Le Tombant des Ancres

Alexandre Hache
Publié le 3 mars 2022
Sur le bord de mer de Saint-Pierre, coincés entre restaurants et habitations, des ancres et parfois aussi des canons affleurent entre sable et rochers. Leur état en dit long sur le temps passé à subir l’assaut des embruns… Témoins de l’activité économique passée de la ville, ces pièces de métal vieilles de deux siècles servaient à amarrer la poupe des navires de commerce. Face à elles, dans la rade, se trouvent leurs pendants : des ancres immergées pour les proues, afin d’assurer un mouillage efficace lors du déchargement. Ce sont ces dernières, gisant entre - 12 et - 100 mètres, qu’Alexandre Hache est parti découvrir pour un reportage inédit. Texte et images sous-marines d’Alexandre Hache Instagram : @alexandre.hache

À plus de 100 mètres de profondeur, découverte d’un mouillage en partie enfoui. 

Février 2021. C’est avec pas moins de six valises que je franchis la douane de l’aéroport de Fort de France. Venus m’accueillir, mes amis Guilhem Campistron et Christian Piechocky ont pris chacun leur voiture pour m’aider à transporter mon volumineux matériel de plongée et de photos. Sitôt sortis du terminal, nous prenons le temps d’un verre de planteur pendant lequel mes deux compères me présentent un programme riche en explorations d’épaves locales. Je prends le temps de savourer l’instant présent, moi qui viens juste de quitter la grisaille hivernale et les restrictions sanitaires de l’hexagone…

/// Un peu d’histoire…

Située au nord de la Martinique, la ville de Saint-Pierre est le Pompéi des Caraïbes. Autrefois ville riche et prospère, le petit Paris des Antilles fut la capitale administrative et économique de l’île jusqu’à sa destruction. Le jeudi 8 mai 1902, l’éruption de la montagne Pelée surplombant la ville tue 26 000 personnes. Recouverte par la lave et les cendres, Saint-Pierre ne sera que partiellement reconstruite à partir de 1926. Avec 40 navires détruits lors cette catastrophe, la rade de Saint-Pierre représente une destination rêvée pour tous les amateurs de vestiges. En effet, les épaves sont nombreuses et à toutes les profondeurs. À l’entrée de la baie, les nageurs en PMT et plongeurs débutants s’émerveilleront des restes de l’Amélie. Face au centre-ville, ce sont les Diamant, Biscaye et Dahlia, reposant entre - 25 et - 40 mètres, qui raviront les plus confirmés. Au bout du ponton, un incontournable, le Roraima et ses 120 mètres de long (- 45 à - 60 mètres). Les habitués du Togo à Cavalaire y trouveront d’ailleurs quelques nombreuses similitudes (profondeur, ambiance et structure). Enfin, un peu plus au large, place au Graal de la plongée sur épave martiniquaise : le Tamaya. Chasse gardée à l’époque des plus téméraires (plongeant à l’air…), ce voilier trois mâts et jumeau du Belem, repose par 85 mètres de fond. Le Tamaya doit son invention et sa renommée au grand maître de la plongée locale, Michel Metery. Avant de devenir épaves, tous ces navires étaient au mouillage.

En se rapprochant de la surface, les mouillages

se parent de concrétions et donc sont plus colorés.

Au début du XIXe siècle, la rade de Saint-Pierre était à son apogée, mais considérée comme un mouillage peu sûr. Un système avec des ancres et des bouées est alors mis place. Pour faciliter les opérations de transbordement, les équipages attachaient la poupe des bateaux aux ancres et canons positionnés sur la plage grâce à une haussière. Les bâtiments les plus imposants s’amarraient à des coffres maintenus à d’autres ancres, posées celles-là sur le fond de la rade, en son centre. Ce double système d’amarrages, à terre comme en mer, était une réponse aux velléités commerciales grandissantes de la ville concurrente de Port Royal. Actuellement, ces ancres immergées sont toujours visibles. Elles offrent une immersion en plein cœur de l’histoire de la ville. Les plus accessibles sont à une vingtaine de mètres de fond. L’origine de chacune n’est pas clairement définie. Mouillage aménagé oblige, il est cependant certain que bon nombre d’entre elles n’appartenaient pas aux épaves présentes sur la zone.

/// Précautions et organisation

Il est 9 heures du matin sur le petit parking qui fait face à la mer près du marché de Saint-Pierre. Didier Maridé vient nous rejoindre. Figure de la plongée technique locale, ce moniteur trimix est l’un des rares adeptes du recycleur sur l’île. Toujours prompt à partager les secrets de son jardin, Didier nous propose de partir à la découverte de sa plongée préférée : le Tombant des Ancres. Une vingtaine d’ancres sont répertoriées jusqu’au pied du tombant, situé aux alentours de - 65 mètres.

Quelques ancres, reposant le long du tombant ou au-dessus, proches de la surface.

Pendant que Didier m’indique comment gagner depuis la plage ce tombant, Christian et Guilhem sortent des coffres notre lourd matériel. Mes deux compagnons plongent en triton, petit recycleur ventral aux tuyaux bleus fabriqué dans le Var. Je serai pour ma part fidèle à mon JJ-CCR. Recycleur électronique taillé pour les plongées extrêmes, il n’est certes pas des plus simple à manipuler pour un départ du bord. Chacun calibre sa machine et vérifie ses trois blocs de secours (les bailouts) à emporter, tous en carbone et gonflés à 300 bars. Utilisé comme diluant dans nos recycleurs, notre mélange trimix est un 9/60, c’est-à-dire 9 % d’oxygène, 60 % d’hélium et 31 % d’azote. Il nous offre une grande latitude d’exploration de la surface jusqu’à, pour une incursion de courte durée, - 120 mètres. Comme à notre habitude, c’est au dernier moment que nous déterminons nos paramètres de plongée selon notre forme et notre état d’esprit avant l’immersion. Christian, l’aîné du groupe ne souhaite pas dépasser quatre heures sous l’eau et que l’on s’attarde au-delà des 100 mètres de profondeur.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher