Alors que nous bouclons ces lignes, Why, le voilier d’Under The Pole trace sa route vers l’archipel d’Hawaï. La goélette d’aluminium mettra ensuite le cap sur la Polynésie française qu’elle devrait atteindre en juillet pour y effectuer plusieurs missions scientifiques sous-marines. Juste avant que ne débute ce périple tropical, Subaqua a interviewé Ghislain Bardout, l’initiateur et directeur des expéditions Under The Pole lors de l’escale technique programmée de Sitka, en Alaska. Celle-ci marquait le terme du premier tiers de cette navigation d’exploration, troisième expédition Under the Pôle, baptisée Twilight Zone. Elle devrait s’achever en 2020. Propos recueillis par Pierre Martin-Razi. Photos Under the Pole.
Subaqua Comment avez-vous découvert l’univers de la plongée ?
> Ghislain Bardout Ma toute première expérience remonte à l’année de mes sept ans lors d’un stage multi-activité en Île-de-France durant lequel j’ai fait un baptême en piscine. Il y a eu un déclic ! À 15 ans, j’ai passé mon N1 dans le cadre de Jeunesse et Marine, sur l’île de Groix et là, cela a été le début d’une passion dévorante ! Comme une clé que j’aurai trouvée… À 18 ans j’ai passé mon N4 et j’ai enchaîné sur le MF1 puis le MF2 que j’ai préparés au CIP des Glénan. J’ai également passé un brevet d’État, ce qui m’a permis d’enseigner pendant les vacances d’été au cours de mes études d’ingénieur… Très vite, j’ai été intéressé par le recycleur et j’ai suivi les cursus de validation sur différentes machines dans le cadre de TDI.
Subaqua Comment en arrive-t-on aux expéditions Under The Pole ?
> Ghislain Bardout Ça ne se calcule pas ! En tout cas pas au début. Il y a la passion pour la plongée, la passion pour l’explo. Le souvenir des films de Cousteau que je regardais enfant. On rêve. On sait que tout ne se réalisera pas mais on rêve quand même… Et puis il y a les rencontres, les opportunités que l’on a la chance de saisir. J’ai rencontré Emmanuelle en 2005 aux Glénan alors qu’elle rentrait de Clipperton où elle avait assisté Jean-Louis Étienne sur tout le côté marin de l’expédition. Elle venait se former à la plongée et moi j’étais moniteur pendant mes vacances… Un clin d’œil du destin ! Elle m’a présenté Jean-Louis et nous avons effectué notre première expédition de plongée polaire avec lui en 2007. J’ai découvert un univers au potentiel extraordinaire. Des paysages, des images, un spectacle fascinant, un monde presque inconnu…
Subaqua Qui vous a conduits à poser les bases de la première expédition Under The Pole en 2010 ?
> Ghislain Bardout Oui ! En plongeurs, nous voulions montrer l’univers sous-marin de la banquise. Nous étions huit équipiers et nous nous sommes fait déposer à 65 km du pôle. De là, à ski et en tirant nos traîneaux, nous avons progressé jusqu’à 89 degrés de latitude. En 45 jours, nous avons effectué 52 plongées dans des conditions assez compliquées, il faut bien le reconnaître…
Subaqua Avec des recycleurs ?
> Ghislain Bardout Oh non ! Dans un contexte de camping polaire assez extrême, l’utilisation du recycleur est tout simplement impossible. Le problème est en surface. Il fait trop froid et dégeler un recycleur est beaucoup plus compliqué que dégeler un détendeur… Alors pour cette première expé, nous avions des scaphandres ouverts. Nous avons été contraints d’écourter la mission mais, malgré tout, nous avons pu mener à bien deux programmes d’études. Un sur le sommeil et les activités physiques en milieu extrême, l’autre sur les épaisseurs de neige et de glace mesurées au cours de notre périple. Cela nous a permis de constater de visu les effets du réchauffement climatique. Les images rapportées, un 52 minutes pour Thalassa et la National Geographic Society et plusieurs passages au JT de France 2 ont eu un remarquable impact. Cette première expédition a été un tremplin…
Subaqua D’où l’idée d’enchaîner avec un bateau ?
> Ghislain Bardout L’exploration sous-marine est au cœur de notre aventure, nous devions vraiment utiliser le recycleur parce que c’est l’outil idéal, incontournable pour plonger partout et à des profondeurs que le scaphandre classique interdit. Fort de notre première expérience polaire, nous avions conscience de la nécessité d’une base technique qui serait aussi une base vie et un moyen d’accès… Ça s’appelle un bateau !
Subaqua Et vous avez trouvé Why !
> Ghislain Bardout Nous l’avons trouvé stocké sur un terre-plein à Pornic. En fait, Why était un vieux bateau… neuf ! Il n’avait jamais été mis à l’eau et attendait depuis des années. Nous avons effectué des travaux d’aménagement et nous étions prêts pour Under The Pole II !
Subaqua C’est un voilier d’expédition polaire ?
> Ghislain Bardout Non, il n’avait pas été dessiné pour cela. C’est une goélette de 19,5 m avec une carène de dériveur intégral. Son architecte, Jean-Pierre Brouns, que nous avons consulté au moment de l’achat, nous a confirmé qu’il n’était pas fait pour être soulevé par les glaces mais que sa construction était solide… À l’usage, nous avons constaté que nous avions fait un bon choix. Son plan de voilure fractionné facilite les manœuvres et ses capacités de charge nous assurent deux mois d’autonomie avec douze équipiers à bord.
Subaqua Under The Pole II s’inscrit dans la continuité de votre première expédition ?
> Ghislain Bardout D’une certaine manière, oui comme elle présage de celle que nous vivons aujourd’hui. Nous sommes partis au Groenland et le voyage a duré 21 mois. Grâce aux recycleurs, nous avons pu atteindre 112 m sous la banquise, ce qui constituait une première mondiale. Nous avons également pu observer le requin du Groenland, encore méconnu et réaliser deux 52 minutes ainsi qu’une série TV de 13 épisodes de 10 minutes. Cette expédition était placée sous le haut ministère de l’Éducation nationale…
SubaquaWhy est une base technique qui accueille des équipiers, scientifiques, plongeurs, techniciens, pour des durées variables mais c’est aussi votre maison familiale pendant de longs mois. Comment se passe cette cohabitation pas forcément évidente ?
> Ghislain Bardout Emmanuelle et moi avons fait le choix très clair de travailler ensemble et en famille. Ce ne serait pas possible autrement car les expéditions à bord d’un voilier sont par nature de longue durée. Il y a la phase de préparation et de recherche de financement qui prend deux à trois ans, l’expédition proprement dite de trente-six mois puis le post-traitement. Si l’on veut avoir une vie de famille, il nous faut être ensemble. Voilà pourquoi nous embarquons tous les quatre, Emmanuelle, Robin qui a 6 ans et nous accompagnait déjà sur UTP II, Tom, âgé de 22 mois sans oublier Kayak, notre husky, qui est un membre à part entière de la famille comme de l’équipage.
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Avant son départ, en solitaire, pour une marche dans l’immensité blanche que constitue le passage du Nord-Ouest, Alban Michon s’est confié à Subaqua. Ses buts? Vivre l’aventure, partir à la rencontre de lui-même. Rapporter de belles images, faire avancer la science, donner envie et aller au bout de ses rêves… Propos recueillis par Caroline Celli. Photos andyparant.com
Subaqua Tu t’es levé un jour en te disant je veux devenir explorateur ?
> Alban Michon J’ai commencé la plongée à 11 ans. Vers 14-15 ans, pendant mes cours de mécanique, j’ai écrit que je voulais être moniteur de plongée, je voulais faire des films, vivre des aventures… Comme je suis persévérant, j’ai décidé que j’allais être réalisateur de ma vie et faire ce que j’avais envie de faire. Je suis donc devenu moniteur de plongée et, un jour, après des années d’encadrement en souterraine et plongée sous la glace, je me suis dit : maintenant, il va falloir que je parte à l’aventure. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré l’équipe de Jean-Louis Étienne. Nous sommes partis à l’aventure sur la première expédition Under the Pole, au Pôle Nord en 2010. Avec le temps, il a fallu que je donne un nom à ce que je faisais. J’avais le choix entre aventurier et explorateur. Un explorateur est là pour explorer, découvrir, il a une mission. Un aventurier c’est plutôt pour faire des exploits sportifs.
Subaqua Pourquoi cette nouvelle expédition en Arctique ?
> Alban Michon Il y a deux gros objectifs. Je ne pars pas à l’aventure pour partir à l’aventure et me mettre en avant. Je ne suis pas comme ça. Pour moi il y a quelque chose à un moment qui m’attire et où je me dis là ça va être intéressant. Je veux raconter une belle histoire, pour faire rêver les gens, pour leur montrer ce qui est beau, leur donner envie de le préserver, leur dire que le monde n’est pas totalement pourri et qu’il y a encore des choses à faire, que l’on ne va pas tous mourir demain. C’est un projet qui me tient à cœur car je n’aime pas la communication alarmiste et culpabilisante. Je crois que si nous allons tous ensemble dans le même sens nous pouvons arriver à faire quelque chose de bien. Mais il faut du temps, donc je pars à l’aventure pour réaliser un film, faire un livre, rapporter de quoi parler du changement climatique, notamment dans le monde de la glace. Et après j’ai trois programmes scientifiques. Parce qu’explorateur, c’est un vrai métier. Je sers la cause scientifique et connaître mieux le monde, c’est forcément mieux le préserver.
Subaqua Qu’est-ce qui t’attire dans ce monde polaire ?
> Alban Michon Je n’aime pas avoir froid. Mais dans la vie ce n’est pas parce que les choses semblent difficiles, voire peuvent paraître impossibles, qu’il ne faut pas les faire. Ce qui m’intéresse c’est l’ambiance du monde polaire. C’est le seul endroit où je trouve des choses de dingues, des lumières rencontrées nulle part ailleurs. Écouter le vrai silence, être seul au monde. Quand je fais des carottages en Antarctique, la glace raconte une histoire. Celle du climat des années passées. Elle joue aussi sur le climat du futur, sur l’ensemble de la planète. Je vais à la base du climat à chaque fois. C’est pour ça que ces expéditions servent à la communauté scientifique et à l’environnement.
Subaqua Concrètement comment fais-tu pour lutter contre le froid et survivre au quotidien ?
Alors que nous envoyons Subaqua à l’imprimerie, Alban est toujours en route. Son départ de Kugluktuk, au bord de l’océan Arctique, prévu le 5 mars a été retardé au 13. Il poursuit donc son aventure vers l’ouest, freiné par les rudes conditions climatiques avec des températures pouvant atteindre - 55 °C, une banquise chaotique et des vents parfois si violents qu’il ne peut sortir de sa tente de toute la journée. Malgré quelques problèmes matériels, notamment de batteries qui ne tiennent plus la charge et l’empêchent de communiquer normalement, des soucis de duvet et de veste polaire, Alban conserve un moral d’acier soutenu par un humour qui ne le quitte pas. Le 3 avril, nous avons appris que les conditions s’améliorant, il a repris sa progression après avoir trouvé des solutions à ses problèmes techniques. Plus que quiconque, Alban applique à la lettre le mot de Goethe à Eckermann : « Le but, c’est le chemin ! ». Respect. P. M.-R.
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Partie en mai 2016 à travers l’océan Pacifique, la goélette Tara est à mi-parcours de son expédition dédiée aux récifs coralliens. Elle a déjà visité 15 pays et parcouru près de 50 000 km d’est en ouest. Cette mission d’envergure entreprise par la Fondation Tara Expéditions a permis de prélever à ce jour près de 15 000 échantillons en plus de 2000 plongées. Leur analyse, qui vient de débuter, va permettre de mieux connaître la biodiversité des récifs coralliens, leur état de santé et leur capacité d’adaptation aux changements climatiques et environnementaux. Les scientifiques de la mission ont également pu constater un blanchissement massif des coraux sur l’ensemble du Pacifique : si quelques sites étaient indemnes comme aux îles de Wallis et Futuna, ailleurs, la couverture corallienne a été affectée à hauteur de 30 à 90 %. Tara Pacific est soutenue par le CNRS, le CEA, le CSM, l’université Paris Sciences & Lettres et de nombreux autres partenaires publics et privés. Un communiqué de Tara expéditions. Photos : Pete West - Bioquest Studios, Lauric Thiault, Pierre de Parscau - Tara Expeditions Foundation
Partie en mai 2016 de Lorient, la goélette Tara a parcouru la moitié des 100 000 km que compte l’expédition Tara Pacific 2016-2018. Parcourant l’océan Pacifique d’est en ouest durant la première année de cette campagne, Tara a permis de rejoindre les récifs coralliens les plus isolés du Sud Pacifique et de prélever près de 15 000 échantillons sur les 35 000 destinés à mieux comprendre la biodiversité corallienne face aux changements environnementaux.
Des épisodes de blanchissement des coraux ont été observés à Ducie Island, à l’ouest de l’île de Pâques en novembre 2016 puis à Moorea – Polynésie Française – le mois suivant. L’équipage de Tara a pu observer les premiers récifs fortement impactés par le réchauffement climatique. Alors que la mission se concentre essentiellement sur les réponses biologiques du corail aux bouleversements environnementaux, l’équipage a pu établir plusieurs observations :
> En Polynésie, le blanchissement a atteint 30 à 50 % dans certaines îles des Tuamotu.
> Sur certains sites, c’est près de 70 % de la couverture corallienne qui était affectée par le blanchissement au passage de la goélette comme aux îles Pitchera.
> Aux Îles Samoa, le blanchissement avait atteint 90 % et donné lieu à la mort des colonies coralliennes.
> En Micronésie, aux îles Tuvalu et Kiribati, une partie des récifs étaient déjà morts avant l’arrivée de Tara.
> Les récifs de Wallis et Futuna ont, quant à eux, été relativement préservés.
> Au nord du Pacifique, dans des eaux pourtant plus tempérées, les récifs n’ont pas non plus échappé au blanchissement : il atteint 70 % à Okinawa, au Japon.
Dans les zones très peu peuplées et très peu polluées comme la Polynésie, seule la hausse de température a pu induire une telle dégradation des coraux. « Plus l’augmentation de la température dépasse les normales attendues, et plus les durées d’exposition à ces fortes températures de l’eau sont longues, plus le blanchissement est fort », indique Serge Planes, chercheur au CNRS et directeur scientifique de la mission.
La combinaison de ces deux facteurs entraîne en effet la rupture de la symbiose entre l’algue et l’animal, donc la mort du polype si le réchauffement perdure au-delà de trois semaines. Selon Serge Planes : « On ne peut plus aujourd’hui parler d’épisodes ponctuels ou cycliques de hausse de températures, comme le phénomène climatique El Niño. Aujourd’hui, nous sommes en présence d’un réchauffement global de l’océan auquel s’ajoutent des périodes estivales très chaudes, de moins en moins espacées d’année en année. » Pour Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara Expéditions, c’est la preuve que « limiter le réchauffement à deux degrés comme acté dans l’accord de Paris est bien loin d’être suffisant pour les écosystèmes marins ».
« Ce que nous serons en mesure de dire avec les données originales de Tara Pacific, c’est quels sont les facteurs qui favorisent ou non la résistance des espèces coralliennes », explique Denis Allemand, directeur du Centre scientifique de Monaco et codirecteur scientifique de l’expédition.