DELPHINE THIBAULT : MISS MÉDUSE !

Henri Eskenazi
Publié le 8 avr. 2015
Aussi fascinants que parfois repoussants, les organismes gélatineux constituent un maillon essentiel de la vie marine. Leurs utilisations dans notre vie quotidienne qu’elles soient culinaires ou pharmaceutiques méritent que l’on y prête attention. C’est précisément le quotidien de Delphine Thibault, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille et l’une des spécialistes incontestée des méduses. Propos recueillis par Henri Eskenazi. Photos de l’auteur.
Subaqua Comment devient-on spécialiste des méduses ?
Delphine Thibault

Après une licence de Biologie des populations, puis une maîtrise d’océanographie biologique à l’université de Bretagne occidentale (Brest), j’ai suivi un DEA en océanographie biologique, au Centre d’océanologie de Marseille. J’avais une préférence pour les mathématiques et la physique mais après un stage au Sénégal sur l’étude des structures physiques dans le golfe de Guinée, j’ai finalement découvert le monde du plancton marin durant ma thèse (1994). À l’époque, comme beaucoup de collègues, notre centre d’intérêt était surtout sur les petits crustacés planctoniques dont le rôle dans le cycle du carbone semblait central. Les organismes gélatineux n’étaient, trop souvent, pas ou peu étudiés lors des projets nationaux ou internationaux. Après un passage par le Canada et l’étude du plancton arctique, des recherches dans le Pacifique Nord m’ont amenée à regarder différemment le plancton gélatineux. Afin de mieux connaître ces organismes, j’ai été invitée à les étudier en Afrique du Sud. Puis à Hawaï où j’ai étudié les espèces des îles hawaïennes et du Pacifique Nord Est. En 2004, 10 ans après en être partie, j’ai réintégré l’Université Aix Marseille et le centre d’Océanographie de Marseille où je suis actuellement maître de conférences.

Subaqua Le sujet est vaste !
Delphine Thibault

Oui ! Mes activités sont axées vers une meilleure connaissance et une compréhension accrue du rôle des organismes gélatineux dans le fonctionnement des écosystèmes marins : classification, description d’espèces, suivi d’espèces invasives, distributions spatio-temporelles des différents groupes taxonomiques, études du métabolisme et de la reproduction des méduses et des cténaires, relations hommes/gélatineux. Mes terrains de jeux sont aussi bien en Méditerranée (golfe du Lion, étang de Berre), que dans des régions tropicales (Caraïbes françaises, canal du Mozambique) ou arctiques. Les problématiques liées à ces organismes étant mondiales, la liste s’agrandit régulièrement.

Subaqua Pourquoi plus précisément les méduses ?
Delphine Thibault

En fait sous le terme de méduses, est souvent regroupé un grand nombre d’organismes morphologiquement distincts et jouant des rôles très différents dans le fonctionnement des écosystèmes marins. Je préfère utiliser le terme de plancton gélatineux. Tous ces organismes ont en commun d’être au moins composé à 90 % d’eau, d’avoir des capacités d’ingestion, de croissance et de reproduction parmi les plus fortes dans le règne animal. Ils font partie du plancton, ils ont donc une mobilité réduite et sont transportés par les courants marins.

Deux grands groupes d’organismes peuvent être identifiés : les prédateurs carnivores et les filtreurs. Les prédateurs regroupent les méduses (hydrozoaires, scyphozoaires et cubozoaires) et les cténaires, alors que les filtreurs gélatineux sont tous des tuniciers pélagiques holoplanctoniques (salpes, dolioles, pyrosomes et appendiculaires).

Les méduses regroupent actuellement plus de 3 000 espèces, presque toutes marines, mais une vingtaine d’espèces sont retrouvées dans des lacs d’eau douce. La taille des méduses varie de quelques dixièmes de millimètres à plusieurs mètres de diamètre. L’animal marin le plus grand serait en réalité un siphonophore Praya dubia (cnidaire, hydrozoaire) et mesurerait 40 m de long !

Subaqua Rien ne semble simple dans le monde étrange des méduses…

Delphine Thibault Les méduses présentent en effet généralement un cycle de vie complexe méroplanctonique, alternant des formes adultes sexuées et des formes fixées (polypes) se reproduisant asexuellement. Certaines abritent, comme leurs cousins les coraux, des symbiontes dans leurs tissus et doivent se maintenir proches de la surface pendant la journée pour leur permettre de réaliser la photosynthèse, d’autres suivent un cycle nycthéméral migrant au contraire jusqu’à plusieurs centaines de mètres le jour pour remonter en surface la nuit (Pelagia noctiluca passe la journée à 300-400 m de fond et remonte à la surface la nuit). Environ 150 espèces de cténaires ont été actuellement identifiées, tous exclusivement marins, hermaphrodites et caractérisés par 8 rangées de cils locomoteurs. Ce sont les plus grands organismes marins à utiliser des cils pour leur déplacement. Les gélatineux prédateurs possèdent tous des cellules spécialisées dans la capture et l’immobilisation des proies, ce qui leur permet de pallier la lenteur de leur déplacement.

Illustration d'un ordinateur de plongée
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