais Same propose aussitôt de m’y emmener. Peu après, nous sommes debout à côté d’un trou en forme d’étoile, dans le calcaire blanc et rose. Juste assez grand pour laisser passer un home, un puits vertical tombe dans le noir. De quoi donner la chair de poule. Y aurait-il une chambre en profondeur ? « Et comment crois-tu que je vais descendre là-dedans ? », lançai-je avec un sourire peu téméraire. Le guide hausse les épaules d’un air désabusé, tel un gamin heureux de faire une bonne farce…

Problèmes techniques

Illustration d'un ordinateur de plongée
Ne ratez aucune info
Inscrivez-vous à notre newsletter mensuelle pour ne rien rater de votre magazine
Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher