ULTIMA Patagonia plongées souterraines aux confins du monde

le 07/10/2020 publié dans le N°291 de Subaqua
Expédition Ultima Patagonia 2019
Jean-Pierre Stefanato
par Jean-Pierre Stéfanato

Une expédition en Patagonie, c’est déjà une magnifique aventure en soi pour qui connaît la démesure des paysages. Aller plonger au fin fond de l’archipel de Madre De Dios entre Cordillère des Andes et océan Pacifique, au cœur d’un karst vieux de 300 millions d’années, c’est un peu comme une immersion aux origines du monde. Madre de Dios est un vestige d’anciens atolls jadis présents au cœur du Pacifique. De l’ambiance tropicale originelle, il ne reste rien si ce n’est le sentiment de côtoyer un environnement extrêmement préservé. Situé dans les 50es hurlants, juste au nord du détroit de Magellan à la latitude de la 3e plus grande calotte glaciaire de la planète, notre site d’exploration est exposé à tous les aléas météo possibles et imaginables. Partir dans ces contrées, c’est s’imprégner d’un milieu rude et hostile, la violence des vents, l’intensité des pluies (jusqu’à 10 m d’eau par an), l’éclatement des reliefs et la diversité des paysages en font une terre d’une sauvagerie sans nom. Tout y est encore intact ou presque, la plupart des lieux sont vierges et préservés et réservent à celui qui s’y aventure le sentiment d’être un explorateur au sens premier du terme. C’est bien, comme le nomme si bien Luis Sepulveda, le « monde du bout du monde ». Un récit de Jérémie Prieur-Drevon.

D’abord et avant tout une équipe

Expédition Ultima Patagonia 2019

L’association Centre Terre est composée d’une cinquantaine de membres regroupée autour d’une passion qui est l’exploration. Chacun paye son voyage et sa part pour la nourriture et les dépenses collectives. Initialement composée de scientifiques, elle regroupe aujourd’hui des personnes dont l’éclectisme des connaissances lui confère un spectre d’investigations extrêmement large. Forte de l’expérience d’une dizaine d’expéditions sur le terrain, l’association Centre Terre a pour vocation d’explorer les zones karstiques du globe où se trouvent des cavités et des rivières souterraines ainsi que leur cohorte de résurgences. Composée avant tout de spéléologues et de plongeurs, chacun y apporte ses compétences (mécanique, électricité, charpente, cuisine, photographie, vidéo, santé, informatique…) et surtout sa passion de la découverte. Les complémentarités permettent ainsi de servir un collectif sans lequel rien ne serait possible. Cette organisation repose également sur une logistique conséquente puisque ce sont 35 tonnes de matériel qui sont acheminées à chaque expédition (équipements de spéléologie, de plongée et autres équipements en tous genres, groupes électrogènes…), sans compter tous les matériaux locaux utilisés pour construire la base dans laquelle nous vivions.

Expédition Ultima Patagonia 2019

Découvrir et inventorier, découvrir et topographier ; l’enjeu de ces expéditions est avant tout de faire avancer la connaissance dans beaucoup de domaines. Une bonne partie des membres de l’expédition est, en effet, liée à la recherche scientifique, soit par leur profession ou leur implication dans des explorations du milieu souterrain de par le monde (géomorphologues, hydrogéologues, biologistes, archéologues…). Pour les plongeurs, tout est à faire, observer les reliefs sous-marins en même temps que faire des observations sur la faune et la flore, effectuer des prélèvements dans les sédiments lacustres, explorer les lacs glaciaires, rechercher les résurgences sous-marines et explorer les cours d’eau de surface pour en trouver les émergences.

Des plongées vraiment pas comme les autres

Les échanges avec les marins pêcheurs chiliens sont autant de moments de partage et d’information lors des transferts d’un secteur à l’autre. Au cours de ces rotations, dans les mouvements désordonnés du bateau, les odeurs mélangées de cuisine, de poissons, de gazole et celles du large dont le vent est porteur, s’ébauche une complicité bienveillante pour nos activités respectives. Les essuie-glaces à l’extérieur et les raclettes à l’intérieur pour enlever la condensation ne font que nous rappeler que rien ne reste sec longtemps et que le matériel de plongée, comme le reste, est soumis à rude épreuve. Il en va de même lorsque nous nous déplaçons avec nos C5 qui parfois se remplissent d’eau entre deux déferlantes scélérates, qui nous interdisent parfois simplement l’accès à nos débarcadères ou nos mises à l’eau. La complicité est donc un élément déterminant dans ces moments brefs où il faut prendre une décision rapide. D’autant qu’il faut ajouter à cela de longues marches dans la forêt primaire en se frayant un chemin à la machette pour atteindre l’entrée des cavités. L’isolement quasi permanent de l’équipe (plusieurs jours de bateaux ou plusieurs heures d’hélicoptère, quand les conditions le permettent, dans l’hypothèse d’une évacuation) est bien réel et ne nous fait pas oublier qu’il s’agit d’une expédition qui propose sa part d’aventure et d’engagement de bout en bout. Depuis la navigation dans les canaux jusqu’au moment d’établir les camps avancés ou d’effectuer des plongées, tout fait l’objet d’une reconnaissance et d’un travail d’anticipation matériel où la redondance s’exprime à tous les instants, et pas seulement sous l’eau. Le premier caisson hyperbare opérationnel est tout aussi éloigné et, de fait, les marges sécuritaires mises en œuvre s’ajoutent à la longue liste des précautions indispensables. Un des principaux objectifs du groupe de plongeurs est bien de faire de la « première » c’est-à-dire mettre les palmes où personne ne les a jamais mises.

Expédition Ultima Patagonia 2019

Chaque intrusion dans le milieu souterrain est l’occasion de découvrir d’éventuelles traces des premiers habitants de la région, les Kaweskars. Véritables nomades des mers, ces peuples premiers parcouraient les canaux sur de petites embarcations à bord desquelles ils vivaient en quasi-permanence.

Les découvertes fortuites d’ossements ou de foyers et de débris coquilliers témoignent de manière poignante de la présence temporaire de ces chasseurs-cueilleurs dont il ne subsiste aujourd’hui qu’une toute petite communauté sédentarisée. Rares sont les peintures pariétales découvertes à ce jour, mais presque chaque site peut être le lieu d’une découverte, il faut donc avoir une attention de tous les instants.

Rencontre avec la faune sauvage

Cette région de Patagonie offre un environnement très préservé et même si les pêcheurs s’aventurent presque partout en quête de Centolla (araignées géantes), d’algues ou d’oursins, on y croise bien peu de monde. Très souvent, les dauphins (Lagenorhynchus australis) viennent à notre rencontre contrairement aux lions de mer qui nous évitent autant que possible.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 291 Abonnez-vous

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