Le naufrage du John Higginson

Pierre Pierre Larue
Publié le 27 sept. 2014
Nous sommes en 1882. La Nouvelle-Calédonie est rattachée à la France depuis 29 ans. Nouméa, petite bourgade coloniale de 8 000 âmes est, grâce à ses rades naturelles, le havre d’arrivée ou de départ obligé de tout trafic maritime dans cette région du Pacifique Sud. La quasi-absence en brousse d’un réseau routier donne toute son importance aux communications maritimes. Des petites unités sillonnent régulièrement le lagon autour de la Grande Terre, accostant aux embouchures des rivières, points de rendez-vous des colons, fonctionnaires et autochtones. Ces bateaux baptisés « Tour de Côtes », en fait un service subventionné et organisé, jouent un rôle majeur dans le désenclavement des populations et le développement économique de l’archipel. L’un d’eux a été retrouvé en baie de Kouakoué…

DERNIER VOYAGE DU JOHN HIGGINSON

19 décembre 1882, 16 heures : la goélette à vapeur John Higginson, premier « Tour de Côte » en service depuis un an en Nouvelle-Calédonie, appareille de Nouméa à destination du centre minier de Thio, sa première escale. Vingt et un hommes composent l’équipage. Sept passagers s’installent pour ce voyage. Le chargement réparti dans les cales se compose de 25 tonnes de charbon, 3 tonnes d’ignames et 3 tonnes de denrées ou objets divers pour les festivités de fin d’année.

Ernest Marie Le Pommellec, le capitaine, est souffrant. Il confie au subrécargue George Martin la manœuvre du navire.

Après avoir contourné le sud de la Grande-Terre par la passe de la Havannah de nuit, le second décide, vers 2 h 30, de sortir du lagon. La nuit n’étant pas assez claire pour une navigation lagonaire, il choisit la passe sud du Solitaire pour rejoindre la haute mer. Un îlot de sable situé entre les deux passes sert de repaire. Toutefois, il n’arrive pas à situer avec précision le bord de l’accore Est du récif.

À 2 h 45 un choc ébranle le navire. Le capitaine se rue immédiatement sur le pont et ordonne : « arrière toute ! ». La coque gémit, le bateau se dégage aussitôt et Le Pommellec tente un second passage. Le bateau talonne à nouveau, plus violemment. Une voie d’eau se déclare dans la salle des machines. Les mécaniciens, après avoir donné l’alerte, tentent en vain de colmater la brèche et d’étaler la voie d’eau avec les pompes du bord.

Le rivage se trouve à 8 milles de la passe. Le capitaine fait aussitôt gouverner sur la terre pour tenter de sauver son navire en l’échouant. La chance n’est pas au rendez-vous puisque cette nuit-là, le calme plat ne permet pas d’utiliser les voiles gréées sur les deux mâts. Progressivement, l’eau noie la chaudière et le martèlement sourd des bielles s’arrête. Vers 4 h 15, les feux s’éteignent. Le navire, alourdi par l’eau arrivée au niveau du pont, devient instable.

Le capitaine s’empare des documents du bord et ordonne d’abandonner le navire. Chacun prend quelques effets personnels et s’installe dans une chaloupe. Dans un dernier espoir les marins tentent, sans succès, de prendre en remorque le vapeur agonisant à la rame. Le 20 décembre à 8 heures du matin le navire coule. Les naufragés, tous sains et saufs, rament vers Thio en longeant le rivage.

LA DÉCOUVERTE DE L’ÉPAVE

L’épave du John Higginson repose quelque part au fond de la baie de Kouakoué, entre les villages de Yaté et Thio. Cette région se nomme La Côte oubliée. Elle est totalement isolée et inhabitée, encore aujourd’hui.

En 1986, Raymond Proner, fondateur et président de l’association Fortunes de mer calédoniennes (FMC), prend connaissance d’un courrier expédié de Paris par Mme Donna Evelth, rémunérée par nous pour compiler les archives de l’hexagone et nous faire parvenir les documents concernant toutes fortunes de mer en Nouvelle-Calédonie.

C’est ainsi qu’il apprend, par le rapport n° 706 de la Commission des naufrages du 28 mai 1883, classé à la Bibliothèque nationale, que : «… le John Higginson coula vers 8 heures du matin à 200 mètres de la terre et à un mille et demi du Porc-épic de Koua-Kué… »

En mars 1987, à l’occasion d’une Surmar (Surveillance maritime), l’aviso Commandant Blaison de la Royale, dépose à Kouakoué 9 plongeurs et leur matériel : deux pneumatiques, du carburant et des vivres pour 4 jours, des équipements de plongée ainsi qu’un magnétomètre à protons de la dernière génération. 

Ce fabuleux outil de détection se compose d’un enregistreur à bande, relié à une lourde torpille (le poisson), tractée à extrémité d’un solide câble coaxial souple. Le champ magnétique enregistré se manifeste par des amplitudes sur le graphique, proportionnelles à la masse et à la proximité d’une cible ferreuse. 

Pendant trois jours le périmètre de recherche, matérialisé par une balise tous les 100 mètres, est minutieusement investigué sans succès.

Jean-Pierre Thomas notre toubib se souvient : « L’aviso fait route pour nous récupérer. Nous consommons les dernières gouttes de carburant. Nous pensons tous, que nos chances de retrouver l’épave sont infimes. Nous abandonnons le quadrillage systématique pour tenter un ultime passage au centre de la zone de recherche indiquée par le capitaine Le Pommellec. Bingo! Le stylet s’anime en imprimant sur le papier déroulant un graphique du plus bel effet. Cette signature ne laisse aucun doute, le John Higginson nous attend, couché sur bâbord par 22 mètres de profondeur, peuplé d’un cortège de poissons et décoré de gorgones rouges comme un emballage cadeau. »

Illustration d'un ordinateur de plongée
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Illustration d'un mérou brunIllustration d'un rocher