Escapade à Tenerife - Partie 1

Maxime Hiblot
Publié le 17 déc. 2024, modifié le 17 déc. 2024
Montagne et volcan
Montagne et volcan
Tenerife est un trésor volcanique né d’un passé géologique tumultueux. C'est la plus grande des sept îles Canaries, archipel espagnol perdu au large du continent africain, dans l’immensité de l’océan Atlantique. Avant de m’y rendre, je me posais beaucoup de questions et devais faire face aux nombreuses idées reçues sur l’endroit. Qu’allais-je vraiment découvrir sur place ? Une reportage, textes et images de Maxime Hiblot (@OrqueFrance et www.orque.co).
Baliste commun
Baliste commun (Balistes capriscus)

Genèse

Lorsque l’opportunité de Tenerife s’est présentée à moi et que j’ai commencé à en parler, j’ai toujours obtenu la même réponse : “Tu vas aller plonger là-bas ? Il n’y a que des hôtels et des stations balnéaires pour retraités.” Je ne pouvais ni valider ni réfuter ces affirmations puisque je ne savais rien de “l’île du printemps éternel”. À vrai dire, il y a encore quelques semaines, je l’aurais probablement mal positionnée sur la carte. Je partais à la découverte d’un lieu clivant. Tenerife souffrait-elle du même mal que les requins ? Autrement dit, une mauvaise opinion publique simplement due à un manque de connaissance ? Il fallait que je découvre la vérité.

Pourtant, avant de partir, ce n’était pas tant la qualité de ce que j’allais voir qui m’inquiétait, mais ma capacité à retransmettre. D’abord par les mots, puisque chacun a sa propre lecture d’un endroit. Allais-je être capable d’être assez précis pour dépeindre la réalité des lieux, tout en étant assez évasif pour que chacun puisse s’imaginer les visiter ? Mais plus que tout, ce sont les images que j’allais pouvoir ramener qui focalisaient mon attention. Mon problème est né il y a 7 millions d’années, lorsque des éruptions sous-marines se sont accumulées jusqu’à ce que la roche émerge. Depuis, le manège géologique a continué, dessinant peu à peu la silhouette de l’île que nous connaissons aujourd’hui. Ainsi, Tenerife est avant tout minérale, une caractéristique qui se sublime en prenant de la distance avec son sujet pour en apprécier la démesure. De mon côté, j’ai presque toujours pratiqué la photographie macro, cherchant une proximité avec des sujets animaux dont les caractéristiques physiques proches des nôtres nous interpellent. Allais-je être capable de transmettre l’émotion des scènes en mettant de la distance avec un sujet inanimé ? Me rappelant au passage qu’il y a un an, je n’avais même jamais touché un appareil photo…

Plutôt que de m’inquiéter, toutes ces interrogations m’ont galvanisé, renforçant mon intérêt pour la destination. C’est avec mille questions en tête, des défis personnels à relever et la ferme intention de mettre en lumière ce qu’était vraiment Tenerife que je suis parti l’esprit léger. J’étais certain de vivre une aventure unique de laquelle je sortirais grandi.

Tard le soir, après avoir encaissé deux retards de vol successifs à cause des aléas climatiques, alors que je vérifie une dernière fois mon matériel en vue de la plongée de demain, je remarque que mes deux phares, probablement malmenés par le transport, ne fonctionnent plus. Faute de budget, je suis déjà contraint de photographier sans flash, me limitant à ces phares de plongée, pas vraiment adaptés mais qui me seront précieux. Réaliser des images sous-marines sans lumière additionnelle n’est pas aisé lorsque l’on sait à quel point la lumière se diffuse vite dans l’eau. Encore un défi supplémentaire à relever !

Pour ce périple, j’ai eu la chance d’être accompagné par Sergio Hanquet. Auteur de sept livres, ce Belge qui a fait de la mer son refuge et de la photo son échappatoire, plonge depuis plus de 40 ans à Tenerife. Cette personnalité est à découvrir dans ce podcast. Sergio est un spécialiste de la vie marine des Canaries, tant pour les eaux côtières que pour le royaume pélagique, auquel il a notamment décidé de dédier son dernier recueil photographique : “Mar Abierto & Ballenas Piloto” (mer ouverte et dauphins-pilotes, voir son portfolio dans le numéro 318). Je ne pouvais pas rêver meilleur guide.

Barracudas
Barracudas (Sphyraena viridensis) à Radazul.

Radazul - Foisonnant

Dès la première immersion, le t(h)on est donné. C’est du bord, dans la baie de Radazul, au nord-est de l’île, que tout commence. Première impression : l’eau est d’une limpidité déconcertante. Autour de nous, la baie est prise d’assaut par les locaux venus se prélasser au soleil ; on croise aussi des baigneurs et autres randonneurs palmés. C’est un lieu de rencontre qui, à première vue, n’a rien d’un spot de plongée et pourtant… Dans 15 mètres d’eau tout au plus et pendant plus d’une heure, je ne saurai où donner de la tête. D’abord, une immense raie papillon (espèce assez rare), puis une seiche, un poulpe, un premier banc de poissons, et d’un coup, en levant la tête : le plus gros banc de barracudas qu’il m’ait été donné de voir ! Ils sont des centaines à tourner autour de moi sans que je ne les effraie le moins du monde.

Fait étonnant, il y a des individus de tailles bien différentes, alors qu’habituellement les rassemblements se font majoritairement entre individus de même dimension. Le sol sableux (grouillant de vie) de la baie est parsemé de roches qui servent d’abris à tout un peuple macro ! Je pense à toutes ces personnes bronzant tranquillement, qui ne sauront jamais rien de la magie qui se joue quelques mètres plus bas. En s’enfonçant plus loin et plus profondément dans la baie, on peut visiter l’épave du remorqueur El Peñon, dont l’exploration se fait généralement en scooter sous-marin.

Pour la seconde immersion, nous partons une nouvelle fois du bord, à proximité d’un embarcadère. Les alizés agitent la surface, pourtant sous l’eau, c’est le calme plat. Après quelques minutes passées sur un banc de sable, nous arrivons sur des parcelles de prairies sous-marines. À l’intérieur, des tortues broutent paisiblement la posidonie.


tortue
Paisible tortue, toujours sur le site de Rasdazul.

Los Cristianos - Sensationnel

Pour le deuxième jour, nous nous rendons dans le sud de l’île, à Los Cristianos, station balnéaire nichée entre deux parcs naturels : la Montaña de Chayofita et la Montaña de Guaza. Depuis cet endroit de l’île, on prend vraiment conscience du caractère minéral de l’endroit : un désert de roches surplombé de falaises basaltiques.

Après quelques dizaines de minutes de navigation, nous nous mettons à l’eau sur le site El Bufadero (le souffleur). Un éboulement rocheux nous mène vers le sable, où se trouvent des centaines d’anguilles jardinières. Les barracudas sont encore présents en grand nombre. Un baliste territorial s’approchera de moi pour défier son reflet dans l’appareil photo, qu’il doit prendre pour un concurrent...

En fin de plongée, Sergio me demande de le suivre. Il m’emmène très près de la côte, dans une sorte de petite grotte semi-immergée. La houle vient frapper les parois de la grotte, et l’augmentation de la pression de l’eau se fait ressentir physiquement. C’est comme si l’on recevait des milliers de watts de son en festival techno, le corps en tremble de l’intérieur et les oreilles bourdonnent. C’est vraiment ce que j’appelle “vivre la plongée” ! J’adore la sensation et comprends mieux l’appellation du site.

Pour la deuxième immersion, nous explorons une grotte sous-marine appelée Cueva del Zorro, en hommage au requin-renard qui était autrefois régulièrement aperçu dans la zone. La cavité est assez grande pour être explorée par tout un groupe de plongeurs. Elle grouille de vie, notamment de centaines de Priacanthes brillants (Heteropriacanthus fulgens), avec leurs gros yeux globuleux. Plusieurs puits de lumière créent des ambiances lumineuses très intéressantes. Les faisceaux des lampes qui s’entrecroisent dans la pénombre renforcent l’impression d’exploration intense.

En sortant de la grotte, Sergio nous guide le long d’une immense paroi verticale, faite d’un seul bloc, qui semble interminable. Le décor n’est que formations volcaniques. Cette vision me renvoie des milliards d’années en arrière, à l’époque où la Terre en fusion n’était encore qu’un immense amas de roches, sans vie. Le panorama est déjà spectaculaire et se suffit à lui-même, mais le fait qu’il soit agrémenté par une multitude d’espèces animales et végétales lui donne une tout autre dimension. En refroidissant de manière irrégulière, le magma a créé de nombreuses anfractuosités, qui sont aujourd’hui un repaire de choix pour de nombreux organismes (poissons, crustacés, céphalopodes…).


Puit de lumière
Puit de lumière pour ambiances lumineuses remarquables.

Bagarre chez les perroquets

Le dernier jour de plongée, à une trentaine de mètres de profondeur sur le site de Garachico (lire plus bas), je remarque plusieurs poissons-perroquets (Sparisoma cretense) s’agiter. Je me rapproche pour tenter de comprendre ce qui se passe. Soudain, j’observe deux poissons se faire face et se mordre. Ils luttent tous deux, tentant de faire céder l’autre. Cette confrontation les fait remonter de plusieurs mètres, jusqu’à ce que l’un des deux protagonistes s’avoue vaincu. Mais, une fois les poissons de retour au fond, la lutte reprend de plus belle. En me retournant, j’observe que deux autres paires adoptent un comportement similaire.

J’ai d’abord pensé à une parade nuptiale ou à un accouplement. Cependant, il n’y avait que des mâles présents. Le dimorphisme sexuel étant très marqué chez cette espèce (mâles gris et femelles rouges) impossible de me tromper. Il s’agissait donc probablement d’un conflit territorial.

Cette scène éphémère me rappelle à quel point le monde marin peut être surprenant et méconnu. En 40 ans de plongée sur place, Sergio n’avait jamais observé ce comportement. Cela me motive à passer encore plus de temps sous l’eau pour tenter de percer les mystères du monde vivant.


poissons-perroquets
Poissons-perroquets mâles en pleine confrontation.

Las Gallettas - Diversité

Dans le sud de l’île se trouve également Las Galletas, un petit village prisé pour son caractère authentique et ses paysages côtiers pittoresques. Depuis la marina, nous naviguons une vingtaine de minutes jusqu’au site El Bajonito. Le site se distingue par une grande formation rocheuse allant de 13 à environ 50 mètres de profondeur. La biodiversité y est impressionnante, surtout lorsque le courant est présent et ramène la faune pélagique. On peut ainsi y observer des bancs de barracudas ou de roncadores, des murènes, des raies pastenagues ou aigles, des thons, des nudibranches, ainsi que divers types de crustacés et d’anémones.

La seconde plongée se fait sur l’épave d’El Condesito, un cargo qui transportait du ciment. Le naufrage est entouré de rumeurs selon lesquelles l’accident aurait été causé par l’utilisation du pilote automatique la nuit du 24 décembre 1971. Selon ces récits, l’équipage aurait fêté Noël et laissé le navire naviguer sans surveillance, ce qui l’aurait conduit à s’échouer dans les eaux peu profondes. Ce navire de près de 50 mètres est aujourd’hui un refuge de choix pour la vie marine. À l’intérieur, vous pourrez notamment observer de gros poissons-trompettes !

Après avoir fait le tour de l’épave, Sergio nous guide le long d’un canyon de 20 mètres de profondeur, flanqué de murs aux formes prismatiques, fréquenté par une abondante vie marine. Une fois encore, je suis témoin de la démesure de ces formations basaltiques… Je m’étais rarement senti aussi petit. Tout autour de nous, des végétaux blanchâtres, arrachés et charriés par le courant sont en suspension dans l’eau. Ce spectacle est saisissant : la nature s’était déchaînée, elle avait jeté un froid sur l’océan, et maintenant il neigeait sous la surface de la mer.


 Épave d’El Condesito
La poupe de l'épave du El Condesito, avec en arrière-plan la barre de direction.

Garachico - Splendide

Nous quittons le sud aride de Tenerife pour découvrir Garachico, situé plus au nord. Avant même de nous immerger, nous découvrons une autre facette de l’île, plus verte, plus humide, et avec un climat plus frais. Après la bascule arrière, nous plongeons en direction du fond et arrivons dans ce que je peux considérer comme une cathédrale. Bienvenue à El Tubo ! Une grotte dont l’entrée, large de plusieurs dizaines de mètres, est sublimée par des puits de lumière traversant l’endroit.

En avançant dans la grotte, nous jouons les spéléologues ; la lumière naturelle disparaît, et seules nos lampes nous permettent de progresser dans cette galerie unique. Sur les parois, j’observe des centaines de petites crevettes bicolores, vivant probablement depuis des centaines d’années dans cette grotte.

En ressortant, nous sommes témoins de la magie de la nature. Devant nous, des milliers de gros blocs cylindriques, longs de plusieurs dizaines de mètres. On pourrait croire qu’ils ont été façonnés par la main de l’homme, mais c’est bel et bien le magma qui, en refroidissant très vite, a créé ce dédale de pierres. Ils sont les totems d’un passé géologique tumultueux. Les volcans rugissaient, la lave s’écoulait, et le paysage sous-marin se retrouvait transformé à jamais.

Nous partons ensuite à la découverte de la Cueva de San Marcos, un lieu presque encore inexploré car il a été découvert (ou du moins rendu public) très récemment. Les formations rocheuses vallonnées quadrillent la zone. Parfois, de grands pics remontent près de la surface et forment des tours de roche. On pourrait croire que ces sentinelles ont été placées là pour protéger les secrets de l’endroit. Tout comme la raie aigle que je croise furtivement, j’ai l’impression de voler au-dessus d’une mystérieuse vallée engloutie. Plus loin, nous tombons enfin sur la fameuse cavité ayant donné son nom au site : un immense théâtre, une sorte de dôme de pierre sous-marin d’une trentaine de mètres de diamètre. Un côté est fermé, tandis que l’autre donne directement sur l’océan. La partie supérieure, située à plusieurs dizaines de mètres est, elle aussi, arrondie.

Plonger dans un endroit si peu connu, où tout reste à découvrir, est indescriptible. Qui sait quelles surprises l’océan nous réserve encore…


 Falaise basaltique sous-marine
Falaise basaltique sous-marine

Los Gigantes - Promesses minérales

À l’extrême ouest de Tenerife, vous ne pouvez pas manquer Los Gigantes. Ces falaises imposantes, qui se jettent dans l’océan, font partie des joyaux naturels de l’île de Tenerife. Ces colosses de pierre culminent jusqu’à 600 mètres au-dessus de la mer.

Sous l’eau comme sur terre, le paysage est volcanique et semble plaire à la vie marine qui gravite autour en nombre. J’avais déjà été surpris par la taille des raies pastenagues, que je trouvais étonnamment grosses, mais à Los Gigantes, tout semble gigantesque : j’y fais la rencontre de la plus grosse raie pastenague qu’il m’ait été donné de voir, avec en prime une murène qui viendra se poser sur son dos. Elle servira de mètre ruban, me permettant d’estimer la taille de la bête à près de 2 mètres.

Après cette rencontre, nous poursuivons notre remontée en suivant la roche. Certaines ouvertures semblent être des fenêtres sur l’océan. Pour le reste de la plongée, anfractuosités, petites grottes et trous dans la roche, évoquant des fenêtres sur l’océan, raviront la palanquée.


Fenêtre sur l’océan
Fenêtre sur l’océan...

Carnet de plongée

  • - S’y rendre : de nombreuses compagnies aériennes desservent Tenerife, via ses aéroports nord (TFN) et sud (TFS). Comptez 4 à 7 heures de vol (certains vols sont directs, d’autres non).
  • - Décalage horaire : -1h toute l’année.
  • - Formalités : Les Canaries étant espagnoles, un passeport en cours de validité ou une simple carte nationale d’identité feront l’affaire.
  • - Meilleure période : septembre/octobre, il fait y encore chaud et l’afflux estival s’estompe peu à peu.
  • - Température de l‘eau : 17°C l’hiver à 25 °C l’été.
  • - Température de l‘air : 21° l’hiver à 29° l’été.
  • - À savoir : le Nord et le Sud de Tenerife sont différents en tout points, alors établissez un camp de base mais n’oubliez pas d’explorer toutes les régions de l’île.
  • - Santé : rien de particulier si ce n’est de faire attention au soleil (prévoir protection et s’hydrater).
  • - Langue : espagnol, anglais très couramment pratiqué.
  • - Monnaie : euro !
  • - Se déplacer : louer une voiture ou taxi.
  • - Se loger : grand choix d’hébergements pour tous les budgets. L'hôtel Spring Bitácora à Santa Cruz de Tenerife, est confortable et aussi, de par sa situation, pratique.

Raie pastenague épineuse et murène
Raie pastenague épineuse (Dasyatis centroura) et murène

Carnet de voyage

  • - Diving Angel (Los Gigantes). Affilié à la FFESSM, ce centre tenu par Aurel et Laetitia, sympathique couple de Français, est basé dans le sud-ouest de Tenerife. Loin de la foule et dans un cadre merveilleux. Contact via le site.
  • - Ocean Friends (Las Galletas). Apnée et plongée. Contact : oceanfriendsdiving@gmail.com
  • - Macaronesian Divers (au bord de la baie de Radazul. Une structure moderne, parfaitement aménagée, à la fois centre et magasin de plongée. Contact : info@macaronesiandivers.eu


Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher