AMA DU JAPON L’ODYSSÉE DES FEMMES DE LA MER

le 25/08/2017 publié dans le N° 274 de Subaqua
Mikazuki shinji - Kuzaki - Japon
Stéphane Coutteel
par Stéphane Coutteel

Au Japon, depuis des siècles, des femmes ordinaires ont développé une technique unique de plongée en apnée. Ce sont les Ama, littéralement « femmes de la mer ». Leur nombre, hélas, ne cesse de décliner… Au-delà de leurs extraordinaires performances, c’est donc tout un mode de vie admirable et particulièrement respectueux de l’environnement qui est menacé de disparition. Un reportage de Stéphane Coutteel.

Awabi 鮑 male et femelle - Mikazuki shinji - Japon

Kako refait surface dans une mer légèrement agitée. Nous sommes au Japon, sur la côte de l’océan Pacifique, dans la région de Toba – Shima. C’est ici que s’est tenu le dernier sommet des chefs d’États, le G7. Plusieurs embarcations ont mouillé à quelques milles nautiques du charmant petit port de pêche de l’île de Toshijima. Chacune a emmené à son bord une ou plusieurs Ama pour une session de pêche qu’elles pratiquent exclusivement en apnée…

Inlassablement les plongeuses enchaînent des immersions de 45 secondes avec un court intervalle de récupération en surface, de l’ordre d’une minute. Mais les Ama peuvent aussi bien rester plus de deux minutes sous l’eau lorsque des plongées plus profondes l’exigent. Elles descendent ainsi jusqu’à une vingtaine de mètres.

Ama medusee - Mikazuki shinji - Japon

Tandis que Kako repart déjà en apnée, son mari Ji est à la manœuvre du bateau et veille à la sécurité. Ji dit avec tristesse « Il y a quelques jours une Ama n’est pas remontée ». Les accidents ne sont en effet pas rares et s’expliquent par des défaillances cardiaques car l’âge moyen des Ama est estimé à plus de 65 ans. « Le record connu est détenu par une Ama de 90 ans » aime à rappeler Yoshihata, directeur du Musée de la mer de Toba (Sea-folk Museum).

Le visage cagoulé de Kako réapparaît et se crispe sous l’effort pour s’oxygéner. Deux cycles respiratoires et, sans perdre une minute, elle lance à bord du bateau une huître de 20 cm, puis une autre. Aujourd’hui, en effet, le couple a décidé de ne pêcher que des huîtres d’été puisque la saison s’y prête. Quand je leur demande pourquoi ils ne pêchent pas plutôt les rares ormeaux vendus près de 100 € le kg, Kako m’explique qu’un grand nombre d’huîtres procure un revenu supérieur. Effectivement, je n’en crois pas mes yeux, en moins de 2 heures un monticule de coquillages encombre le pont du bateau. À 500 yens pièce, Ji cigarette aux lèvres me dit avec un sourire « Une bonne journée pour une bonne Ama peut rapporter jusqu’à 150 000 yens (1 500 €). Mais la plupart sont loin de gagner autant. Jadis la pêche alimentaire (coquillages, crustacés, oursins, concombres de mer et algues) et aussi les huîtres perlières ont suscité la vocation de nombreuses sirènes. C’était aussi une tradition familiale de mère en fille sans que même ne se pose la question ».

UNE PRATIQUE MILLÉNAIRE

Des traces archéologiques font remonter à 5 000 ans la plongée en apnée au Japon. En 1950, un Japonais du nom d’Iwase Yoshiyuki allait devenir célèbre pour ses photographies d’Ama (à demi) dénudées. Il mit beaucoup de talent à magnifier leur charme naturel et leur beauté un peu sauvage, sans jamais basculer dans le vulgaire. La légende des sirènes japonaises était née.

C’est un métier de femmes, mais à l’origine le terme « Ama » désignait « le peuple de la mer ». Il n’y a qu’au Japon et en Corée du sud que l’on peut rencontrer les femmes qui pêchent en apnée. Parmi les explications possibles l’une tiendrait au fait que les hommes se seraient tourné vers la pêche en haute mer tandis que les femmes restaient près des côtes, là où la pêche en apnée est possible. Il y a aussi des hypothèses d’ordre physiologique. Une supposée meilleure aptitude à l’apnée, et une explication plus « terre à terre » relative aux tissus adipeux du corps féminin qui les protègent mieux du froid. Sachant que dans l’eau les déperditions caloriques sont 25 fois plus élevées que dans l’air, cet avantage était déterminant pour des plongées répétées. À l’origine les vêtements de plongée n’existaient pas et les « femmes de la mer » plongeaient quasiment nues.

L’arrivée de la combinaison Néoprène vers 1960 marqua un tournant, le plus important sans doute. Car cette barrière thermique contre le froid permettait de repousser les limites, de plonger plus longtemps. Entre 1960 et 1965, la quantité d’ormeaux pêchés a été ainsi multipliée par trois. Au rang des causes énumérées pour la raréfaction de certaines espèces sous-marines, le vêtement de plongée vient en premier, avec ensuite d’autres facteurs, et non des moindres, tels le réchauffement climatique et la pollution des océans. Conscient de cela, un groupe d’Ama plongeait encore il y a quelques années sans combinaison pour mieux préserver les ressources halieutiques. De nos jours, la pêche est très réglementée par le syndicat des pêcheurs de chaque sous-région qui a autorité en la matière et fixe les périodes de pêche pour chaque espèce et les tailles minimales. Par exemple, les ormeaux (awabi) qui mesurent moins de 10 cm doivent être rejetés en mer.

Une vie de labeur

Il est 11 heures, cela fait bientôt 2 heures que Kako plonge. Une fois encore, par une technique de canard parfaitement maîtrisée, ses palmes bleues s’élèvent et se perdent un instant dans le ciel azur avant d’être aspirées par le grand bleu.

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 274 Abonnez-vous

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