Dernière semaine d’avril. Les peintres s’activent sur les bâtiments administratifs à bardeaux de Gustavia, chef-lieu de Saint-Barthélemy, petite terre de France nichée entre Atlantique et mer Caraïbe. Ici, le cobalt crénelé d’écume de l’une voisine avec l’azur languide de l’autre… L’île s’ébroue donc gentiment au rythme des pinceaux, des échafaudages et des pots de peinture, emportée par une salsa de blanc et de bleu pâle… L’agitation (toute relative) s’explique : dans quelques jours à peine, le président de la République doit arriver dans le cadre d’un voyage officiel attendu depuis longtemps… Inauguration, discours, visites, poignées de main, on imagine sans mal… Classique. Pour l’accueillir, la collectivité d’outre-mer minimaliste (10 000 habitants à peine…) ravive ses façades mises à nu par le soleil et l’alizé pour se faire encore plus belle qu’elle ne l’est déjà… Est-ce bien possible ?
Tableau. Quelques rues le plus souvent à sens unique et tissées à angle droit enserrent une baie tout en longueur. Leurs patronymes, clins d’œil à l’Histoire, font voisiner le roi Oscar II avec le général de Gaulle (l’île a, un temps, été suédoise), Saint-Thomas avec Victor Schoelcher, Irénée de Bruyn avec Jeanne d’Arc, la Paix avec la France… Les maisons sont créoles et deux ou trois terrasses s’ombrent de flamboyants. Le soir venu, la fraîcheur amère d’un demi y devient béatitude…
Au cœur du bourg, une armada de voiliers au mouillage roule mollement dans le clapot inévitable d’une entrée de port alors qu’alentour de rares minimokes rescapées témoignent d’une époque où le chic se voulait dénuement. Les temps changent pourtant et les boutiques de luxe renversent désormais la vapeur. Voilà Gustavia en résumé : une ville habillée d’un short peut-être, mais un short griffé Gucci. On l’a compris, la décontraction élégante est, ici, de bon ton.
Plus loin dans l’île, comme pour contenir un relief qui bouillonne, une suite de plages, un aéroport microscopique, quelques hôtels et des villas discrètes malgré leur vue imprenable, complètent le paysage. On fait très vite le tour de Saint-Barthélemy…
En glissant ma petite Twingo surchauffée dans le parking bordant le quai d’accueil, les yachts insensés qui y sont amarrés et l’office de tourisme plongé dans la torpeur de l’heure méridienne, j’imagine l’arrivée présidentielle prochaine, les chimères empreintes de mélancolie de notre chef de l’État : voici un coin de France à la criminalité zéro (vous pouvez laisser votre voiture ouverte, les clés dessus, avec la quasi et rarissime certitude de la retrouver), un coin de France où le chômage est inconnu, les impôts sur le revenu réduits à néant (sous réserve de séjourner dans l’île depuis plus de cinq ans), bref, le fantasme absolu de tout responsable politique…
A contrario, Saint-Barth est aussi un bout de France qui n’est pas intégré à l’Union européenne (elle y est simplement associée alors que Saint-Martin, sa voisine en fait partie…) et où l’on paye indifféremment en euros ou en dollars… À ce propos, disons le tout net : l’île étant sèche comme l’amadou, l’argent coule ici plus volontiers que l’eau douce, denrée importée ou dessalée, une qualité qui n’est pas celle des notes et factures ! C’est ainsi, chaque paradis ayant son serpent, celui de Saint-Barthélemy est… monétaire ! Il convient donc de débarquer avec un compte en banque solidement approvisionné ! Ou alors de bien préparer son voyage, les facilités ayant un prix qui peut être aussi celui de la sérénité. Nous avons brièvement goûté.
En s’installant à Saint-Barthélemy, Isabelle et Emmanuel Badias ont su peser les nombreux « pour » et les quelques « contre ». Ils appartiennent à cette catégorie d’individus qui ont le mérite de se remettre en question, le courage d’en tirer les conclusions et la force d’agir. Une passion, un désir latent, l’énergie posée de la quarantaine : voilà comment l’on quitte une vie rangée (pour éviter de dire routinière) et que l’on choisit l’incertitude. Certes, Isa et Manu ne sont pas les premiers à tenter la belle aventure de la création d’un centre de plongée antillais, il n’empêche : l’espèce n’est guère répandue !
Pour cela, Manu s’est donné les moyens de ses envies, a passé les diplômes qu’il faut, dont un BEES 2 (à ce jour, le seul de Saint-Barth), quitté sa carrière d’ingénieur, assis son expérience par de l’encadrement en club associatif puis dans plusieurs centres autour du globe. De son côté, Isa s’est investie tout autant avec, cependant, une préférence pour la Corse de ses origines. Une pincée d’amour plus tard suivie (le détail est trop mignon pour l’omettre) d’une demande en mariage très officiellement effectuée sous l’arche d’Elphinstone et voilà le couple réfléchissant à sa conception toute personnelle d’un centre de plongée. Le résultat est Serial Divers, une SCA fédérale un peu particulière, que nous avons découverte après une traditionnelle quoiqu’opportune rencontre dans les allées du Salon de la plongée de Paris…
On connaît les « food trucks » devenus à la mode, on connaît un peu moins les « dive trucks ». Nous en avions testé un à Saint-Pierre de La Réunion, celui de Serial Diver, pensé par Manu est d’un tout autre tonneau. Tout y est : le matériel Scubapro rutilant, les blocs en acier (youpi !) de 12 l, le compresseur 16 m3/h, air ou nitrox, avec la ventilation ad hoc…