LES DÉCLINAISONS EN EAUX DOUCES

Michel Huet
Publié le 1 mars 2018
Quand on évoque l’archéologie subaquatique, on pense immédiatement aux épaves, antiques ou modernes, aux tumulus d’amphores, aux canons émergeant du sable, toujours en mer. Pourtant cette discipline se décline aussi, et en grande partie, dans les lacs et les rivières, où de nombreuses équipes, pour beaucoup fédérales, mettent au jour des éléments particulièrement intéressants, qui font progresser notre compréhension du passé. Voici une petite revue des procédures et des résultats obtenus dans cette discipline(1). Par Michel Huet.

DES CONDITIONS DE PLONGÉE PARFOIS COMPLIQUÉES

Eau douce n’est pas synonyme d’eau claire ! La turbidité est une des principales contraintes de ce milieu. Dans les eaux dormantes comme les lacs, ou courantes, la visibilité est souvent médiocre et devient nulle dès qu’on commence à travailler. Un simple relevé de mesures peut s’avérer très délicat. Mais toutes les eaux ne sont pas aussi chargées : le GRAS(2), qui prospecte depuis trente ans dans la Seine et ses affluents en amont de Paris, signale des visibilités allant parfois jusqu’à cinq mètres. Quarante centimètres de visibilité sont en moyenne la règle, bien que de grandes variations soient possibles en fonction du site et des conditions météorologiques. De grandes périodes sans pluie permettent de profiter de belles visibilités, qui peuvent en quelques heures se trouver réduites à néant après un orage ou des pluies continues.

Un autre facteur à prendre en compte dans les cours d’eau est le courant. Il est parfois puissant et dangereux. Tout déplacement en rivière s’effectue en le remontant, pour ne pas y être entraîné, au risque de se trouver coincé dans des branchages par exemple (et d’avoir aussi devant soi une eau troublée par les particules soulevées par le déplacement).

Les cours d’eau à lents débits entraînent des dépôts qui ont tendance à recouvrir les vestiges, les eaux vives au contraire décapent les fonds et les rendent archéologiquement stériles. Heureusement, entre les deux, les objets sont bien visibles, bien que parfois très concrétionnés, ce qui demande un peu de perspicacité ! La présence d’herbes aquatiques est également un frein à la prospection, car elles masquent le fond.

Il est nécessaire de tenir compte des autres usagers des rivières et, en premier lieu, les bateaux, petits ou grands. Une immersion ne s’improvise pas, elle respecte une réglementation spécifique, voir ci-dessous. Par contre les faibles profondeurs permettent de s’affranchir des contraintes de la décompression, et de rester et travailler longtemps sous l’eau.

Il faut croire que le plaisir compense les inconvénients, puisque nombreux sont ceux qui s’y adonnent avec passion !

PROSPECTER EU EAU INTÉRIEURE

En archéologie, la première étape consiste à rechercher les indices de présence de vestiges susceptibles d’être l’objet de fouilles ultérieures, c’est la prospection.

Antoine Jacquemoud (CRA IdF) décrit différentes techniques. La zone à explorer est balisée, un pavillon Alpha signale la présence de plongeurs sous l’eau et les services compétents ainsi que les riverains sont informés de l’opération (voir page 40). Chaque plongeur est muni d’un flotteur qui permet de le repérer. Une embarcation accompagne les mouvements, portant un plongeur équipé prêt à intervenir en cas de difficultés. Les déplacements en prospection se font en binômes, en remontant le courant comme il a été dit. Des prospections transversales sont aussi possibles, entre des tronçons matérialisés au fond par du cordage plombé.

Une autre méthode de prospection, développée par Michel Huet (commission départementale de l’Oise) dite pendulaire, utilisée dans les explorations de l’Oise non navigable au nord de Compiègne, consiste à déployer un décamètre à partir d’un point fixe, géopositionné sur la berge, et à remonter vers ce point, sous l’eau, en rembobinant le décamètre, tout en se déplaçant d’une berge à l’autre. Afin de limiter les contraintes réglementaires, et de se faire une idée de la nature du fond et de son potentiel archéologique, on peut mettre en place une opération de découverte du milieu, voire de nettoyage de rivière, toujours bien vue. C’est au cours d’une de ces actions, organisée par Véronique Brunet Gaston (CRA Est), qu’un plongeur a remonté ce qu’il a pris pour une pointe de grille en fer, en réalité une lance de l’âge du bronze, modèle britannique dont il n’existe que très peu d’exemplaires en France…

Toutes les prospections ne nécessitent pas ces techniques. Olivier Troubat (Codep 03) effectue quant à lui une prospection en rivière pour le moins originale puisqu’elle est à pied sec, ou presque ! Profitant des curages d’hiver de l’Allier, l’équipe étudie tout simplement en bottes et cuissardes les structures émergées devant Vichy, dans une eau à deux degrés tout de même !

OÙ PROSPECTER ?

L’exploration efficace des cours d’eau ne peut pas se faire au petit bonheur. Certains sites sont plus favorables que d’autres. L’étude de la toponymie, des cartes actuelles ou anciennes sont des aides pour déterminer les zones les plus propices. On y cherchera les indications de franchissement, notamment les gués, les ponts, et d’activités humaines, ports, moulins (« chemin du bac », « route du port », etc.).

Philippe Bonnin cite trois autres sources d’information. Les études hydrologiques des Ponts et Chaussées du XIXe siècle qui sont consultables en archives et ont laissé des plans très riches et détaillés, indiquant par exemple les hauteurs d’eau à l’époque. Les revues anciennes de sociétés locales d’archéologie et d’histoire, les publications des « Antiquaires », érudits qui suivaient à la même époque les travaux de dragages des cours d’eau, répertoriant les trouvailles et leur localisation. Enfin l’examen des images satellites, disponibles sur Internet, permet parfois de repérer des anomalies, traces d’aménagements, routes qui semblent traverser d’une rive à l’autre signe, d’un ancien passage, et des bords de cours d’eau non dragués et des hauts-fonds révélés par la végétation aquatique. Il est donc indispensable d’avoir dans l’équipe un passionné d’histoire locale, familier des recherches en archives. Le sondeur 3D, en plusieurs passages, permet de couvrir et de cartographier un segment de cours d’eau et de ce qu’il contient. Toute anomalie sera ensuite vérifiée. Sur les petits fonds des rivières il donne des résultats très précis.

DES DÉCOUVERTES TRÈS VARIÉES

En plus de 30 ans de recherches, le GRAS fait un inventaire plutôt hétéroclite : du polissoir néolithique (gros blocs de grès portant des rainures à polir les haches) jusqu’aux piles des ponts provisoires établis par les Prussiens lors du siège de Paris en 1870.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher