L’OBSERVATOIRE SOUS-MARIN DES ÎLES KERGUELEN

Thomas Saucède Sébastien Motreuil
Publié le 22 déc. 2017
Le 12 décembre 2016, le décret interministériel n° 2016-1700 faisait de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises (TAF) la plus grande réserve naturelle de France en étendant sa superficie sur plus de 672 000 km² autour des îles subantarctiques françaises. Ce décret s’inscrit dans le prolongement des engagements pris par la France lors de la COP21 et donne à la réserve naturelle des TAF les moyens de préserver un patrimoine naturel unique. Avec une superficie totale supérieure à celle de la France métropolitaine (551 500 km²), la réserve est en grande partie marine et constitue la sixième plus grande aire marine protégée de la planète ! L’aboutissement et la mise en œuvre du projet ont pu s’appuyer sur l’étroite collaboration qui existe entre gestionnaires de la réserve et scientifiques. Mais que sont donc ces territoires français du bout du monde et qu’ont-ils de si particulier ? Un reportage in situ de Thomas Saucède et Sébastien Motreuil.

Peu connues du grand public, les îles subantarctiques françaises sont situées à l’extrême Sud de l’océan Indien, en limite des eaux antarctiques. Elles comprennent les archipels de Crozet et de Kerguelen, ainsi que les îles de Saint-Paul et d’Amsterdam. Avec plus de 300 îles et îlots, et une vaste zone économique exclusive (580 000 km2), l’archipel des Kerguelen est le plus vaste des territoires subantarctiques français.

Les nouveaux contours de la réserve y couvrent 7 700 km2 de surface terrestre, soit presque autant que la superficie de la Corse, et près de 397 000 km2 de domaine maritime, dont 288 000 km2 classés en protection classique et 109 000 km2 en zone de protection renforcée.

L’isolement de l’archipel et sa situation géographique, à la convergence des eaux froides antarctiques et des eaux plus chaudes de l’océan Indien, ont conditionné l’évolution d’une biodiversité marine unique, composée de nombreuses espèces endémiques, et font des Kerguelen un lieu privilégié de rassemblement de nombreuses espèces marines (éléphants de mer, manchots, albatros…).

Les écosystèmes de l’archipel portent encore les stigmates des activités humaines passées, marquées par la surexploitation des ressources naturelles : chasse aux mammifères marins au XIXe siècle (cétacés, éléphants de mer et otaries à fourrure), pêche industrielle au XXe siècle, tentatives d’élevage et multiples introductions d’espèces souvent involontaires (plantes invasives telles que le pissenlit, rats, lapins, chats, rennes…). Les habitats marins côtiers font cependant figure d’exception : peu impactés directement par l’homme, ils présentent un état de conservation encore intact. L’archipel revêt donc un intérêt scientifique de tout premier ordre pour les biologistes marins qui peuvent y étudier des environnements préservés et uniques au monde. En particulier, la densité et la richesse de la vie fixée sur les fonds marins sont inattendues et marquent profondément les scientifiques lors de leurs premières plongées dans l’archipel. Le contraste est alors saisissant avec la maigre végétation du littoral et ses paysages de toundra.

Une plongée qui se mérite

Pour étudier, inventorier et protéger ce riche patrimoine naturel, des scientifiques ont décidé de mettre en place un observatoire de la vie sous-marine le long des côtes de l’archipel. Il s’agit du programme Proteker, actuellement piloté par Thomas Saucède, plongeur scientifique et écologue marine (voir page 27). Ce programme scientifique est porté par l’Institut polaire français Paul Émile Victor (IPEV), soutien logistique indispensable à la recherche scientifique dans l’archipel, et réalisé en partenariat étroit avec la réserve naturelle des TAF. L’étude et le suivi de la biodiversité marine côtière font de la plongée un outil de travail indispensable pour les scientifiques. C’est en plongée que les membres du programme Proteker accèdent aux sites d’étude qui sont situés tout autour de l’archipel entre 5 et 20 m de profondeur.  Chaque année, durant l’été austral, de novembre à décembre, une équipe de 4 à 5 plongeurs est dirigée par Thomas Saucède et Sébastien Motreuil, chef de mission, pour relever enregistreurs de température et placettes de colonisation, réaliser des prélèvements et cartographier les fonds marins.

Plonger aux Kerguelen se mérite. L’isolement et l’absence de piste d’atterrissage limitent l’accès à l’archipel qui ne peut être rejoint que par voie maritime. Deux semaines de mer sont nécessaires pour atteindre l’archipel avec le Marion Dufresne, navire ravitailleur des Terres australes et antarctiques françaises qui assure trois à quatre rotations logistiques par an depuis La Réunion pour ravitailler les îles subantarctiques françaises et assurer le renouvellement des personnes présentes sur la base. À l’aller, le Marion Dufresne fait une première halte dans l’archipel des Crozet, sur l’île de la Possession, ce qui permet aux passagers de profiter durant quelques heures de la vue de la faune locale : manchots royaux, albatros, orques pour les plus chanceux… Au retour des Kerguelen, le Marion Dufresne ravitaillera également l’île d’Amsterdam, dernière étape d’une rotation d’un mois qui ramène le navire à La Réunion.

Le rude climat des Îles Kerguelen

L’archipel des Kerguelen est la plus grande partie émergée du vaste plateau océanique de Kerguelen-Heard (2 millions de km2). Isolé dans le sud de l’océan Indien entre 48°35’ et 49°54’ de latitude sud et entre 68°43’ et 70°35’ de longitude est, l’archipel est à environ 3 500 km de La Réunion, 5 000 km de l’Australie et seulement 2 000 km des côtes de l’Antarctique.

Il est situé à la convergence des eaux froides antarctiques et des eaux plus chaudes de l’océan Indien, sur le trajet du grand courant circumpolaire antarctique, le plus important courant marin de la planète (plus 100 millions de m3 d’eau à la seconde, 500 fois le débit moyen de l’Amazone !).

Les Kerguelen bénéficient d’un climat océanique froid, les températures estivales plafonnent à 8 °C en été. Les précipitations sont fréquentes, abondantes à l’ouest (plus de 2 m par an), plus modestes à l’est (820 mm). Elles peuvent se produire sous forme de neige tout au long de l’année.

Les eaux de surface varient entre 5 °C en été et 2 °C en hiver, obligeant à plonger en combinaison étanche. Les vents sont permanents avec des rafales dépassant souvent 150 km/h, parfois 200 km/h. Avec des vagues pouvant atteindre 12 à 15 m, les conditions de navigation et de plongée y sont donc particulièrement rudes et compliquées. De plus, l’isolement et l’absence de caisson de décompression rendent les possibilités de secours difficiles et aléatoires en cas d’accident de plongée (le caisson le plus proche est à 2 semaines de bateau !). La profondeur des plongées est donc limitée à 20 m et les temps de plongée réduits à 45 minutes afin de rester dans la courbe de sécurité.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher