La Seine et sa double barre à roue

Pierre Pierre Larue
Publié le 2 mai 2014
En 1846, si la corvette La Seine n’avait pas coulé, à l’extrême nord-est de la Grande Terre, la Nouvelle-Calédonie ne serait jamais devenue française. Ce hasard de l’Histoire a permis, 163 ans plus tard, à une classe d’un lycée professionnel de Nouméa, d’être l’acteur d’une passionnante aventure : la restauration de la double barre à roue du navire. Un reportage de Pierre Larue (Fortunes de mer calédoniennes).

La Seine, corvette de guerre de 800 tonneaux, armée de 26 bouches à feux, appareille le 3 septembre 1845 de Brest à destination de l’Océanie. Elle navigue sous le commandement du capitaine de vaisseau François Leconte.

Les objectifs de ce voyage sont nombreux. La situation politique est tendue entre la France et l’Angleterre à propos du protectorat signé en 1842 entre la reine Pomaré de Tahiti et le roi Louis Philippe. Le pasteur Pritchard, consul anglais, tente sournoisement de soulever la population locale contre les établissements français installés en Polynésie. L’amiral Dupetit Thouars l’expulse en Australie au point de menacer « l’entente cordiale ». Guizot, le ministre des Affaires étrangères de Louis Philippe, désavoue l’amiral et indemnise grassement le pasteur.

Dans ce contexte, le bâtiment transporte des troupes à Tahiti pour rétablir l’ordre. Il portera ensuite assistance aux Français résidents dans les archipels du Pacifique Sud. Louis Philippe lui a confié une mission confidentielle pour Monseigneur Douarre de la mission catholique de Balade en Nouvelle-Calédonie. Le navire doit poursuivre jusqu’au Kamchatka et reviendra en métropole à l’issue d’un périple de 4 ans.

LE NAUFRAGE

Après une escale en Nouvelle-Zélande pour relever la corvette Le Rhin et soutenir nos compatriotes de la petite colonie française implantée dans la baie d’Akaroa dans l’île du Sud, le navire cingle vers le nord. Des vents contraires le déportent vers les îles Tonga où il mouille, à la grande joie des missionnaires catholiques installés là !

Le commandant Leconte se rend ensuite à Wallis pour saluer Monseigneur Bataillon. Enfin il met cap à l’ouest vers l’extrémité nord-est de la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie où les frères maristes de la mission de Balade tentent d’évangéliser les populations autochtones depuis le 21 décembre 1843.

Le 3 juillet 1846, il reconnaît le cap Colnett nommé par le célèbre capitaine James Cook. Se basant sur une carte de Bruny d’Entrecasteaux, le commandant dirige son navire vent arrière jusqu’à l’extrémité du grand récif barrière. Croyant avoir identifié l’entrée de la passe de Balade, il l’embouque en se positionnant sous le vent au sud, très près du récif. Le soleil de face empêche la vigie de voir à temps les colorations de l’eau matérialisant un haut-fond, juste devant le navire. 

Malgré une manœuvre d’évitement tardive La Seine talonne le récif par la poupe et s’immobilise. Une fois les voiles carguées et serrées, un canot est mis à l’eau. Les sondes effectuées alentour permettent d’espérer qu’en se déhalant sur la grosse ancre à jet portée par les embarcations l’équipage va pouvoir alléger l’arrière et déséchouer le navire !  

Les caisses à eau sont vidées, les canons déplacés vers la proue… rien n’y fait, la nuit vient, rendant plus difficiles les opérations. Au matin du 4 juillet 1846 La Seine flotte à nouveau ; elle reste tenue au récif par deux ancres, mais hélas le gouvernail se détache de l’étambot et disparaît. La situation devient critique avec l’état de la mer dégradé ; les trois pompes fonctionnent en continu mais le niveau de l’eau dans les cales augmente inexorablement. Une chaloupe dépose à terre une cinquantaine d’hommes et des munitions.

Les opérations d’évacuation commencent vers 15 heures et bientôt tout l’équipage se retrouve sur le rivage des tribus canaques de Pouébo. Seul le haut du mât du navire matérialise le lieu du naufrage qui n’aura fait aucune victime. Nos 232 marins naufragés aux antipodes de la mère Patrie vont devoir s’organiser pour survivre. Les vivres sauvés, ajoutés aux réserves de la mission, permettent de tenir deux mois avec un rationnement raisonnable.

Les hommes sont occupés : ils montent la garde, aident aux cultures, construisent des bâtiments, posent des filets à l’aide du grand canot et effectuent des relevés hydrographiques entre Hienghène et Balade.

Le commandant Leconte informe alors discrètement Monseigneur Douarre du contenu de la dépêche confidentielle du 26 août 1845. Elle a pour objet de faire savoir à l’évêque que la France n’a aucunement l’intention de fonder un établissement français en Nouvelle-Calédonie et dans un souci d’apaisement avec les Anglais, suite à l’affaire du pasteur Pritchard, il demande la restitution du pavillon national que Julien Laferriere, commandant le Bucéphale lui avait remis en 1843 lors du débarquement à Balade des maristes.

Mais ce naufrage providentiel allait changer le cours des événements en entraînant une meilleure connaissance de l’île et de ses habitants.

L’empereur Napoléon III décida l’annexion de l’archipel et le capitaine de vaisseau Février Despointes, à bord du Phoque, prit possession de la Nouvelle-Calédonie au nom de la France, le 24 septembre 1853.

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