Augmentation des surprises climatiques dans l’océan

le 05/11/2019 publié dans le N° 287 de Subaqua
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Stephan Jacquet
par Stephan Jacquet

L’océan mondial absorbe plus de 90 % de l’excédent d’énergie causé par l’augmentation de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre imputable aux activités humaines. Malheureusement, le suivi des systèmes biologiques marins ne couvre qu’une infime fraction des océans, ce qui limite notre capacité à prédire avec confiance les effets attendus du dérèglement climatique sur la biodiversité marine. En se basant sur une nouvelle théorie scientifique, Grégory Beaugrand, directeur de recherche au CNRS, et son équipe basée à Wimereux au sein de l’université du Littoral-Côte-d’Opale, ont mis au point un modèle numérique global qui suggère le début d’une nouvelle ère climatique. Elle sera marquée par une accélération des altérations biologiques et de ses conséquences potentielles sur l’exploitation des ressources marines et le cycle du carbone. Explications.

GREGORY BEAUGRANDDe tout temps, les systèmes biologiques marins ont subi des altérations plus ou moins importantes causées par la variabilité naturelle du climat. Il arrive également parfois que des altérations brutales se produisent, avec des implications importantes pour la pêche. Par exemple, le Pacifique Nord a connu un tel phénomène en 1976. Un changement des champs de pression atmosphérique y a entraîné une modification du régime des vents, impactant alors l’équilibre global du système, avec des conséquences visibles sur tous les compartiments biologiques, du plancton végétal aux poissons. Typiquement, il a été constaté que la crevette rouge a décliné et que les ressources exploitées ont alors fait place à une pêche dominée par la morue d’Alaska. D’autres changements biologiques rapides, qualifiés de « surprises climatiques », ont depuis été détectés dans de nombreuses autres régions océaniques (Beaugrand et al. 2003).

La dernière étude de Beaugrand et de ses collègues (2019) s’appuie sur une nouvelle théorie sur l’organisation de la vie appelée théorie METAL (MacroEcological Theory on the Arrangement of Life, Beaugrand 2015). METAL stipule que l’organisation de la biodiversité, c’est-à-dire la distribution spatiale des espèces, l’organisation des espèces en communautés (c’est-à-dire en groupe d’espèces) et les variations spatiales de la biodiversité à grande échelle sont contrôlées par une interaction fondamentale : l’interaction entre la physiologie des organismes et leur environnement. On parle aussi de concept de niche-environnement. Ce dernier reflète la somme des gammes environnementales qui permettent aux espèces de vivre et de se reproduire.

L’Arctique, région fortement impactée par le dérèglement climatique

GRO_0147 copieÀ l’aide de ce modèle, les chercheurs ont pu reconstituer des pseudo-communautés (c’est-à-dire des communautés fictives) dans chaque cellule géographique de l’océan. Ils ont ensuite examiné comment ces pseudo-communautés étaient remaniées au cours du temps (1960-2015), étudié les changements graduels et les surprises climatiques, c’est-à-dire les remaniements rapides et substantiels de la composition des communautés.

Pour valider l’approche, le modèle a tout d’abord été testé sur 14 régions océaniques localisées dans le Pacifique et l’Atlantique, en mers du Nord et Baltique, en Méditerranée (mers Adriatique et Ligure) et dans l’océan Austral.

fig1Cinq autres régions de l’océan Atlantique ont également fait l’objet de tests (cf. figure 1), révélant in fine que le modèle (courbes en bleu) reproduisait correctement les changements biologiques observés à long terme (courbes en rouge synthétisant tous les systèmes marins étudiés), ainsi que les altérations rapides et brutales.

Force est de constater que le modèle fonctionne très bien. Cela s’explique par le fait que les scientifiques ont vu juste en identifiant que l’interaction niche-environnement était fondamentale à l’organisation de la vie (et sa réorganisation en fonction des changements climatiques). Dès lors, le modèle a été couplé à un nouvel outil statistico-mathématique permettant la détection des surprises climatiques (c’est-à-dire des remaniements biologiques rapides et substantiels). Appliqué sur l’ensemble des océans afin d’identifier, par période de 5 ans de 1960 à 2015, les régions influencées par des surprises climatiques, les résultats ont été très intéressants.

fig2Alors que pour certaines périodes les changements biologiques ont été relativement faibles et n’ont concerné qu’une faible superficie de l’océan (p. ex. 2005-2009, cf. figure 2), pour d’autres, au contraire les changements ont été beaucoup plus marqués et étendus spatialement.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 287 Abonnez-vous

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