Harmonie. S’il n’y avait qu’un mot pour décrire les Seychelles, ce serait lui. Alchimie insulaire du bleu de ces rivages peu profonds de l’océan Indien, du vert de la chevelure des forêts primaires et du brun-beige des blocs granitiques que l’on dirait sculptés. Concordance des accords, ici dame nature est reine et elle le vaut bien, à la fois indolente dans son charme et insolente de beauté. Quand l’ancien continent primitif du Gondwana s’est fracturé lors du Jurassique, les plaques continentales de l’Afrique, de Madagascar, de l’Inde et de l’Australie ont commencé à dériver et à s’éloigner. Un micro-continent dans ce bassin des Mascareignes est resté, celui de la plaque granitique des Seychelles, c’est le moment où les dinosaures disparaissaient. L’univers végétal de l’archipel est marqué par cette évolution géologique solitaire. L’histoire la plus séduisante en est celle de la palmeraie unique et préhistorique du coco de mer de Praslin. Cent quinze îles et îlots émergés au milieu de cet océan Indien forment l’archipel. Les premières terres sont juste sous l’Équateur, une quarantaine avec un relief granitique, les plus connues en sont Mahé, Praslin, La Digue, Curieuse et Silhouette. Elles forment les îles intérieures de l’archipel émergeant d’un immense plateau sous-marin peu profond (une trentaine de mètres de fond en moyenne pour une superficie grande comme la Suisse). Ce sont les seules îles granitiques océaniques au monde. Les autres, dites extérieures, sont coralliennes et plates, leurs fonds sous-marins environnants sont beaucoup plus profonds, ces terres sont les plus lointaines. Ce sont les îles extérieures partagées en plusieurs sous-groupes, des Amirantes à l’atoll d’Aldabra le plus éloigné à plus de 1 000 km, proche de Madagascar. Plus de 50 % de cet archipel échelonné sur l’océan est classé en réserve grâce à une réelle conscience écologique des autorités et des habitants.
Peut-être la plus belle plongée des Seychelles. Nous sommes au large, à mi-chemin entre les îles de Mahé et Silhouette, profondeur au sable, 32 mètres. Arthur nous briefe la plongée sur un schéma. Deux récifs rocheux mamelonnés envahis littéralement par des nuées de lutjans jaunes, comme un nuage immense de poissons d’or à lignes bleues, j’ai rarement vu une muraille d’une telle épaisseur. Eau claire en général, en descendant dans le bleu, l’image mouvante de cette masse poissonneuse est envoûtante. La famille des lutjans porte le nom vernaculaire de vivaneau en français et de snapper en anglais. Quelques grosses carangues pailletées et quelques bonites chassent, tandis qu’à distance un groupe immobile de grands barracudas semble hiératique.
Plusieurs raies aigles survolent la scène. Tout un versant de roche granitique est couvert d’alcyonaires rouges du plus bel effet sous le flash. Les requins de récif ont déserté ce lieu pour laisser la place à d’énormes raies pastenagues tachetées, devenues familières et nombreuses sur ce site, silhouettes massives qui vont et viennent sur le sable. Certaines sont enfouies, et pourtant le diamètre de leur robe géante circulaire tachetée de noir approche pour certaines 2 mètres. Derrière la bosselure de leurs globes oculaires, l’on voit les spiracles des fentes branchiales. Rencontres très rapprochées avec ces créatures majestueuses, mais avec précautions vu leur queue dotée d’aiguillons venimeux. Un vrai spectacle que de les voir secouer lentement leur robe du sable et de débris coquilliers pour se redresser lentement en ondulant, offrant leur ventre blanc au regard. De retour en surface, ce sont des platax sympathiques qui nous accueilleront pour un palier de principe prolongé, mais pas de requin-baleine, la saison est un peu tardive !
… encroûtées de vie, autour de l’île de Mahé. Non pas les deux barges jumelles pour une plongée de réadaptation ou l’énorme tanker pétrolier Ennerdale échoué en 1970 puis détruit, mais c’est surtout l’Aldebaran qui nous intéresse ici, un chalutier de pêche coulé en 2008 et qui demeure un joyau bien conservé. Plongée matinale après un mouillage de nuit dans la superbe baie isolée de Ternay devenue un Marine National Park. L’épave de l’Aldebaran au large du cap Ternay est grouillante de vie, elle mesure 60 m de long, 12 m de large et son pont est à 35 m de fond, elle est posée sur le sable à 40 mètres. Coulée comme récif artificiel par le gouvernement, c’est maintenant une des rares et magnifiques plongées seychelloises dans l’espace lointain pour plongeurs plus confirmés. Dans le projet de départ, elle était prévue moins profonde mais les aléas de l’immersion l’ont fait glisser dans sa descente. Elle est ainsi posée la coque bien droite sur le sable, un filin de repérage permet d’arriver à sa proue. Son mât de charge a depuis longtemps disparu mais son bastingage est incrusté de couleurs et ses coursives remplies de poissons. Le bateau a été à l’époque arraisonné pour pêche illégale par les garde-côtes seychellois, puis acquis par le Seychelles Tourism Board pour commémorer le festival de la mer Subios dédié à l’époque au thème : « Épaves, des habitats pour l’océan». Le choix du lieu de l’immersion au nord-ouest de Mahé fut fait en fonction des courants nutritifs afin d’y développer toute la vie sous-marine. Pari réussi… À la surface, près de la bouée, il est fréquent d’y retrouver un gros groupe de platax (dénommés poules d’eau) peu timides. Sur le sable, des raies pastenagues ont élu domicile et parfois une grosse loche se cache à l’ombre de la coque. Sur le pont de l’Aldebaran c’est la magnificence avec poissons scorpions, ptéroïs et murènes dans tous les recoins, des bancs de maquereaux colorés et de fusiliers bleus vont et viennent. Des groupes de lutjans jaunes semblent pulser au rythme de votre respiration. Cerise sur le gâteau, ce sont les nuées de carangues gros yeux qui viennent presque à chaque immersion pendant de longues minutes obscurcir l’espace juste au-dessus de l’épave… Moments magiques.