D’un premier séjour aux Maldives, quelque peu ancien déjà, j’avais évidemment gardé le souvenir de magnifiques plongées, avec de nombreux bancs de poissons évoluant parmi de superbes massifs de coraux. Les superlatifs étaient déjà de rigueur ! L’eau était particulièrement chaude et, baignant dans cette eau accueillante - et dans notre ignorance - nous nous en réjouissions… Nous étions en effet au tout début du premier grand phénomène « El Niño » touchant les Maldives et nous n’en savions rien (cette perturbation climatique théoriquement d’amplitude modeste aux Maldives avait, cette année-là, occasionné un réchauffement préjudiciable aux récifs coralliens). Les requins et les raies aigles rencontrés dans les passes m’avaient également fait forte impression : pour la première fois, j’avais eu le plaisir d’observer en nombre et de manière non furtive ces superbes animaux. Nous étions toutefois dans une configuration de plongée qui laissait de côté les rencontres originales en faune de taille modeste et, d’autre part, nos guides d’alors n’avaient pas la connaissance que nous avons aujourd’hui au sujet de la biologie des raies mantas (un seul individu aperçu brièvement lors de ce premier séjour…). Récemment, dans une optique de séjour tourné vers la biologie des raies mantas en compagnie d’un scientifique de l’association Manta Trust, Niv Froman, c’est un tout autre regard que j’ai eu le plaisir de porter sur une destination riche en découvertes tant pour le « gros » que le « petit ».
L’objectif premier de ce séjour était l’observation des raies mantas lors de leur rassemblement annuel dans la baie d’Hanifaru. Durant la mousson d’été, de mai à novembre, les courants océaniques originaires du sud-ouest viennent buter contre la chaîne d’atolls qui constituent les Maldives et permettent ainsi la remontée d’eaux profondes chargées en sels minéraux qui seront à la base du développement du plancton végétal. À son tour, celui-ci servira de nourriture au plancton animal dont se nourrissent les raies mantas. La baie d’Hanifaru, classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO, présente un ensemble de particularités qui expliquent l’intérêt que lui portent les raies mantas. Sa situation géographique, son orientation et sa forme profondément échancrée ont pour conséquence des caractéristiques biologiques très favorables pour les organismes mangeurs de plancton. En effet, lorsque les courants de marée sont au plus fort pendant la mousson d’été, leur rencontre avec les courants générés par cette mousson piège le plancton à l’intérieur de cette baie. Cette forte concentration en plancton (notamment en copépodes) attire les planctonophages des environs : maquereaux indiens, fusiliers… ainsi que ceux qui sont capables d’effectuer d’importantes migrations en vue de repas améliorés : les raies mantas et les requins-baleines. Durant les périodes de nouvelle lune ou de pleine lune, les scientifiques du Manta Trust ont déjà pu compter plus de 200 raies mantas et 4 requins-baleines sur la surface d’un terrain de football ! En effet, les mantas des récifs (Manta alfredi) sont capables d’effectuer des migrations importantes aux Maldives : elles peuvent parcourir plus de 800 km et passer au-dessus de zones profondes de plus de 1 000 m, ce qui n’est pas dans leurs habitudes. Ces zones profondes correspondent plutôt aux biotopes fréquentés par leurs sœurs du large : les mantas océaniques (Manta birostris). Plus de 1 100 mantas des récifs différentes ont déjà été observées à Hanifaru. C’est par l’observation des taches ventrales sombres qu’elles sont identifiées, grâce à l’usage de la photo sous-marine. La photo-identification a ainsi permis de répertorier plus de 4 000 individus différents dans l’ensemble de l’archipel des Maldives, et cette technique permet également de suivre leurs déplacements et certains aspects de leur biologie, comme la reproduction ou la prédation. Dans la baie d’Hanifaru, nous avons pu observer certaines stratégies alimentaires de ces raies géantes : nutrition en cercle, en chaîne ou en looping. Des mantas nageant en cercle parviennent ainsi à concentrer le plancton sur un espace restreint par action centripète. Collectivement, elles augmentent les possibilités de nutrition de chacune d’elles. Lorsqu’elles se suivent en chaîne, elles profitent alors chacune d’un effet de déplacement des masses d’eau induit par celle qui la précède. Ainsi, le plancton qui n’est pas consommé par la première manta d’une chaîne a tendance à se retrouver au-dessus d’elle, et c’est donc en arrière et au-dessus de celle-ci que se trouvera la seconde raie manta qui sera suivie elle-même d’un autre individu et ainsi de suite. Nous avons pu compter ainsi près d’une dizaine d’individus se suivant les uns les autres. Parfois même une de ces raies géantes peut quasiment mettre sa mâchoire inférieure en contact avec le dos de celle qui la précède pour mieux profiter de cet effet de concentration de plancton. Troisième stratégie, individuelle celle-ci : le looping. Lorsqu’une raie manta se trouve en présence d’une zone ponctuellement riche en plancton ou composée de plancton de type « mysidacés », capable de déplacements assez véloces, elle peut effectuer des loopings sur place en réalisant simultanément des phases de nages rapides pour mieux gober sa nourriture. Chacune de ses stratégies est spectaculaire à observer, et lorsque l’une d’elle permet de saisir simultanément 8 raies mantas en un seul cliché, c’est un plaisir apprécié par un photographe sous-marin…
Sous l’ombrelle d’une grande méduse céphéa (Cephea cephea) une dizaine de petits poissons ont trouvé protection. Par crainte de contact fatal avec les tentacules de la méduse, peu de prédateurs se risquent en effet à venir les traquer là où ils ont trouvé refuge. De quoi donner de l’intérêt à une fin de palier : leur cache-cache avec les photographes a occupé ceux-ci pendant de longues minutes ! À notre approche, les petits poissons avaient en effet systématiquement tendance à se mettre du côté opposé de la méduse, la stratégie « d’encerclement » par plusieurs photographes permettait donc d’augmenter nos chances de réaliser un cliché satisfaisant de l’un d’eux !
Même sur un navire fréquenté quasi exclusivement par des francophones, ce sont parfois des termes anglo-saxons qui sont employés pour nommer certains animaux lors des « briefings » (!) ou pendant les échanges après la plongée. C’est ainsi que les squilles sont nommées « mantis » par abréviation de mantis shrimps.