LE TRÈS DISCRET HENRI PAOLE

le 13/03/2020 publié dans le N°289 de Subaqua
PAOLE-UNE
Philippe Rousseau
par Philippe Rousseau

ous avons pris l’habitude d’évoquer le parcours parfois hors normes de certains d’entre nous uniquement lorsqu’ils nous ont quittés. Nous nous privons ainsi de la possibilité de faire mieux connaître ces personnes de leur vivant. C’est la raison pour laquelle je souhaite évoquer ici la carrière assez peu commune de mon vieil ami Henri Paole.
Par Philippe Rousseau.

PAOLE-1Des origines antillaises

Henri est né le 3 janvier 1941 sur l’île de Saint-Barthélemy aux Antilles. Ses deux parents étaient originaires de la Guadeloupe. Son père, Clément Paole, était métis et veuf avec deux enfants en bas âge (les demi-frère et demi-sœur d’Henri). Sa mère, Adrienne Rullier, était « blanc pays » et issue d’une famille bourgeoise. Tous deux travaillaient à la Trésorerie coloniale de Basse-Terre. À cette époque, la Guadeloupe faisait encore partie des colonies françaises et ce n’est qu’en 1948 qu’elle est devenue un département français d’outre-mer. La Trésorerie coloniale était à cette période l’administration fiscale aux Antilles. Le mariage de Clément et d’Adrienne, mariage mixte, est très mal perçu par une partie des deux familles. Ils décident donc de ne pas résider en Guadeloupe et demandent une mutation sur une autre île antillaise. C’est lors de leur affectation à Saint-Barthélemy qu’Henri va naître. Puis, ils seront ensuite mutés, à leur demande, sur l’île de Saint-Martin et ils accepteront enfin de nouvelles mutations en retournant en Guadeloupe à Pointe-Noire puis à Saint-Claude.

Dès l’âge de 7 ans, Henri se passionne pour la chasse sous-marine. Son père lui fabrique un lance flèches pour poissons et sa mère un masque sous-marin avec un morceau de chambre à air en caoutchouc. Il n’imagine pas encore que toute sa carrière sera par la suite consacrée à la plongée… En 1948, la cellule familiale est confrontée au changement de statut de l’île et à la disparition des Trésoreries coloniales. Ils décident de prendre des congés sans solde et viennent en métropole à Paris. L’administration fiscale prend finalement en compte la carrière de ces fonctionnaires déracinés. En 1951, Clément Paole est nommé percepteur dans la commune de Grisolles (Tarn-et-Garonne, entre Toulouse et Montauban). Compte tenu des changements de résidences incessants, Henri n’a pas pu être scolarisé normalement jusqu’à l’âge de 10 ans. C’est sa mère qui a pris en charge son éducation en lui enseignant les bases du savoir. Puis, après une année de préparation intense dans une classe de certificat d’études, il entre en classe de 6e à l’âge de 12 ans pour se conformer au système classique. Il est pensionnaire au lycée Ingres de Montauban. Il devient un sportif acharné : tennis, cross-country, athlétisme, plongeon, ski, karaté… Ses études le conduisent à obtenir un baccalauréat « maths élém » (baccalauréat scientifique). Puis, il enchaîne par trois années de préparation d’école d’ingénieur et enfin trois années à l’École nationale supérieure d’électrotechnique, d’électronique, d’informatique et d’hydraulique de Toulouse. Il y obtient son diplôme d’ingénieur en juin 1965.

La découverte de la plongée sous-marine

C’est durant sa période d’étudiant à Toulouse, en novembre 1962, qu’Henri va faire son baptême de plongée en scaphandre autonome à la piscine du Club sub-aquatique toulousain qui lui sera dispensé par notre futur ami commun André Védrines (longtemps plus tard directeur général de la FFESSM, aujourd’hui décédé). Henri se lance à fond dans la plongée en poursuivant sa formation technique et en enchaînant les qualifications sur l’île de Bendor avec Claude Arzillier et Jacky Burnier.

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PAOLE-3En septembre 1965 à Niolon, Henri Paole obtient coup sur coup le brevet national de moniteur de plongée en scaphandre autonome/FFESSM (qualification antérieure et équivalente à l’actuel MF 2) et le monitorat national n° 13/Jeunesse et Sports, venant tout juste d’être créé (qualification professionnelle antérieure et équivalente au BEES 2 ou au DES-JEPS). Durant l’hiver 1965/1966, Henri va enseigner comme moniteur de ski à l’UCPA.

Le début du parcours militaire

En avril 1966, Henri Paole s’engage dans la Marine nationale comme aspirant et intègre l’École des fusiliers marins de Lorient. Il est reçu au stage commando et au stage parachutiste à Pau, en septembre 1966. Ayant obtenu le « béret vert », il est ensuite affecté au Commando Jaubert. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962 la France avait négocié, suite aux accords d’Évian, le maintien pendant quinze ans d’une base navale à Mers-El-Kebir. Les militaires français n’y resteront effectivement que cinq ans. Henri est affecté avec le Commando Jaubert au Fort Santon, surplombant la base navale de Mers-El-Kebir pour sa protection, durant la dernière année de la présence française. À l’issue, en novembre 1967, Henri postule pour la formation très sélective de nageur de combat. Les autorités militaires lui font savoir qu’avec son diplôme d’ingénieur et avant sa future formation six mois plus tard, il serait assez judicieux d’aller faire un stage technique de plusieurs mois au sein de la société Fenzy(1) qui fabrique depuis quelques années pour la Marine nationale les appareils respiratoires de plongée DC 55 et Oxygers 57, entreprise essentiellement connue des plongeurs pour ses fameuses bouées-collerettes du même nom, fabriquées à partir de 1961.

La rencontre avec Éliane

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Éliane Tanet travaillait pour La Spirotechnique, rue Trébois à Levallois-Perret (92). De septembre 1965 à juin 1969, elle y a exercé les fonctions d’assistante de direction et de responsable de la documentation auprès de Raymond Deloire, directeur technique de la société et par ailleurs l’un des amis d’Henri. Éliane ayant un physique agréable, elle servait également de mannequin lors de photographies publicitaires pour le matériel de plongée. En décembre 1967, Henri rencontre Éliane lors d’un repas du bureau d’études de La Spirotechnique. C’est le coup de foudre. Mais leur relation posera ensuite quelques petits problèmes… Lorsqu’Henri deviendra le directeur technique de Fenzy, Éliane sera, quant à elle, toujours assistante de direction à La Spirotechnique. Elle passera involontairement pour une sorte de Mata Hari de la plongée, avant de démissionner et se marier avec Henri en décembre 1969.

La société FENZY

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Début janvier 1968, Henri est pris en stage technique au sein de la société Fenzy à Montreuil-sous-Bois (93). Maurice Fenzy, le P.-D.G., fut très clair avec lui : c’est un stage de six mois, sans contrat de travail, juste pour évaluer sa compatibilité éventuelle dans cette société de taille moyenne (environ une trentaine d’employés). Rapidement, Henri devient à lui seul le bureau d’études de la société. Il est le seul qui parle anglais lorsque des communications téléphoniques parviennent de l’étranger. Très rapidement, Henri va devenir un élément indispensable à la créativité et à la technicité de l’entreprise. En septembre 1969, Maurice Fenzy double son salaire et l’intéresse au chiffre d’affaires de la société pour le garder. Jusqu’en 1984, Henri sera le directeur technique et l’un des administrateurs de la société.

Durant cette période, il va successivement :

> moderniser la bouée-couronne Fenzy en développant de nouvelles versions ;

> améliorer les DC 55 et les Oxygers 57 (changer les matériaux : Hypalon-Néoprène pour les sacs respiratoires/faux-poumons, joints moins sensibles à l’oxygène, matériaux des tuyaux annelés, renforcer les points faibles : rivets, etc.) ;

> créer en un mois le recycleur à oxygène pur en circuit fermé P.O. 68 destiné à l’exportation pour les pays auxquels la France ne souhaitait pas voir vendre des Oxygers 57 ;

> développer le recycleur militaire Oxymix et ses différentes versions, notamment l’Oxymix 3C destiné aux pilotes de propulseurs sous-marins Vostok ;

> créer et fabriquer la demi-douzaine de types différents de MiniOxy

Vous n’avez jamais entendu évoquer les MiniOxy ? Cela n’a rien de surprenant. Un bon nombre de décennies s’étant écoulé depuis lors, il nous est maintenant possible d’évoquer sommairement ces petits appareils astucieux. L’idée de départ était de créer un recycleur à oxygène pur de bien plus petite taille que l’Oxygers 57, composé d’éléments pouvant tous se monter et se démonter à la main sans aucun outil, et dont chacun pouvait être aisément camouflé séparément dans la valise d’un « touriste lambda moyen » voyageant à l’étranger. Le sac respiratoire/faux poumon prenait la forme d’une bouée de plage ou d’un appui-tête gonflable. La petite bouteille haute pression d’oxygène pur était à l’intérieur d’une fausse bouteille de soda d’une marque très connue. La cartouche de chaux sodée était à l’intérieur d’une fausse boîte de conserve de petits pois. J’arrête là la description, car certaines idées ou astuces ont été reprises par la suite.

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En 1969, Henri travaille avec le pharmacien chimiste René Perrimond-Trouchet(2) (1916-1972) aux essais de lestage du plateau supérieur du Mixgers. En 1971, Henri met au point l’appareil respiratoire Fenzy Bat 1 pour le bathyscaphe Archimède puis pour le sous-marin Griffon, en cas d’incendie à bord. En 1974, il réalise une imposante étude sur les calculs des taux d’oxygène dans les différents appareils respiratoires à mélanges.

Avec le pharmacien chimiste Jean Parc (1935-1983), Henri va suivre la conception et fournir des pièces pour la fabrication du Doxgers dont un seul exemplaire prototype sera fabriqué en 1975, fonctionnant déjà avec des sensors polarographiques (comme l’ABDE 1 qu’il avait précédemment réalisé à Los Angeles avec la société Beckman, l’ElectroLung, le BioMarine, ou le Mark 5 de General Electric). Durant cette période, Henri suit de près les expériences de physiologie hyperbare du professeur Jacques Chouteau du CEMA (Centre d’études marines avancées du Commandant Jacques-Yves Cousteau) : les expériences « boucabloc » et « boucafond » pour la validation des tables de désaturation calculées par Jean Parc (Jacques Chouteau utilisait des boucs, alors que Jean Parc utilisait des cochons).

En 1976, Maurice Fenzy vend sa société à La Spirotechnique. Avec son expérience accumulée sur la conception et sur la fabrication des recycleurs militaires, Henri continue des études sur les recycleurs militaires et sur les appareils à gestion électronique de fuite proportionnelle. Avec son ami Jacques Ronjat, ils prennent un brevet qui servira de base pour les recycleurs des spéléonautes : le RP 2 000 (Ronjat-Paole) et le RI 2 000 (Ronjat-Isler) d’Olivier Isler.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 289 Abonnez-vous

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