Un nouveau rôle écologique attribué aux baleines

le 03/03/2022 publié dans le N°301 de Subaqua
© Gilles Di Raimondo
Stephan Jacquet
par Stephan Jacquet

Les baleines à fanons influencent les écosystèmes grâce à une consommation immense de proies et au recyclage des nutriments, en particulier le fer. Évaluer avec précision l’ampleur de leur rôle actuel ou historique dans les écosystèmes sans mesurer les taux d’alimentation et les proies consommées reste compliqué. À ce jour, la consommation de proies des plus grandes espèces a été estimée à l’aide de modèles métaboliques basés sur des extrapolations qui manquaient de validation empirique. Matthew Savoca et ses collègues ont relevé le défi et montré que les baleines mangeraient jusqu’à trois fois plus de proies que ce que l’on croyait auparavant et que leur consommation et leur rejet de matière impactent le fonctionnement des écosystèmes dans leur ensemble.

Ce que l’on doit retenir de cette étude, qui a étudié de manière très précise le régime alimentaire des baleines et qui a duré près de 11 ans, est assez simple. Plus il y a de baleines (dit autrement, moins on en tue), plus elles rendent service au bon fonctionnement des écosystèmes. Que faut-il comprendre ? Les baleines à fanons ou mysticètes sont les plus gros animaux connus aujourd’hui et se nourrissent par filtration de grands volumes d’eau de mer à partir de proies ne mesurant au mieux que quelques centimètres de long. La demande en nourriture de ces animaux est gigantesque, de l’ordre de plusieurs centaines de millions de tonnes de plancton et autres petits poissons par an. Pour donner un chiffre, une seule baleine bleue dans le Pacifique nord mange 10 à 20 tonnes de krill par jour (les estimations précédentes donnaient un chiffre de 4 à 6 tonnes), un poids largement supérieur à un éléphant d’Afrique

/// DES ESTIMATIONS FIABLES

Pour arriver à cette conclusion, les auteurs ont étudié 321 individus, utilisé un panel de méthodes, en suivant le mouvement de baleines marquées et équipées de capteurs, en utilisant des méthodes acoustiques et des drones, en mesurant la densité des proies si bien qu’ils ont pu obtenir des estimations assez fiables du comportement alimentaire des baleines et de leurs taux de consommation. Avant cette étude, les chiffres étaient issus de projections et/ou de contenus stomacaux de cétacés échoués, qui se sont donc révélés fortement sous-estimer la réalité des faits.

L’étude de Savoca et de ses collègues, portant sur 7 espèces différentes (e.g. la moitié des espèces connues et qui sont les principales représentantes du groupe) catégorisées en deux groupes alimentaires (les mangeurs exclusifs de krill vs les autres qui mangent aussi des petits poissons), révèle que cette consommation serait donc en fait trois fois supérieure à ce que l’on imaginait. Rien que pour l’océan Austral antarctique, la consommation de krill (Euphausia superba) s’élèverait à 430 millions de tonnes par an, contribuant aussi à recycler une grande quantité de matière organique et dissoute. Les baleines contribueraient à une plus grande productivité dans de vastes régions marines via le recyclage des éléments nutritifs comme le fer, une quantité estimée rien que pour l’océan Austral à 12 000 tonnes de fer par an.

Un fait particulièrement intéressant est que cette étude montre que le déclin des baleines, suite à leur chasse intensive par le passé*, s’est aussi traduit par une baisse significative du krill. Normalement quand un prédateur décline, la ou les proies ont tendance à augmenter. Observer l’inverse est donc rare et a pu être expliqué dans ce cas. En fait, les baleines qui se nourrissent de krill éjectent dans leur urine et fèces une grande quantité de matière organique et dissoute parmi lesquelles le fer qui est un facteur limitant la croissance du phytoplancton dans les eaux polaires. Dit autrement, plus il y a de baleines, plus il y a de déchets produits, plus il y a de fer, plus il y a de phytoplancton (en particulier des diatomées). Ce dernier va nourrir le zooplancton et le krill qui, à son tour, va nourrir les baleines. Aujourd’hui, la biomasse du krill ne représente qu’une petite proportion de ce qu’il fut jadis, typiquement à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Ce qui était un écosystème riche en diatomées dans les années 1930 est depuis quelques décennies beaucoup plus pauvre notamment en raison de cette limitation par le fer.

/// LES BALEINES, DES INGÉNIEURES ?

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 301 Abonnez-vous

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