Le requin océanique

S.SURINA F.DUDENHOFER
Publié le 24 déc. 2020
Espèce emblématique de mer Rouge, le requin océanique, ou longimanus, se rencontre en particulier dans les eaux égyptiennes, qu’il fréquente assidûment même s’il n’est pas endémique à cette zone. Curieux, inquisiteur parfois, nombre de plongeurs ayant croisé sa route, n’oublieront pas de sitôt sa rencontre. Pour Subaqua, Steven Surina, spécialiste de la plongée avec les requins, fait le point sur ce requin singulier. Texte et dessins de Steven Surina, images de Fabrice Dudenhofer. www. fabrice.dudenhofer.com - Instagram : fabricedudenhofer

Le requin océanique

Beaucoup de choses, incorrectes parfois, ont été dites sur le requin océanique, et beaucoup restent encore à écrire sur cette espèce fascinante, encore largement méconnue. Cet article a pour ambition de rapporter des faits et détailler quelques constatations sur sa présence et son comportement, avec le recul de vingt années d’études et d’observations menées principalement en mer Rouge égyptienne, lieu privilégié pour croiser la route de ce grand prédateur pélagique.

Rencontres irrégulières

Ce squale jouerait-il à cache à cache avec les plongeurs ? En mer Rouge, la présence du longimanus est, en effet, loin d’être systématique. Entre 2003 (date où l’on a commencé à répertorier sérieusement les observations) et 2010, les rencontres avec les plongeurs étaient abondantes. Durant cette période, le nombre de requins océaniques augmentait progressivement chaque année pour atteindre un seuil de quasi-saturation. Les animaux étaient omniprésents autour des récifs du large, de Saint John’s à Elphinstone et, bien sûr, autour des îles récifs des Brothers et de Daedalus. Précisons que ces grands prédateurs pélagiques sont territoriaux, partageant difficilement un territoire avec d’autres congénères, potentiels compétiteurs pour la nourriture.

C’est pourquoi le terme de « saturation » s’applique ici lorsque une dizaine d’individus est observée sur un même site(1). Même si quelques rares rencontres ont eu lieu, une absence quasi-totale des requins est ensuite observée entre 2011 à 2013. Comment l’expliquer ? Ce que l’on sait, c’est qu’un peu avant, deux tragiques évènements sont intervenus. Tout d’abord en 2009 à Saint John’s (récif situé dans le grand sud de la mer Rouge égyptienne), lorsqu’une nageuse décède des multiples morsures infligées par un longimane. Les croisières dans cette région sont alors suspendues. Après la réouverture de la zone, un mois plus tard, les requins océaniques ont disparu. Certains soupçonnent le gouvernement égyptien d’avoir commandité une campagne de pêche « punitive »(2), dans le but également de protéger un tourisme prospère à l’époque. En décembre 2010, dans la région de Sharm El Sheik, une série de quatre accidents (dont un fatal) survient malheureusement, impliquant là aussi des nageurs/baigneurs. Une campagne de capture est cette fois ouvertement lancée, sans grand résultat officiel (prise d’un seul requin longimanus et d’un mako, Isurus oxyrinchus).

Lors de la haute saison suivante (été 2011), les longimanus sont à nouveau absents et l’État égyptien est, une nouvelle fois, accusé. Sauf que deux évènements non négligeables sont souvent retirés de l’équation. Tout d’abord, en juin 2010, quand six bateaux de pêche yéménites, avec 20 tonnes de requins à bord, sont arrêtés par les autorités égyptiennes. Appréhendés au large des eaux territoriales, ces bateaux pêchant à la palangre ont certainement contribué à une diminution significative de la population de requins pélagiques (une capture de 20 tonnes correspond environ à un millier de spécimens, un désastre au vu de la superficie restreinte de la zone). Ensuite, le 25 décembre 2011, débute la révolution égyptienne. Les répercussions sur l’industrie du tourisme, dont l’activité plongée, seront catastrophiques, un point important, que nous développerons plus loin.

De 2013 à 2018, les observations reprennent, tout comme l’industrie du tourisme et donc la fréquentation des sites de plongées. Fin 2018, quatre incidents impliquant des longimanus, concernant cette fois des plongeurs, font l’actualité. Sauf que le gouvernement prend des mesures intelligentes et pertinentes. Pas de pêche mais place à l’éducation et à la prévention. Ainsi, les îles du large sont, par précaution, fermées pendant quatre mois aux bateaux de croisière, et une nouvelle loi impose pour l’une d’elles, les Brothers, formés en fait de deux proches îlots, lieu privilégié de rencontres avec les longimanus, de ne rester qu’une journée sur place. En parallèle, les moniteurs de plongée reçoivent une formation afin de mieux appréhender les risques particuliers à cette espèce. À la reprise des croisières en avril 2019, aucun longimane n’est observé pendant 3 mois ! Des voix s’élèvent à nouveau pour soupçonner des pêches punitives menées en douce. Jusqu’à ce que l’on rentre dans la saison d’observation (d’août jusqu’en décembre) qui voit fin septembre, l’arrivée des premiers requins océaniques. Identifié grâce à la base de données(3), un tiers environ (30 %) des individus observés l’a été en 2018.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher