La commission départementale d’archéologie fédérale de l’Oise (CDA60) organise chaque automne l’étude d’épaves contemporaines, à Dieppe. Après six ans consacrés au train-ferry HMS Daffodil, ex TF3, bien connu des plongeurs locaux, et sans doute la plus belle épave du secteur, l’équipe s’intéresse aux vestiges du Raid de Dieppe, opération Jubilee, du 19 août 1942.
À l’aube du 19 août 1942, 270 navires de toutes tailles se présentent devant les côtes de Dieppe. Ils ont quitté les ports de Southampton, Porthsmouth, Newhaven et Soreham la veille au soir, et traversé la Manche pendant la nuit. Répartis en sept groupes, ils se déploient sur environ dix-huit kilomètres. Il s’agit de débarquer à l’aube, en cinq points, des régiments d’infanterie, en majorité canadiens, et du matériel, principalement des chars, sur les plages de Dieppe et les villages qui entourent la ville, neutraliser et prendre possession des batteries la protégeant, et de repartir avec des documents en tout début d’après-midi. Les soldats seront protégés par huit destroyers de classe Hunt, et plus de huit cent cinquante avions, ce qui fera de cette journée la plus grande bataille aérienne de toute la Seconde Guerre mondiale.
Mais rien ne se passe comme prévu. Les Allemands s’attendaient à une action sur la côte de la part des alliés, et la rencontre malheureuse à quatre heures du matin avec un convoi venant de Boulogne et la bataille navale qui s’ensuit, à moins de cinq miles de Dieppe (on peut imaginer sans peine le vacarme, sans parler de la lumière des fusées éclairantes) met fin à tout espoir de jouer sur l’effet de surprise. Les hommes et les chars débarquent sur de grandes plages, sous le feu des batteries côtières, mal protégés par une couverture navale et aérienne qui s’avère insuffisante. Tous les chars restent cloués sur la plage, bloqués par les galets et les projectiles allemands.
Le résultat sera désastreux : sur les cinq mille hommes engagés, plus de la moitié ne repartiront pas, tués ou prisonniers. Et tout ça en six heures seulement !
Au cours de ce raid, de nombreux navires et embarcations sont détruits. Côté alliés, on dénombre vingt-huit petites barges de débarquement, LCA et LCP (Landing Craft Assault et Landing Craft Personnel), cinq ou six – selon les sources – grandes barges de transports de chars, LCT (Landing Craft Tanks), et un destroyer, le HMS Berkeley. Le combat naval avec le convoi allemand se solde par la perte d’un chasseur de sous-marins allemand (Unterseeboot Jäger), l’UJ 1404.
Que reste-t-il de ces navires ? Que peuvent nous dire encore ces vestiges des évènements dont ils sont les témoins, plus de 75 ans après cette dramatique matinée ? En quoi ces navires sont-ils les jalons de l’architecture navale de la Seconde Guerre mondiale ?
C’est pour répondre à toutes ces questions, et à celles qui ne manqueraient pas de se poser en cours d’opération, qu’un groupe de plongeurs s’est lancé dans cette aventure passionnante. L’objectif de cette action est simple : il s’agit de recenser les épaves liées au Raid de Dieppe, de les positionner, de les étudier par la photographie, la vidéo et le dessin, afin de rendre compte de leur état de conservation, et par ailleurs de réunir des documents d’archives sur leur architecture, pour confirmer notamment leur nature. A priori le positionnement n’était pas un problème. Toutes ces épaves sont répertoriées, présentes sur les cartes marines, et souvent visitées par les plongeurs locaux. Pour autant tout n’est pas aussi simple. Quand on interroge lesdits plongeurs, on obtient parfois des différences d’interprétation sur la nature exacte de ces sites et leur état de conservation. Ce qui confirme bien l’intérêt de faire un inventaire précis et détaillé et, si possible, incontestable.
Cette opération, qui prendra plusieurs saisons, est organisée pas la section « étude des épaves contemporaines » de la commission départementale d’archéologie de l’Oise (CDA 60). Elle rentre dans le cadre de la carte archéologique, qui vise à recenser tous les biens maritimes culturels des côtes de France. Elle a nécessité la mise en place d’un dossier, validé par une commission interrégionale de la recherche archéologique (CIRA). Elle bénéficie de subventions du Département de recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) et de la FFESSM aux niveaux national, régional et départemental, ce qui permet de limiter la participation financière des stagiaires. La contrepartie contraignante de cette aide est l’obligation pour chacun des participants d’être détenteur d’un certificat d’aptitude hyperbare (CAH), nécessaire pour toute activité sous-marine assimilée à un travail (qu’il est encore possible d’obtenir par équivalence).
Cette année l’équipe a pris ses marques sur une épave relativement simple. Il s’agit des vestiges supposés d’un LCT coulé environ 500 mètres devant la plage de Dieppe. Posé sur un fond de sable, à une profondeur qui varie entre 4 et 11 mètres en fonction des marées, ce site permet donc de longues incursions. Par contre, la faible profondeur et la proximité de la plage signifient une visibilité très réduite et une influence de la houle, même pendant l’étale, qui est la fenêtre de plongée.