LE DOPAGE EN QUESTION

Pierre Martin-Razi
Publié le 26 oct. 2017
Pour Subaqua, le docteur Carl Willem évoque le dopage et les moyens de lutte pour l'empêcher. Propos recueillis par Pierre Martin-Razi.

Pour le docteur Carl Willem, la définition du dopage est sans ambiguïté : il s’agit de l’application à un individu sain ou l’utilisation par cet individu, de quelque façon que ce soit, de substances qui ne se trouvent pas naturellement dans l’organisme, ou de substances physiologiques en quantités ou selon une voie inhabituelle, dans le seul but d’influencer artificiellement et déloyalement les performances de cette personne lors de sa participation à une compétition sportive. Le dopage constitue une violation flagrante des règlements par l’utilisation de substances ou de méthodes qui ont été prohibées par les autorités sportives compétentes, nationales ou internationales. Médecin coordonnateur médical réglementaire des sportifs de haut niveau au sein de la FFESSM, spécialiste de la lutte antidopage tous sports confondus et ancien officier de police judiciaire médecin de la cellule antidopage de la communauté française, Carl Willem répond aux questions de Subaqua.

Existe-t-il plusieurs types de dopage et comment les définir ?

Chaque année, l’AMA (Agence mondiale antidopage) publie la liste des interdictions à savoir les substances et méthodes interdites en permanence (en et hors compétition), celles interdites uniquement en compétition ainsi que les substances interdites dans certains sports. Pour qu’une substance ou une méthode soit dopante, elle doit inclure au minimum deux des trois critères suivants : le potentiel d’améliorer la performance sportive (évidence médicale ou scientifique, effet pharmacologique ou expérience), un risque réel ou potentiel pour la santé du sportif ou un usage contraire à l’esprit sportif. Un dernier critère est la faculté de masquer l’usage d’autres substances.

Citons les trois cas de figure d’un sportif dopé : le sportif volontairement dopé, le sportif dopé « thérapeutique » de bonne foi qui, ignorant ou mal informé, use d’une substance ou d’une méthode interdite et, enfin, le sportif dopé à son insu.

Le dopage volontaire nécessite l’adhésion du sportif : les sportifs s’auto-administrent en toute conscience des produits illicites pour répondre aux exigences de la préparation et de l’enchaînement de la compétition. Les médecins, les entraîneurs, les soigneurs sont sollicités par ces sportifs avides de rendement qui souhaitent qu’on leur prescrive des thérapies de complémentation.

Les raisons fondamentales pour interdire le dopage sont de garantir à tous les sportifs des conditions de compétition équitables, de préserver leur intégrité bio-psycho-sociale et de sauvegarder ce qui donne au sport toute sa signification et sa valeur. Nous avons donc le devoir de dissuader de se doper par des programmes de prévention et d’éducation du sportif, d’identifier les sportifs dopés par contrôles antidopage inopinés non seulement pendant les compétitions et à l’entraînement mais à tout moment et enfin de punir les sportifs dopés par des sanctions sportives et/ou pénales.

Est-ce une pratique efficace, une addiction, une croyance ?

Depuis des milliers d’années, les athlètes ont tendance à se doper. La lutte contre le dopage est encore récente : les premiers tests antidopage aux Jeux olympiques ne datent que de 1968. Le recours au dopage s’est considérablement développé, et, à partir des années quatre-vingt, il s’est diversifié : augmentation de l’utilisation de stimulants, de diverses hormones, ainsi que de techniques de dopage sanguin, de dopage génétique et de masquage des produits. Et cela de manière de plus en plus habile afin d’échapper à tout contrôle. Les enjeux financiers, parfois considérables dans le sport professionnel, poussent ainsi trop souvent à une violation totale de l’esprit sportif. Lutter contre le stress, mieux récupérer d’une fatigue, diminuer des douleurs en réclamant des anti-inflammatoires ou une infiltration deviennent des demandes légitimes. Pour l’administration de certains produits, se pose la question du seuil entre une médecine de rééquilibrage et une médecine de la performance.

Où s’arrêtent les soins de santé et où commence le dopage ?

Quand des produits consommés par le sportif sont autorisés mais finalement inutiles voire délétères, on parlera de conduite dopante qui représente souvent le terreau du dopage : le sportif se persuade de prendre ces produits pour mieux affronter une compétition ou améliorer ses performances. Il a l’impression que sans rien prendre, il ne sera pas performant. Cet effet placebo est un cercle vicieux et souvent une escalade dans les doses et les produits. Les conséquences sont souvent désastreuses : avec la suppression des signaux d’alarme du corps comme la douleur et la fatigue, les risques de blessures et de surentraînement augmentent, des cas de surdosage peuvent conduire à des accidents graves voire mortels, à de la dépendance ou créer des interactions problématiques. Difficile pour certains sportifs de concevoir d’être performant sans supplémentation spécifique alors qu’habituellement, l’alimentation équilibrée suffit. Dans le cas de déplétions liées à une pratique sportive de haut niveau, seul le médecin du sportif pourra prescrire une supplémentation habituellement sur base de résultats de dosages biologiques. Pour bon nombre de « compléments sportifs », il n’y a pas de données scientifiques permettant de justifier ces allégations et de prouver leur innocuité voire une possible contamination par des agents dopants. Leur utilisation peut alors faire courir un risque pour la santé ainsi qu’un contrôle antidopage positif. Il faut savoir qu’un pourcentage élevé de produits achetés en pharmacie, en grande surface ou par Internet est contaminé par des substances dopantes. Certaines de ces substances finissent par être consommées d’une façon habituelle ou périodique engendrant un état de dépendance (drogues).

La lutte antidopage est-elle mise en place pour préserver l’individu ou pour éviter la tricherie ?

Les deux raisons principales pour lesquelles le dopage est interdit, et pour lesquelles il doit absolument le rester totalement, sont de nature morale, éthique (arguments de loyauté) et médicale (arguments de nocivité et de dangerosité).

Le dopage est un procédé illégitime, artificiel et interdit par le règlement. Il faut donc des règles strictes. Elles sont faites pour obtenir une compétition honnête. On doit jouer selon les mêmes règles pour que tous les athlètes participent à égalité de chances, et que la victoire aille à celui qui la mérite, en raison de sa valeur propre, et non parce qu’il a recouru à un trucage. Se doper, c’est tricher !

Afin de préserver les valeurs éducatives du sport et lui conserver son sens (« l’esprit du sport »), l’institution sportive se doit de légiférer en la matière afin de définir un modèle de comportement.

Le sportif se doit de respecter les lois du sport. La lutte contre le dopage constitue donc un élément de sauvegarde, de maintien et de rappel des valeurs essentielles du sport. Malheureusement en citant mon collègue, le Dr Jacques Rogge, ancien président du CIO : « La lutte contre le dopage ne sera jamais terminée. Elle est éternelle car le dopage appartient à l’âme humaine… ».

La recherche de la performance à tout prix organisée au sein de l’institution sportive est une caractéristique de notre société de consommation. Le pouvoir sportif devrait s’interroger sur son propre fonctionnement. Les mesures de répression ne suffisent pas : nous devons agir en profondeur sur les mécanismes responsables du dopage.

n S’il s’agit de préserver l’individu, pourquoi restreindre la lutte antidopage aux pratiques compétitives ?

Illustration d'un ordinateur de plongée
Ne ratez aucune info
Inscrivez-vous à notre newsletter mensuelle pour ne rien rater de votre magazine
Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher