J’ai eu la chance de connaître, de rencontrer et de côtoyer tous mes héros, à l’exception de Tintin et d’Arsène Lupin. Et si pour certains, réussir sa vie, c’est avoir une Rolex à 40 ans, pour moi, cette impression de réussite ou plutôt de mission accomplie, je l’ai ressentie le jour où je me suis rendu chez Henri-Germain Delauze dans sa curieuse maison du Vieux Port, mi-garage à bateau, mi-musée.
Parti de trois fois rien, Henri-Germain Delauze s’est hissé dans le club très fermé des pionniers du XXe siècle, véritable capitaine d’industrie, son œuvre constitue une page importante de notre patrimoine, inventeur de la plongée industrielle profonde, il a été l’homme des grandes aventures humaines subaquatiques :
Sa réussite industrielle éclatante lui a permis de consacrer l’essentiel de son temps libre à ses passions : la chasse aux épaves, la découverte, l’innovation technique et la plongée souterraine qui a toujours été pour lui un centre d’intérêt. Personnellement, ou indirectement par le biais de la COMEX, il a largement contribué à l’essor de la plongée souterraine en Europe et principalement en France.
Premier apport essentiel en 1978, Bernard Gardette, le physiologiste de la Comex, conseille Claude Touloumdjian sur l’art et la manière d’utiliser l’02, lors d’une pointe dans la rivière sous-marine du Bestouan. La durée des paliers se réduit, la décompression s’optimise.
Puis, en 1981, par l’entremise de Jean-Pierre Imbert et de Jacques Mambré, tous deux employés par la COMEX, Henri-Germain Delauze est séduit par le projet présenté par Claude Touloumdjian qui envisage une plongée profonde à Fontaine de Vaucluse. Il prend à son compte, avec la démesure des moyens de la COMEX, l’organisation d’une plongée hors norme qui fera date, avec :
Avec toute cette logistique, Claude Touloumdjian réalise en sécurité une plongée record à -151 m de profondeur.
Mais l’essentiel était ailleurs, la plongée souterraine française venait de faire un grand pas vers l’exploration profonde avec l’emploi de l’hélium.
Pour parfaire cette démarche, Henri-Germain Delauze, sur les conseils de Jean-Pierre Imbert, accepte de communiquer à quelques spéléonautes confirmés français et suisses les tables de décompression trimix ”Doris”, après leur avoir donné toutes les explications et les recommandations nécessaires. En contrepartie, ces plongeurs s’étaient engagés à transmettre les différentes observations faites lors de leurs plongées au trimix et à ne pas divulguer les précieuses tables, le temps de les tester en siphons.
C’est la raison pour laquelle ces tables sont restées confidentielles pendant plusieurs années : certes il ne fallait pas mettre entre toutes les mains des outils potentiellement dangereux mais, d’un autre côté, les heureux élus n’étaient pas pressés de divulguer leurs recettes secrètes. Cette poignée de spéléonautes, grâce au savoir de la Comex, a pu réaliser de nombreuses explorations profondes (entre 50 et un peu plus de 100 mètres).
Pendant plus de 10 ans, les plongeurs souterrains français ont dominé le microcosme mondial des explorateurs de siphons devenant ainsi les précurseurs de l’utilisation du trimix dans la plongée de loisir.
Par la suite, la COMEX soit par l’intermédiaire de Jean-Pierre Imbert, de Bernard Gardette ou d’Henri Delauze lui-même, a conseillé et suivi quelques plongeurs spéléos pour des plongées particulièrement engagées (entre autres, Olivier Isler, Xavier Meniscus, Pascal Bernabé, Sylvain Redouday, moi-même…).
Le 14 février dernier à l’âge de 82 ans, Henri-Germain Delauze nous a quittés, alors que la veille de son départ il était encore entrain de faire des projets parmi lesquels la recherche du cuirassé Roma coulé en 1943. Pour lui, la grande aventure vient de se terminer, mais il nous a offert son œuvre. Merci Henri-Germain Delauze de la part de tous les plongeurs aux mélanges.