LE SOUS-MARIN U-767

Jacques Huitric
Publié le 6 janv. 2020, modifié le 18 sept. 2024
Pour ce second volet de notre nouvelle rubrique, Une épave, une histoire, Jacques Huitric nous emmène à la découverte d’un vestige exceptionnel à bien des égards. De par sa nature, tout d’abord : il s’agit d’un sous-marin allemand, un de ces redoutés loups gris ou U-Boote, le U-767, coulé en 1944. En raison ensuite du quasi parfait état de conservation de ce submersible, exception faite des dégâts reçus lors de son grenadage. Enfin par sa localisation, très au large de la côte d’Émeraude par 73 mètres de fond, ce qui réserve son exploration aux jours de bonne météo et par des plongeurs expérimentés. Texte et photos de Jacques Huitric.

Si les épaves de navires en tous genres, civils ou militaires, peuplent les rivages marins de l’hexagone, notamment ceux baignés par l’Atlantique et la Manche, les vestiges de submersibles sont plus rares. En particulier, les épaves de U-Boote, ces sous-marins considérés comme le fer de lance de l’Allemagne nazie pour mener la guerre sous-marine, en particulier pendant la célèbre bataille de l’Atlantique. Des différents types de U-Boote ayant participé à la Seconde Guerre mondiale, le modèle VII C aura été le cheval de bataille de la Kriegsmarine (marine de guerre allemande), à l’image du U-96 dont l’histoire est racontée dans le célèbre film Das Boot. Entre 1941 et 1945, près de six cents (568) de ces submersibles furent construits. Ils combattirent quand l’efficacité de l’arme sous-marine allemande commençait progressivement à s’émousser (dès 1943), au profit de la domination de la marine alliée, devenue d’une efficacité redoutable pour débusquer et couler les U-Boote. C’est exactement la trajectoire historique suivie par l’U-767, dont le récit de l’exploration de son épave par le photographe Jacques Huitric et son équipe est détaillé ci-après.

Un peu d’histoire…

Mis à l’eau en 1943, le sous-marin U-767 était propulsé par deux hélices entraînées par deux moteurs diesel Germaniawerft. Sa vitesse en surface approchait les 18 nœuds (près de 33 km/h) pour 7,6 nœuds (14 km/h) immergé. En surface, son rayon d’action était de 8 500 milles nautiques (soit 15 700 km) à la vitesse de 10 nœuds (19 km/h). En plongée, il se réduisait à 80 milles marins (150 km) à 4 nœuds et pouvait atteindre une profondeur de 230 m. L’U-767 pouvait lancer quatorze torpilles par l’un de ces cinq tubes lance-torpilles (quatre à l’avant, un à l’arrière). Il était équipé d’un canon de 88 mm et d’un canon antiaérien de 20 mm Flak et pouvait transporter une quarantaine de mines. De 40 à 56 sous-mariniers, encadrés par quatre officiers formaient son équipage. Ces hommes ont été commandés, du premier jusqu’au dernier jour de l’U-767, par l’Oberleutnant Walter Dankleff.

Après une période d’entraînement à Kiel, le U-Boot est rattaché à la Unterseebootsflottille n° 1 (flottille de combat) de Brest. L’U-767 sera l’un des huit U-Boote ayant réussi à se rendre dans les eaux norvégiennes (base de Marviken), au cours de la seconde moitié de mai 1944. Il faut savoir qu’à ce moment de la guerre, le rapport de force s’est complètement inversé : les loups gris de l’amiral Dönitz sont passés de prédateurs à proies en raison de la supériorité matérielle, tactique et technologique acquise par les alliés dans la lutte anti-sous-marine. C’est donc dans l’Atlantique Nord que le submersible allemand entame sa première patrouille, le 22 mai 1944. Début juin, il reçoit l’ordre de se diriger vers la Manche. Le 15, il fait sa première victime : une frégate britannique, torpillée et coulée. Alors recherché, le U-Boot est repéré par les Alliés au matin du 18 juin dans le golfe de Saint-Malo. Dans l’après-midi, trois destroyers, les HMS Fame, HMS Havelock et HMS Inconstant, l’attaquent aux mortiers (Hedgehog) et avec des charges de profondeur. Face à la meute, aucune chance : l’U-767 coule au nord-est des Sept-Îles (près de Perros-Guirec). Tous les membres de l’équipage périssent dans le naufrage (47 ou 49 selon les sources), sauf un. En effet, grâce à son appareil Dräger, Walter Schmietenknop est arrivé à s’extirper de la carcasse de l’U-767 et à remonter en surface, avant d’être recueilli à bord du HMS Fame. Ce ne sera qu’à l’été 2002 que l’épave de l’U-767 sera officiellement localisée, par 73 m de fond.

PRÉCAUTION, ORGANISATION ET DÉROULEMENT

L’U-767 repose plus précisément à environ 14 milles nautiques dans le nord de l’embouchure de la rivière de Tréguier, au large des Héaux de Bréhat. Dans ce secteur, il ne faut en aucun cas rater l’étale de marée et les courants y sont particulièrement forts. Il est nécessaire d’avoir une météo suffisamment clémente, un tout petit coefficient. La plongée décrite ci-après a été réalisée le dimanche 28 juillet 2019 par un coefficient de 45, une mer agitée mais maniable avec un soleil au zénith. En ce qui concerne l’épave en elle-même, une attention particulière est à apporter au niveau de la partie arrière, où se trouvent de nombreux filets perdus et orins de casiers qui ne demandent qu’à piéger le plongeur… Une plongée sur l’U-767 ne s’improvise donc pas. Il faut disposer d’un bateau équipé pour la haute mer (hauturier) et d’un matériel de secours (oxygénothérapie), de binômes aguerris (profondeur) et en bonne condition physique (courant), ainsi que d’une équipe surface de sécurité irréprochable. Au vu de la profondeur, plus de 70 m, la plongée s’effectuera en recycleur, avec un diluant trimix 10/50. Quant aux blocs de secours (bail out) emportés, il s’agit d’un trimix 20/45 et d’un nitrox 50 %. Enfin, sur la ligne de sécurité sont fixés des blocs d’oxygène (de 80 et 100 %). Enfin, la durée totale d’immersion prévue est de 90 minutes. Le rendez-vous est fixé à la cale du lieu-dit le Loup (la bien nommée…). Dans la concentration, l’ensemble du matériel est embarqué par une équipe rodée(3). Dès la sortie de la rivière de Tréguier, nous sommes accueillis par un gros clapot qui nous fait hésiter. Cependant les prévisions météo indiquent que le vent devrait chuter dans l’heure qui suit. Décision est prise de se rendre sur site, en accord avec l’équipe sécurité surface, prête à prendre le risque de se faire chahuter pendant plusieurs heures sur le semi-rigide… Finalement, tout se déroule comme annoncé : le vent tombe et, sur place, l’état de la mer autorise à s’immerger. Après d’ultimes vérifications du matériel et de notre position GPS, le mouillage est jeté. Nous sommes dans les temps mais il n’y aura pas deux essais possibles : les plongeurs s’équipent sans délai et sautent dans l’eau.

LA PLONGÉE

La descente s’effectue en luttant contre le courant résiduel et vers - 70 m nous arrivons sur le fond. Quelques mètres à parcourir à contre-courant (fort) et le sous-marin est bien là, reposant sur un fond de sable clair depuis 75 ans.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher