Komodo, la plongée au bord du monde

le 02/02/2013 publié dans le N°246 de Subaqua
N246_Komodo-plongee-au-bord-du-monde
Pierre Martin-Razi
par Pierre Martin-Razi

Pour le quidam, Komodo est une île perdue sur laquelle vivent les derniers dragons, ces grands varans endémiques de l’Est indonésien. Pour les plongeurs, c’est surtout un archipel qui borde Florès également accessible en bateau depuis Bali. Un archipel où règne une biodiversité qui fait le bonheur des plongeurs-naturalistes. Un reportage bercé par la houle légère de Pierre Martin-Razi. Photos de l’auteur.

Chargement de la carte...

Voici fort longtemps, bien avant Le Prieur et Cousteau, avant Scyllias et Cyana, quand le monde n’avait qu’un seul continent et pas le moindre petit plongeur, les dieux et les déesses se sont réunis dans leur petite Olympe personnelle afin de définir l’ordonnance nouvelle des continents et, accessoirement, provisionner les petits plaisirs offerts aux palmipèdes caoutchoutés à venir…

Une touchante attention qui, du reste, ne fait que confirmer la réalité : nous pratiquons une activité bénie des dieux ! Revenons à notre cénacle… La réunion du comité (dont vous avez noté la parité) avait commencé de bonne heure, juste après les premières agapes matinales parce que — franchement — la tâche était herculéenne.

Imaginez la saynète mythologique : deux trois colonnes, pampre, myrrhe, tuniques à fibules, formes callipyges et arguties sans fins. Rien de bien original. Vers le milieu de la matinée, comme il se doit, les trois quarts de nos divinités avaient lâché prise en ronflant du sommeil du juste. Normal : leurs nuits étaient longues et agitées comme chacun sait.

Colère du chef des dieux qui, pour réveiller l’assistance, frappe un grand coup-de-poing sur la pangée et l’éparpille en une kyrielle de morceaux plus ou moins gros. Une pluie d’îles et d’îlots tombe précisément là où vivent les dragons : ce sont les îles de la Sonde entre lesquelles se faufile avec peine et bonheur le Sea Safari VI qui m’emporte vers Komodo et ses fameux varans.

 

N246_Komodo-plongee-au-bord-du-monde_4-

Assis au bord de la hune d’artimon, je regarde de ciel se déchirer de pourpre. La lumière baisse très vite et l’arrière du bateau n’est plus qu’une silhouette noire et découpée dans un rideau cramoisi avalant le bord de la terre.

 Devant, dans le gris du bref crépuscule, la mer est clapoteuse, sorte de transhumance chaude et moelleuse sur laquelle balance notre pinisi, un ketch traditionnel des Sulawesi, les anciennes Célèbes.

Le bateau est grand (35 m de long et 9, 5 m de maître-bau), pépère, confortable, son bois et le bleu de ses voiles (roulées) chaleureux.

 

Nous avançons lentement dans le sourd ronronnement du diesel, freinés par le courant d’est. Des heures de navigation pleine de charme, avec pour horizon l’aventure, les plongées et les rencontres inestimables…

N246_Komodo-plongee-au-bord-du-monde_3

Le ciel est maintenant moucheté d’étoiles alors qu’un marin pique la cloche pour appeler au repas du soir. Nous devinons la masse noire et odorante de Lombok défilant lentement sur notre droite. Quelques lumières marquent les villages épars. Un feu rougeoie sur les hauteurs. On en devine les senteurs lourdes et suaves apportées par la brise du soir.

La main sur le bois du bastingage, je souris en descendant les marches qui mènent au vaste carré abritant la salle à manger : si mon explication de la dérive des continents, celle de la naissance des myriades d’îles volcaniques indonésiennes, toutes deux rêvées à l’ombre de la présence tutélaire du volcan balinais Agung, vous apparaissent fumeuses…

Et bien rappelez-vous qu’au décor près, pampre, myrrhe et courbes callipyges, elles sont enseignées telles quelles dans à peu près la moitié du monde. Un constat plutôt confondant qui m’incite à suggérer aux contempteurs du Darwinisme de s’initier à la plongée et à l’observation de la jungle sous-marine avec ses luttes perpétuelles et ses adaptations pour la survie. Mieux que tous les beaux discours, elles réfutent toutes les théories créationnistes rétrogrades…

Entre mer de Flores et océan Indien

Onze jours de plongées sont devant nous, une perspective réjouissante. Nous allons rebondir d’île en île pendant toutes ces journées au rythme régulier de deux ou trois plongées quotidiennes, la dernière parfois crépusculaire. Bali, Lombok, Sumbawa, Moyo, Sangeang, Banta, Komodo, Rinca… Le retour suivra le même chemin, ou presque.

Tout un périple qu’il serait bien dommage d’occulter en partant plus simplement de Florès, la grande île voisine de l’archipel de Komodo. Il y a une sorte d’accomplissement dans ces quelques jours de mer entrecoupés de plongées et d’excursions à terre. Comment le dire ? Cela rend l’archipel de Komodo plus lointain mais également plus réel…

Tout le monde se retrouve pour le dîner dans le vaste carré : la cuisine indonésienne n’a pas la finesse de sa voisine thaïe, elle est toutefois excellente et copieuse. Nous ne mourrons pas de faim, loin de là !

Nous sommes un groupe de quatorze plongeurs plutôt disparate à l’image de la plongée d’aujourd’hui, celle des spots indiqués sur Google Earth… Vieux briscards revenus de tout (ou presque…) et plus jeunes, crédités de quelques dizaines de plongées, qui devront parfois renoncer à certains sites…

En effet, s’il est excessif de qualifier la plongée dans ce coin du monde de difficile, il serait tout aussi illusoire de l’associer à la facilité de la plongée piscine. Selon les endroits, selon les heures, le courant lié à la marée peut y être fort.

Heureusement pour nous, le capitaine connaît le coin comme les replis de son sarong. Aidé de Greg, un des moniteurs-accompagnateurs de Safari Bali, il saura nous amener sur les sites aux heures les plus tranquilles… à une ou deux exceptions près, inévitables et finalement plutôt amusantes !

Comme plus à l’ouest, à Bali plusieurs fois évoqué dans ces pages, on peut grosso modo diviser la typologie des plongées en deux : au nord de l’archipel orienté le long du huitième parallèle sud, les eaux plus chaudes et peut-être plus calmes de la mer de Flores et au sud, celles plus fraîches et agitées de l’océan Indien, le tout largement influencé et modifié par l’inextricable dédale que représente l’archipel de Komodo avec son entrelacs de détroits…

Cependant, au nord comme au sud, les courants apportent leur lot de nutriments et avec eux des conditions idéales pour attirer la faune, petite et grosse. La présence de plancton et la turbidité qui l’accompagne ne nous ont cependant pas gênés pendant notre croisière pourtant effectuée à une date avancée en saison…

Une croisière qui va crescendo

Malgré les tombants parfois vertigineux, les plongées excédent rarement 25 m. Elles n’en ont pas besoin. L’éloignement et les délais de rapatriement vers la chambre de décompression à Bali incitent par ailleurs à la plus grande prudence.

N246_Komodo-plongee-au-bord-du-monde_1

En plongeant avec un ordinateur réglé sur ”air”, nous n’aurons ainsi qu’une seule fois à faire deux ou trois minutes de paliers obligatoires à 3 m. Et encore, le dernier jour, sur l’ultime plongée effectuée autour du Liberty, l’épave coulée devant Tulambem, au nord de Bali… À bord du Sea Safari VI, il est en outre possible d’effectuer ses plongées au nitrox. Une formation en début de croisière est envisageable pour les plongeurs intéressés et qui ne maîtriseraient pas cette technique simplissime.

La nuit a été bonne, le sommeil et nos rêves bleutés gentiment bercés par le bruit discret de la machine et le lent roulis du bateau. La climatisation, présente dans toutes les cabines n’a pas été nécessaire. Il fait bon, pas trop chaud en cette période de la fin septembre.

N246_Komodo-plongee-au-bord-du-monde_2

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 246 Abonnez-vous

Commentaires

Aucune commentaire actuellement

Écrire un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *