LES ÎLES OUBLIÉES DE LA MER DE BANDA

le 02/03/2018 publié dans le N°277 de Subaqua
CROISIERE 277-UNE
Pierre Constant
par Pierre Constant

Malgré la menace imminente de l’éruption du volcan Agung, les dieux sont cléments. Alors que le vol de Garuda Indonesia m’amène de Bali à Timor, me revient en mémoire le dernier séjour à bord du Damai I. C’était en août 2015, sur une goélette en bois « Bugis pinisi », pour une croisière de Biak à Cenderawasih Bay sur la côte nord de Papouasie occidentale (Papua Bharat). Deux ans plus tard, en octobre 2017, la croisière sur Damai II va couvrir, en deux semaines, un périple de Kupang (West Timor) à Triton Bay et Kaimana, sur la côte sud de Papouasie. Au fin fond de la mer de Banda, la route de la goélette est celle des « îles oubliées ». Quoi de plus excitant pour un plongeur assoiffé d’aventure et de sensations ? Par Pierre Constant. Photos de l’auteur.

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À l’est de l’île de Flores, c’est la fin de l’arc insulaire de l’archipel de la Sonde, une ligne de feu qui s’étire de Sumatra à l’île de Wetar. Cet arc volcanique repose au nord de la fosse de Sunda. Une zone de subduction, où la plaque indo-australienne plonge sous la plaque asiatique, donnant naissance à une chaîne d’îles volcaniques actives, partie intégrante de la ceinture de feu du Pacifique. L’arc de Sunda se poursuit vers l’est avec l’arc de Banda, qui résulte de la collision au Pliocène (Tertiaire), d’un autre arc insulaire avec le continent Australie-Nouvelle Guinée. Un processus accentué a fortiori par la convergence de la plaque indo-australienne et de la plaque Pacifique, dans une résultante nord-ouest. La géologie de la région est complexe et nombre de microplaques ont été formées.

Le soleil au zénith, l’avion fait sa descente sur Kupang, un important port de commerce à l’époque portugaise et hollandaise. Des combats féroces avaient opposé les deux puissances coloniales, au XVIIe et au XVIIIe siècles, pour le contrôle du commerce des épices, essentiellement la noix de muscade et le clou de girofle. Timor fût largement dominée par les Portugais jusqu’en 1749. Pour l’anecdote, Kupang est aussi la destination finale du capitaine William Bligh et des survivants de la mutinerie du Bounty (1789), suite à une odyssée épique de 6 710 km dans un canot, à la dérive dans le Pacifique, depuis Tofua dans les îles Tonga.

Mois le plus chaud de l’année avec une température moyenne de 28,8 °C, octobre est le début de la saison chaude. Andrina, la directrice de croisière, est une Anglaise de 45 ans. Elle me présente les autres participants : cinq Américains, une Allemande, un couple anglo-ukrainien en voyage de noces et Chris, un vidéographe australien vivant à Bali, avec qui je vais partager une somptueuse cabine. L’ancre est levée pour une navigation ouest-est de 890 milles nautiques. Traversée du détroit de Timor prévue ce soir, pour atteindre les îles Alor demain matin à l’aube. « Une bonne occasion d’observer les baleines bleues dans leur migration vers le sud », s’exclame Andrina. Pas l’ombre d’une queue au rendez-vous.

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PremiÈres plongÉes prometteuses

La première plongée à 7 h 30 est certes matinale… « Température de l’eau 22 °C… », annonce-t-on, histoire de nous mettre au parfum. Diantre ! Mon « shorty » de 5 mm est plutôt léger… L’approche de l’île Treweg est soulignée par les pics volcaniques de l’île Pantar. Un banc de dauphins croise la proue de la goélette. Sous l’eau, la houle et le courant sont perceptibles. La visibilité est médiocre, malgré les nombreuses gorgones, corail en coupe orange, corail vert en coupe Tubastrea et ses nuages d’anthias orange. Un ravissant poisson ange, Chaetodontoplus melanosoma, attire mon attention, gris perle dorsalement et noir ventralement, avec une queue noire ourlée de jaune. Jamais vu ! Adri, le robuste guide indonésien pointe un nudibranche Nembrotha cristata, noir à pois verts, puis un Tambja morosa, avec un trait bleu sur la face et sur le front. La température de l’eau, en fait à 24 °C, est très acceptable.

Les plongées à Beangabang sur l’île Pantar, montrent une alternance entre un petit mur et une pente de sable volcanique. Une « muck dive » en somme, avec des plumes de mer, Virgularia sp., fines ou avec de larges branches, dans les tons bleu pâle ou rouge. Des anémones en tube – avec crevettes nettoyeuses ou un minuscule crabe annelé – ondulent gracieusement dans le courant. Un banc de mulets à pois bleus fouine dans le sable avec ses barbillons, suivi de carangues à nageoires bleues en chasse. Les charmants poissons anémones à selle, Amphiprion polymnus, papillonnent autour de leur anémone. Des poissons rasoirs esquissent un passage furtif en banc serré.

Une balade à terre donne une bonne idée du village. Dans un décor volcanique austère, une église catholique se dresse au milieu d’un groupe de maisons en bois délabrées. Les habitants sont pour l’essentiel des vieux et des enfants. L’atmosphère est celle d’un village fantôme, avec ses chèvres et ses porcelets en errance sur une plage de galets noirs. Après quoi la plongée de nuit dévoile un pleurobranche rouge à marques blanches, Pleurobranchus forskali. La torche de Chris révèle un exquis requin bambou juvénile, Chiloscylium punctatum, de 40 cm de long, brun à bandes blanches, lové contre quelques cailloux.

Les conditions deviennent idÉales

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Le lendemain, en proie au décalage horaire, j’émerge sur le pont à 5 h 30. Damai remonte le détroit de Pantar aux lueurs de l’aube. Tout semble être brûlé par le soleil au-dessus de la frange noire des rochers de la côte. Une végétation éparse, où quelques arbres ponctuent les pentes ici et là.

Trois croix blanches érigées à Crucifixion Point, marquent le site de plongée. Le courant est associé à l’upwelling provenant du sud de l’arc de Sunda. La température de l’eau oscille entre 24 °C et 26 °C, une amélioration qui annonce les conditions idéales de la côte nord. Le mur est couvert de coraux mous, gorgones et éponges en baril, typiques des substrats volcaniques. Les hydroïdes urticantes sont présentes aussi. Un petit banc de thons est suivi de fusiliers néons, rouges et bleus, puis de fusiliers de Randall, Pterocaesio randalli, avec une tache jaune sur le côté. À faible profondeur, le récif est couvert de coraux mous blanc crème, Sarcophyton sp. à l’allure de champignons évasés. Mandarin wall, côte nord de l’île Pura, met en évidence bon nombre de trappes à poisson, en rotin, de forme oblongue. Lestées avec des pierres, elles sont remontées régulièrement par les pêcheurs alorese dans leurs pirogues à balanciers. Je croise un barramundi, un empereur à long nez, puis une seiche, si mimétique, que j’ai du mal à la visualiser ! La plongée devant le village de Pak Jan, sur une pente de sable volcanique, est totalement consacrée à la recherche de Rhinopias. Le guide pointe un individu rouge, puis un rose, un beige et finalement un jaune avec des taches blanches. L’excitation est au maximum ! Une squille viendra faire le trouble-fête, histoire d’attirer l’attention sur elle. Un chirurgien à pois noir, Acanthurus bariene, furète avec un petit diodon jaune au-dessus de la tête.

 Cap sur l’Île Wetar

Ceci est un extrait du Dossier paru dans le numéro 277 Abonnez-vous

Commentaires

  • Françoise Petitcolas dit :

    Merci pour la qualité de votre style qui rend votre texte attrayant et très agréable à lire sans sombrer dans l’exagération de termes scientifiques inaccessibles au commun des mortels. Je vous souhaite d’autres beaux voyages afin que vous nous en fassiez profiter.

    bien à vous.

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