ILE DE FLORÈS : LE PORTAIL DE KOMODO

le 13/03/2020 publié dans le N°289 de Subaqua
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Pierre Constant
par Pierre Constant

Après un large coup d’œil sur l’Indonésie, dont les îles de Komodo et Bali, précédemment dans ces pages(1), Pierre Constant nous propose un zoom plus particulier sur l’île de Flores, porte d’entrée dans le parc national de Komodo. Un éclairage complet, en grande partie centré sur le côté subaquatique bien sûr, mais pas seulement puisque l’auteur aborde aussi l’aspect historique ainsi que les enjeux écologiques.
Un reportage, texte et images, de Pierre Constant. www.calaolifestyle.com
(1) Lire « L’échappée indonésienne », Subaqua 282, pages 52-57.

Géologie et anthropologie

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L’archipel indonésien est au carrefour de trois plaques tectoniques majeures : les plaques indo-australienne, eurasienne et pacifique. Partie intégrante de l’arc occidental de Banda, entre Java et les îles Banda, les petites îles de la Sonde sont d’origine volcanique tertiaire. L’île de Florès est comprise dans cet arc intérieur de jeunes îles volcaniques, qui d’ouest en est, sont Bali, Lombok, Sumbawa, Komodo et Rinca, et se continuent par Solor, Pantar, Alor, Kambing et Wetar.

La subduction de la plaque indo-australienne sous la plaque eurasienne, au sud, a créé une fosse océanique profonde. Cette activité sismique initiale a également engendré un volcanisme sous-marin à l’origine de l’île de Florès et de toutes celles formant l’archipel. Pendant le Miocène, grès et calcaires se sont déposés dans les bassins qui entourent l’épine dorsale de Florès. Le bassin de Soa entre 300 m et 370 m d’altitude, se trouve au nord-ouest de Bajawa, dans la province Ngada du centre de Florès. Il documente les dépôts fluviaux et lacustres de la formation d’Ola Bula (1 MA à 650 000 ans), ainsi que la première apparition de l’homme à Florès. Seize sites de fossiles ont été mis à jour, révélant des tortues géantes, l’éléphant pygmée Stegodon sondaari (900 000 ans), ainsi que des vertébrés tels que le dragon de Komodo, Varanus komodoensis, un rat, de petits et grands crocodiles, ainsi que l’éléphantoïde Stegodon floresensis (800 000 ans). Une faune endémique qui s’est éteinte suite à une éruption volcanique majeure (site de Tangi Tolo).

En septembre 2003, le pasteur hollandais Theodore Verhoeven a exhumé des objets en pierre, avec des ossements de Stegodon et ceux d’un hominidé nain, dans la grotte de Liang Bua (nord de Ruteng). Le squelette d’une femme fut découvert à 6 m de profondeur, sous d’épaisses couches de cendres volcaniques. Appelée Flo, la jeune femme âgée de 25 ans, ne mesurait pas plus d’un mètre six centimètres (1,06 m). Elle fut datée au C14 et serait âgée de 18 000 ans. Le Hobbit man comme il fut appelé, était une nouvelle espèce, Homo floresensis qui aurait habité la grotte pendant 100 000 ans. Des fossiles de Stegodon appartenant à 47 individus furent exhumés, prouvant que cette sorte d’éléphant était nourriture pour Homo floresensis, qui chassait les jeunes et les bébés. Onze années plus tard, d’autres restes humains beaucoup plus vieux furent découverts à Florès. Aïeuls des Hobbits, ces derniers étaient cousins d’Homo erectus, notre ancêtre. Le processus évolutif amena le nanisme insulaire. Les dernières recherches de 2014 laissent à penser qu’Homo erectus serait arrivé dans l’île en provenance d’Afrique, voilà 1 million d’années.

Siaba Besar et Mawan

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Née italienne et ex-ingénieure en électronique, Cinzia Mariolini, devient une plongeuse confirmée et passionnée en 1990, puis instructrice en Australie et aux Maldives pendant 11 ans, pour finalement administrer des centres de plongée. Elle fit l’acquisition du Flores Diving Centre, en 2015. Elle opère maintenant des sorties à la journée dans le parc national de Komodo (KNP en anglais), depuis Labuanbajo, à bord d’un Kapal Kayu, bateau en bois traditionnel. Appelé Mutiara permata ou Shining Pearl, le bateau rouge – de son petit nom – mesure 21 m de long pour 3,60 m de large, avec un moteur diesel de 180 CV. L’équipage est de 7 membres et la capacité de 13 plongeurs.

La journée de plongée commence de bonne heure : le rendez-vous au Flores Dive Centre est fixé à 7 heures. Une petite balade de 5 minutes le long de la rue principale, amène au Pelabuhan, le port animé qui fait penser à une marina, où se mélangent bateaux de pêche, de plongée et voiliers. Pendant la saison sèche, Labuanbajo est une étuve poussiéreuse et bruyante, où les températures grimpent rapidement pendant la journée. Il va sans dire que l’on se sent tout de suite mieux à bord du bateau, pour une croisière d’1 h 30 jusqu’aux îles, où la brise marine est un soulagement bienvenu. Les îles volcaniques sont pratiquement désertiques et dénudées, jaune et grise en couleur, la savane herbeuse brûlée est décolorée par le soleil. Ce qui n’est pas une surprise lorsque l’on comprend que les températures atteignent 40 °C dans la journée ! Darmin, notre guide indonésien, nous détaille notre premier site de plongée, Siaba Besar. Il se situe dans la partie nord du parc, au-dessus de Rinca et de Komodo, où se font les plongées. Quinze autres sites marquent la carte. La visibilité n’est pas terrible, avec des particules dans l’eau, mais le jardin corallien est impressionnant et la vie marine abondante. Bancs de fusiliers rayés, priacanthes rouges ou argentés selon leur humeur, gaterins à bandes obliques Plectorhinchus lineatus, poisson ange à masque jaune, Pomacanthus xanthometopon, ange à six bandes, nuées d’anthias.

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Avec délice on note une bonanza de tortues vertes peu farouches. L’une d’entre elles repose sur une table de corail en hauteur, et ne semble pas importunée par mon approche intimiste. Elle se laisse même tirer le portrait. Ce manque total de crainte de l’Homme est un phénomène rare. Assoupi sur le fond, un individu ne mesure pas moins d’1,5 m de long. Un banc d’unicornes bossus, Naso brachycentron, quoique timide de nature, représentera une autre rencontre agréable, ainsi que celle d’un labre dragon, Novacullichthys taeniourous, au travail sur un lit de corail brisé…

L’excellent guide indien Navneet, également instructeur aux îles Andaman, donne le briefing pour l’île de Mawan. Bien que réputé en tant que cleaning station, site de nettoyage pour raies mantas, nous n’en verrons pas une ! « Dimanche dernier, nous y avons croisé un requin-baleine ! », s’exclame un plongeur allemand. Quelle chance pour lui et espoir pour nous. Sous l’eau, le courant fait des va-et-vient déconcertants et nous ne verrons… rien. Bon, à l’exception de ce ravissant poisson anémone tomate, Amphiprion frenatus, papillonnant au-dessus de son anémone.

Loh Buaya et le dragon

Une boîte pique-nique sur le pont au soleil ou sous une bâche est la norme du jour, avant la plongée de l’après-midi. Cap sur Loh Buaya, au nord-ouest de l’île Rinca. C’est là que se trouve la station des rangers du Komodo National Park et votre unique chance de rencontrer les fameux dragons. J’y avais été avec un liveaboard en 2005 et avais conservé un piteux souvenir de l’expérience. En clair, vous débarquez sur un ponton en bois, puis suivez un chemin bétonné jusqu’à la station, où vous attend un ranger alias « le guide ». En début d’après-midi, la chaleur est intense et l’on apprécie immanquablement les 40 °C. Il en est de même pour six dragons de bonne taille qui somnolent à l’ombre des baraquements. Attendant passivement les visiteurs avec un œil froid et plutôt absent.

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Armé d’un long bâton fourchu, le guide du parc fait en sorte que vous ne vous approchiez pas trop, car il ne faut pas se fier aux apparences trompeuses du reptile. Enfin, vous êtes invité à suivre le guide pour une petite marche au sommet de la colline, avec une vue panoramique de la baie et des collines avoisinantes. Sous le cagnard exactement. Un aller-retour de 35 minutes où vous ne rencontrez aucun dragon, bien sûr. En bref, le parfait piège à touristes.

Flashback en 2005, où j’eus une rencontre authentique dans le sud de Rinca. Le bateau a mouillé l’ancre dans une crique déserte de Horseshoe Bay. L’après-midi touche à sa fin et la lumière dorée est fabuleuse. L’heure est idéale pour quelques photos du bugis pinisi depuis la plage, aussi je demande au capitaine la permission de descendre à terre. « OK mais pas sans un membre de l’équipage, pour la sécurité… » me répond-il. Je ne suis pas à terre depuis 5 minutes, qu’un dragon de 2,5 m sort des fourrés. Avec la démarche d’un chat à l’affût, la tête basse, et la langue bifide qui sort et rentre de sa gueule pour mieux me flairer, il s’approche à une distance de 40 m. Déroulant ses puissants avant-bras en les projetant en avant de droite et de gauche, c’est un spectacle fascinant et à la fois terrifiant. Soudain, il fait une pause à la distance de 20 m, alors que j’ai mis un genou à terre pour mieux le zoomer avec le téléobjectif. Stoïquement, il me toise du regard, d’un œil rouge, la tête sur le côté. Pendant un moment le monde semble se figer, comme sous l’effet d’un sortilège. Puis, sa curiosité satisfaite, il retourne dans les fourrés. Mémorable.

Au troisième jour, le plan est de plonger sur les sites du nord Komodo. « C’est ce qu’il y a de meilleur en termes de poissons et d’action ! », confirme Cinzia.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 289 Abonnez-vous

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