Le bout apparaît dans un vert laiteux. La consigne donnée lors du briefing matinal (6 heures…) par Migo et Freddy, les guides de l’opérateur Seafari, a été claire : « Ne lâchez jamais la corde ». La descente, qui s’opère au milieu de particules volant dans le courant, comme des milliers de flocons de neige, est lente. Il faut attendre d’être dans la zone des - 25 m pour commencer à deviner une structure. Autrefois, le mât central de ce cargo apparaissait dès - 17 m, mais à force de servir de point d’amarrage pour les bateaux des plongeurs, il s’est effondré. La sensation de se mouvoir dans une tempête de neige se poursuit. Moins 30 m, - 35 m… La Rosalie Moller, cargo de 1911 long de 108 mètres pour 16 de large, apparaît enfin dans toute sa splendeur.
L’arrivée au milieu du pont supérieur est magnifique. Formant un groupe compact, des milliers d’athérines (Atherinomorus lacunosus) virevoltent à toute vitesse. En chasse, les carangues foncent dans le banc qui n’a besoin que de quelques microsecondes pour se scinder en deux parties et se reformer tout aussi vite dans un ballet millimétré. L’inspection des cales n’est pas conseillée (outre leur profondeur, elles ne contiennent que du charbon), d’autant qu’il y a suffisamment de quoi s’occuper sur le pont. Plus que la structure du bateau, ce qui est intéressant sur cette épave, ce sont les sensations ressenties dans ce milieu inhospitalier, verdâtre et sombre qui contraste tellement avec le bleu profond mais clair auquel nous sommes habitués en mer Rouge.
Plonger sur la Rosalie Moller n’est pas toujours possible car son épave se trouve dans une zone exposée, à l’entrée du golfe de Suez dans le détroit de Gubal. Ainsi, la configuration du site impose des conditions météo favorables (peu ou pas de houle et vent) pour que les bateaux de croisière puissent s’y rendre. Ce qui rend l’incursion sur les flancs et le pont de cette épave regorgeant de vie, que ce soit en coraux durs et mous et en poissons (mérous, lutjans, poissons de verre et poissons hachettes, labres…), d’autant plus précieuse. Tous ces éléments contribuent à en rendre la plongée mémorable et émouvante, même si la profondeur (hélice à - 45 m, fond à - 50 m) en limite le temps et en réserve l’accès aux plongeurs confirmés (niveau 2 minimum).
Après une longue et nécessaire désaturation, la plongée dérivante sur le récif de Gubal nous offre une belle surprise. Une petite raie manta de récif (Manta alfredi) bat ses longues ailes noires et se dirige droit sur nous, paisiblement, avec curiosité. Le foisonnement de vie. Encore et toujours… Parc national depuis 1983, Ras Mohammed éblouit. Imaginez un mur droit, franc. Sous vos palmes ? 800 m vertigineux. Ressentez les pulsions des courants du golfe d’Aqaba bercer la vie qui s’épanouit le long de ce tombant. Profusion de corail mou de toutes les couleurs, abondance des poissons qu’aucun bateau de pêche ne vient troubler. Mérous, anthias, rascasses volantes, gorgones, éponges. L’œil sait à peine poser son regard entre les anfractuosités de la roche que déjà le courant nous emporte un peu plus loin, dans une dérive paisible. Un regard dans le bleu où thons et barracudas patrouillent. Près de la surface, un banc de Platax orbicularis semble attendre qu’on le rejoigne, acceptant sans peur la présence des plongeurs au milieu d’eux. Les deux sites Yolanda Reef et Shark Reef sont accessibles en une seule plongée si le courant permet d’en faire le tour. Sinon, un petit passage abrité entre les deux pinacles débouche sur un fond de sable où des raies à points bleues se reposent sous des tables d’Acropora. Les restes du Yolanda consistent en sa cargaison de sanitaires en céramique. Les dizaines de cuvettes de toilette surprennent toujours les plongeurs. Intéressante aussi, est la proche épave du SS Dunraven. Navire marchand couché à l’envers, il se confond totalement avec le récif qui le colonise depuis 1876.