L’OUYSSE À NEUF : 2,4 km DE FIL TOUT PROPRE !

Jean-Pierre Stéfanato
Publié le 18 juin 2015
L’Ouysse est une des rivières majeures de la moitié nord du département du Lot et pourtant son lit est en grande partie inconnu du public puisqu’il serpente sous la surface du Causse de Gramat. Ce n’est qu’à partir de la résurgence de Cabouy, au pied de Rocamadour, qu’elle refait surface avant de grossir la Dordogne quelques kilomètres plus loin. Son débit et son emplacement en ont fait un des premiers objectifs historiques de la plongée souterraine naissante. Elle a naturellement intéressé notre précurseur Claude Touloumdjian qui a réussi la traversée de 800 m entre la source de Cabouy et le regard de Pou-Meyssen avant de poursuivre vers l’amont. C’est finalement une équipe franco-suisse qui est ressortie derrière le siphon de 1 200 m au début des années quatre-vingt. Depuis lors, les plongées d’agrément ou d’exploration se sont succédé mais aussi les crues saisonnières violentes qui arrachent les fils trop vite posés, trop sommairement rapiécés et qui représentent autant de pièges pour les hélices des scooters. Par Jean-Pierre Stéfanato

DEPUIS QU’ON EN PARLAIT, ILS L’ONT FAIT !

De g. à dte, R. Cabanne, F. Van Wesemael et F. Gentili.

Franck et Renaud se sont retrouvés autour d’une passion commune pour les épaves avant de s’intéresser à la plongée souterraine. En 2011, suite à quelques plongées à Cabouy et un constat alarmant quant à l’état de la ligne, cassée à de nombreux endroits, très usée à d’autres, avec de multiples « raboutages », et fils pièges, ils décident de remplacer le fil, notre précieux guide vers la surface. Un récit de Franck Gentili.

DESCRIPTION

À 1900 m de Cabouy, Frédo déroule la nouvelle ligne.

Le S1 du réseau de l’Ouysse fait 2 400 m au total. Son point d’accès principal est le gouffre de Cabouy. Le fond de la vasque permet très vite d’accéder au point bas à -30, puis le sol remonte régulièrement sur près de 800 m jusqu’à -11. Là, le gouffre de Pou Meyssen présente un second regard sur l’Ouysse souterraine permettant de rejoindre le réseau quelque 800 m en amont de Cabouy. La suite du S1 se poursuit dans un boyau confortable taillé dans une strate de roche claire. Là aussi, on passe rapidement un point bas qui avoisine les -30, pour remonter en pente douce, sur plus de 1 000 m de distance. À environ 1 950 m de Cabouy, le plafond s’ouvre vers la surface ; les plongeurs émergent dans un magnifique lac de 400 m de long qui se termine par une petite plage sablonneuse, puis de gros blocs marquent le départ du S2 quelques mètres plus loin.

LES ASPECTS TECHNIQUES

En janvier 2012, nous commençons par évaluer l’ampleur du projet puis le 11 novembre 2012, nous sommes enfin à pied d’œuvre. Nous avons décidé de sécuriser l’accès au réseau des deux gouffres grâce à de la corde d’escalade réformée.

À Cabouy, la corde est attachée à un arbre en aplomb de l’entrée et l’autre bout est noué à une ancre métallique agricole de plus 1,50 m solidement vissée dans la dune de sable à -9. C’est ici que démarre la nouvelle ligne. Tous les dix mètres environ, elle est fixée à la roche à l’aide de deux élastiques de chambre à air, les « caouètches ». Elle est protégée des angles saillants par des morceaux de tuyau d’arrosage. Tous les 50 m, une grosse étiquette plastique biseautée vers la sortie indique en grands caractères la distance par rapport au point zéro de Cabouy. Après 400 m de ligne en 4 mm nous poursuivons avec du 3 mm, c’est d’ailleurs ce même fil qui sera utilisé jusqu’au terminus du siphon 1. Bien que certains passages de la cavité soient très hauts de plafond, nous avons fait le choix de positionner la ligne au sol. Nous avons privilégié tout au long du parcours une seule et même logique permettant au plongeur en difficulté de retrouver à coup sûr la ligne toujours tendue au sol ! Pour la même raison nous avons choisi de décrocher systématiquement les fils des shunts, cloches et autres variantes qui sont simplement repérés sur la ligne avec une double flèche. Ainsi un plongeur en difficulté aura plus de facilité à suivre une ligne unique et sans interruption qui le conduira directement à l’air libre.

Amarrage sur caouètches + repère galerie annexe.

À 400 m, une flèche à double sens indique clairement la mi-distance entre les vasques de Cabouy et de Pou Meyssen. L’accès au réseau par le gouffre de Pou Meyssen est moins « confortable » qu’à Cabouy. La petite vasque se trouble immédiatement et les suspensions soulevées lors de la mise à l’eau annulent fréquemment la visibilité. Nous avons sécurisé ce passage avec une corde solidement fixée à l’air libre en haut de la vasque et directement raccordée à la ligne qui vient de Cabouy et file vers la fin du S1.

À mi-distance entre les deux sorties.

La jonction entre la corde et la ligne forme un « T » sur lequel deux grosses flèches fixées sur la corde indiquent « Sortie/Exit Pou Meyssen » et une grosse flèche installée sur le fil principal en aval du raccordement, indique « Cabouy 800 m ». Ainsi un plongeur venant du fond pourra en toute connaissance, choisir de remonter le long de la corde et sortir 20 m plus loin à l’air libre à Pou Meyssen, ou poursuivre vers Cabouy (à 800 m de là) en restant sur la ligne.

Lors de chacune de nos plongées, nous avons démonté scrupuleusement et systématiquement la vielle ligne, et nettoyé les très nombreuses bribes de lignes « fossiles ». À certains endroits, comme vers 1 800 m, pas moins de 6 lignes courant sur plusieurs dizaines de mètres, étaient encore attachées à la roche, roulées en pelotes improbables ou flottant entre deux eaux. Nous avons ressorti plusieurs centaines de mètres de vieux fils, quelques dizaines de mètres de fil de fer, une vieille combinaison, des chaussures et même un vieux sac !

LA FIN D’UNE AVENTURE

La météo de l’automne 2013, du printemps et de l’été 2014 ne nous a pas permis de progresser comme nous l’aurions souhaité. Nous avons dû attendre mi novembre 2014 pour poser le dernier tronçon de ligne neuve. Nous nous sommes arrêtés à la toute fin du lac juste avant le départ du S2. Lors de cette ultime plongée nous avons profité de l’aide d’un troisième plongeur pour filmer la fin du rééquipement.

Nous avons mis tout notre cœur à l’ouvrage, certaines plongées ont été longues, glauques et froides, d’autres nous ont émerveillés, et permis de découvrir certains secrets de cet incroyable réseau. Nous avons malgré tout su apprécier à leur juste valeur chacune de nos immersions dans l’Ouysse souterraine. Elles ont soudé à jamais notre complicité, notre amitié et nous ont apporté la satisfaction d’avoir pu mener à bien, après prés de 2 400 m et deux années, la réalisation du défi que nous nous étions lancé. Désormais la ligne appartient à la cavité et à tous les plongeurs qui la fréquentent. Il revient à tous de profiter de cet équipement, de le respecter, mais aussi d’entretenir ou de réparer la ligne dans l’esprit qui a guidé notre travail.

Remerciements

> À Diving Equipement qui a généreusement fourni l’intégralité des 2 400 m de fil posé.

> À Frank Vasseur pour ses conseils.

> À Oli Bertiaux et Fredo Van Wesemael pour leur soutien et leurs conseils.

> À Dominique Victorin et Fredo Van Wesemael pour leurs coups de main subaquatiques ponctuels.

> À Fredo Verlaguet qui nous a fourni la corde réformée.

> À la FFESSM.

> Enfin merci à mon coéquipier, Renaud Cabanne avec qui j’ai partagé cette belle aventure.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher