Petites aventures en Méditerranée

Jacques Dumas
Publié le 27 sept. 2014, modifié le 18 sept. 2024
Quand un stage pédagogique de formateurs bio peut rimer avec découverte, étonnement, plaisir, sensations, surprises…

Mes cœlacanthes à moi

Après une bonne soirée devant le cœlacanthe - l’avant-première du très beau film de Laurent Ballesta sur grand écran, il me traversa l’esprit que la plongée du lendemain en Méditerranée, pourrait nous paraître un peu fade…

Est-ce aussi sûr ? Certes la rencontre du mythique cœlacanthe — à des profondeurs qui ne sont pas accessibles à tous les plongeurs — est sans nul doute une grande aventure palpitante, mais est-il possible de continuer de s’émerveiller devant nos petites séquences de la vie subaquatique en Méditerranée ?

Saurons-nous retrouver le ravissement et l’étonnement de nos premières incursions sur les petits fonds et l’émerveillement de nos jeunes années de plongeurs après ces images mythiques ? Dans le TGV en route pour Marseille, autant d’interrogations me traversent l’esprit…

Peut-être serai-je encore plus motivé pour traquer la bestiole rarissime, croisée au hasard des lectures mais jamais dans l’eau… Finalement la soif de découverte semble bien présente dans mes veines, l’aventure n’en sera que plus belle à partager. Si nous sommes prêts à nous étonner, nul doute que la nature nous surprendra.

J’ai toujours aussi hâte de me glisser dans les eaux fraîches de ce début de saison de plongée (avril avant Pâques), d’abandonner la surface en laissant derrière moi le monde terrestre, et voir la lumière diminuer au fur et à mesure de la descente toute en fluidité, les filets de bulles s’échappant vers l’air libre, dans une grisante sensation de glisse.

Nos yeux s’habituent progressivement au manque de lumière et notre respiration se veut de plus en plus lente et souple et mon esprit vagabond rêve déjà des êtres étranges que j’aimerais voir ou revoir… Un uranoscope, un serpenton, une pennatule, une vérétille sur une zone délaissée par le plongeur lambda ?

Verrons-nous une prolifération de plancton pour voyager à travers les films de James Cameron ? Reverrai-je un tonnelier de mer ? Est-ce que les limaces ont commencé à se reproduire ? Pourquoi pas une baudroie, dont la rencontre est devenue si rare ? Percerons-nous des mystères pour étancher notre soif de découverte et de connaissance ? Ressentirai-je encore ce bien être ou cette euphorie d’une plongée dont on aimerait qu’elle ne s’arrête jamais ? Ce moment déjà de nostalgie quand on quitte à regret le fond pour regagner les paliers et que petit à petit la roche devient de plus en plus floue et sombre à mesure que l’on remonte comme si elle refermait sur elle la porte d’un au-delà magique…

Nous voici arrivés au fort napoléonien de Niolon dans la commune du Rove, avec son parfum de Provence, ce petit port connu au XIXe siècle comme ancien fief des contrebandiers marseillais.

Quelques petites maisons à flanc de colline, le long des ruelles pentues, surplombant un minuscule port dont la principale animation est celle du va-et-vient des bateaux de plongée. Une immense base fédérale de plongée avec les locaux techniques flambant neufs de l’UCPA, et ses logements spartiates mais confortables pour les passionnés de plongée. 

Car l’essentiel est toujours, présent, la grande bleue… Dès le premier regard vers les eaux bleues, mon doute s’évanouit, l’envie est là, bien présente, cette hâte de s’immerger et de quitter le sol ferme pour l’exploration sous-marine. 

À peine déjeuné, notre stage de formateurs de biologie prend son élan avec une première plongée du quai de l’UCPA. Très vite la surprise… À quelques coups de palmes les premières antennes d’une petite langouste, puis deux puis trois… Est-ce possible, si près du bord dans 4 à 6 mètres d’eau… Magie de la mer… Le plaisir est intact.

Le coralligène de placage de roche contre la falaise y est pour beaucoup car la vie fixée foisonne et les éponges, algues calcifiées, anémones mimosas et gorgones jaunes rivalisent de couleurs chatoyantes sous le faisceau de nos lampes.

De nombreuses coquilles de dattes de mer posées sur le fond attirent mon œil et, en cherchant un peu, je ne tarde pas à trouver quelques spécimens vivants encastrés dans des trous de roche, ne laissant que difficilement apercevoir le bout des valves dans l’obscurité du trou.

Savez-vous qu’il s’agit d’une des rares espèces protégées de la Méditerranée ? Ce bivalve comestible et même très prisé jadis des locaux, avait dû être protégé, non par pour sa rareté mais à cause des moyens d’extractions employés qui nécessitaient l’usage d’un marteau et d’un burin pour casser le coralligène. 

Coralligène dont on ne rappellera jamais assez qu’il est constitué d’être vivants, qu’il s’agisse des bâtisseurs primaires, algues calcifiées et bryozoaires, ou d’animaux tels que les éponges, les vers… Ce « rocher » vivant est unique à la Méditerranée et doit être respecté et protégé comme un précieux patrimoine.

Il se développe aussi sur les corniches et surplombs, ce qui donne des couleurs chaudes aux grottes peu profondes que nous éclairons en prenant soin de ne pas y pénétrer sans beaucoup de précautions et en retenant notre respiration afin de ne pas lâcher trop de bulles vers le plafond.  

Quelques galathées et crevettes Stenopus nous y attendent tapies dans l’obscurité, et même de petites cigales…

On finira par se demander s’il est bien nécessaire de prendre un bateau pour aller naviguer afin de chercher des sites de plongées… Un bon début, bien suffisant pour de fins observateurs, et loin des plongées nécessitant la mise en œuvre de mélanges aux décompressions tout autant complexes que contraignantes.

Nos petites aventures subaquatiques sont bel et bien engagées.

Peu de limaces mais quelques efforts pour retourner une ou deux pierres que nous remettons soigneusement en place afin de ne pas exposer les animaux fuyants la lumière à une mort certaine, nous récompensent par l’observation d’un petit poisson-écuelle (lépadogaster) et d’une bertelle (petite limace à la belle couleur jaune avec ses petits rhinophores striés). Bien sûr quelques sars, girelles, gobies à bouche rouges, gobie doré et habituels petits poissons de roche complètent le tableau. Occasion aussi de prendre quelques clichés d’algues à crochets, espèce envahissante*.

L’opportunité aussi de ramener une image qui servira de photo mystère ; il s’agit d’une masse gélatineuse transparente de quelques centimètres coincée sur le fond entre deux oursins, et qui laisse apparaître une multitude de petits points oranges arrangés apparemment en chapelets…

Après quelques recherches et hésitation plus tard en salle, le mystère est levé : il s’agit de pontes de vers annélides nommés polymnies** qui forment des filaments fins englobés dans une masse gélatineuse.

Illustration d'un ordinateur de plongée
Ne ratez aucune info
Inscrivez-vous à notre newsletter mensuelle pour ne rien rater de votre magazine
Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher